Les scénaristes de séries TV ont certes beaucoup d’imagination, mais ils puisent allègrement dans la réalité pour mettre en scène leurs personnages, nouer des intrigues et imaginer des rebondissements réguliers. Le parallèle avec le management d’entreprise est éclairant…
Les comportements des personnages qui peuplent les séries TV peuvent s’analyser sous l’angle des styles de management, que l’on retrouve dans les entreprises. C’est l’objet de cet ouvrage collectif, coordonné par Benoît Aubert, directeur de l’ICD International Business School, et Benoît Meyronin, professeur à Grenoble Ecole de Management. « Les managers et les producteurs de série ont un rôle commun : celui d’anticipateur », résument-ils.
Concrètement, « les personnages des séries font face à des dilemmes, doivent rechercher des solutions sous contraintes, entrent dans des jeux de conflits et d’alliances pour saisir ou conserver le pouvoir, doivent gérer leurs collaborateurs (ou faire face à leurs managers). Toutes ces situations font écho au vécu et aux rôles des managers. »
Les auteurs se focalisent sur quatre fondamentaux du management des organisations (management des hommes, leadership, relation au marché et avec les clients, innovation). Pour illustrer les liens entre les principes du management et les scénarios de séries, les auteurs ont choisi treize productions emblématiques, depuis Dr House, McGyver, The Walking Dead ou Les Soprano jusqu’à Mad Men, Narcos ou Breaking Bad (voir tableau). Ils en déduisent quarante-neuf leçons de management.
De Mac Gyver à Mad Men, quand les séries TV nous enseignent le management, sous la direction de Benoît Aubert et Benoît Meyronin, Dunod, 2017, 203 pages.
Comment manager les équipes ? Dans ce domaine, les séries TV illustrent les bons exemples et les moins bons. Du côté des premiers, la série Dr House illustre le management agile : même s’il est désagréable et arrogant, « le Dr House résout de très nombreux cas sur lesquels tous les autres médecins butent. » Il commet des erreurs, mais qui sont nécessaires : « Il procède par essais et par erreurs, en collectant les données et les signaux faibles », tout cela, bien sûr, en ne respectant pas les procédures établies. De fait, il cherche à faire progresser ses équipes. Du côté des pratiques plus contestables, Tony Soprano est un mauvais exemple : « Il consomme une énergie certaine à mentir, à travestir la réalité. Pressé par son entourage, englué dans ses dilemmes moraux et ses affects, il repousse les échéances et tergiverse ouvertement. »
D’où la question que posent les auteurs : « Un manager doit-il cultiver l’art de la dissimulation ou bien peut-il agir de façon plus ouverte ? » Dans ce chapitre sur le management des équipes, les auteurs abordent également, à travers la série The Young Pope, comment un jeune manager (en l’occurrence un Pape) peut survivre dans une entreprise séculaire (l’Eglise catholique) et comment il gère l’information et la communication afin de nouer des alliances.
Comment affirmer son leadership ? La série Borgen illustre la complexité du leadership, conçu comme « la capacité à influencer les autres, à les mettre en mouvement et à les faire agir, c’est façonner des croyances, des désirs et des priorités », résument les auteurs, pour qui « un manager a de moins en moins de subordonnés et de plus en plus de pairs. »
Il existe plusieurs styles de leadership, mis en exergue dans la série The Walking Dead, dont le personnage principal, Rick Grimes, a des qualités d’intelligence émotionnelle qui « bien plus que ses capacités d’analyse, son charisme et ses compétences techniques, font de lui un véritable leader », écrivent les auteurs.
Comment gérer la relation au marché ? La série Mad Men, qui met en scène des publicitaires américains dans les années 1960, rappelle les trois grands principes de base du marketing : développer le sens de l’orientation marché, laisser la créativité s’exprimer et adopter une démarche collaborative dans la création. Le personnage principal de la série, Don Draper, ne prend jamais ses décisions au hasard : « Il investigue, cherche, expérimente, s’entoure pour comprendre la problématique d’un secteur », et invite ses équipes, pluridisciplinaires, à adopter une posture d’expérimentation et à développer leur créativité.
La culture du service est abordée dans la série Six Feet Under, qui met en scène les patrons d’une entreprise de pompes funèbres. « La relation client se joue de plus en plus sur un registre volontairement émotionnel », assurent les auteurs. Cette série illustre le fait qu’il faut être authentique dans la relation client, tout en veillant à ne pas se surexposer, nourrir cette expérience client et soigner la mise en scène globale de son service. La relation au marché passe également par une maîtrise de l’information stratégique.
Ce point est illustré par la série Narcos, dans laquelle les protagonistes (le cartel de Cali et la Drug Enforcement Administration) s’emploient à protéger leurs données, au service de leur influence et de leur réputation, car toute divulgation compromet la vie humaine. La création d’une start-up est la base de la série Breaking Bad, où Walter White, professeur de chimie, va disrupter le marché de la drogue avec un produit d’excellente qualité. La série nous enseigne cinq principes : trouver un besoin et y répondre, bien s’associer (Walter White fait équipe avec un millenial qui connaît le marché de la drogue), être agile (se débrouiller avec ses propres ressources), rester focalisé sur la vision (la qualité du produit) et développer la « scalabilité » de sa start-up.
Comment manager l’innovation ? La débrouillardise de McGyver est légendaire et illustre l’ingéniosité managériale. Ce personnage, qui est probablement un précurseur de « l’innovation frugale », a cinq traits de caractères : polyvalence, obsession d’un problème à résoudre, pleine conscience de la situation, pensée divergente et expérimentation. Une ingéniosité que l’on retrouve également dans la série Sherlock, adaptation du personnage de Conan Doyle. Le détective-consultant est ainsi un expert du décryptage du réel. « Ce talent de déduction est aujourd’hui un élément clé des pratiques d’innovation », résument les auteurs.
Les séries TV ne montrent pas toujours, loin de là, le bon exemple. Mais elles présentent un intérêt majeur pour tout manager : « Les personnages au caractère trouble et excessif, à l’éthique ou à la conduite discutable permettent, par effet de contraste, d’envisager un idéal de management », concluent les auteurs.
Quelques enseignements à retenir
- Un manager doit reconnaître ses erreurs et accepter celles des membres de son équipe.
- Un manager doit susciter la confrontation des idées.
- Il faut toujours choisir habilement ses alliés.
- Un manager doit être au clair sur ses forces et ses faiblesses.
- Être leader, c’est donner envie et apprendre à partager le leadership.
- Le leadership va au-delà du charisme et des compétences.
- Un bon leader sait trouver le juste équilibre entre consultation et prise d’initiative.
- La gestion du danger doit être calculée.
- Le manager est capable de suspendre un jugement préconçu.
- La perspicacité du manager n’est pas innée, mais se prépare et s’exerce.
- Bricolage et improvisation ne se réduisent pas à des activités individuelles.
- Pour innover, il faut partir des usages et pas seulement des clients.
Séries TV et stratégie d’entreprise : des associations enrichissantes | ||
Série TV | Pitch | Thématique managériale dominante |
Dr House | Un médecin résout des cas médicaux rares | Management agile |
The Young Pope | La prise de pouvoir d’un Pape italo-américain | Déstabilisation d’une organisation par un millénial |
Les Soprano | Les difficultés de la gestion d’une entreprise mafieuse | Mauvaises pratiques de management des équipes |
Borgen | Une politicienne intègre et idéaliste devient premier ministre contre toute attente | Affirmation du leadership |
The Walking Dead | Les aventures de survivants après qu’un virus a transformé presque tous les humains en morts-vivants | Différents styles de leadership |
Ray Donovan | Un personnage introverti, travaillant dans un cabinet d’avocats, utilise des méthodes peu orthodoxes pour aider ses clients | Fragilité du management |
Mad Men | La vie d’une agence de publicité américaine dans les années 1960 | Réinvention du marketing |
Six Feet Under | Le quotidien d’une famille qui gère une entreprise de pompes funèbres | Culture du service |
Narcos | La vie de Pablo Escobar, baron de la drogue colombien | Management de l’information stratégique |
Breaking Bad | Un modeste prof de chimie devient un baron de la drogue | Création d’une start-up |
McGyver | Un agent secret utilise ses talents de bricoleur pour gérer des situations périlleuses | Innovation frugale et ingéniosité managériale |
Parks & Recreation | Le quotidien des employés du service des parcs et loisirs de l’Etat de l’Indiana | Management de l’échec |
Scherlock | Un détective résout des énigmes dans le Londres contemporain | Compréhension du réel pour gérer la complexité |