Alors que la France fait face à une crise sanitaire inédite, les dispositions qui en découlent mettent en exergue le potentiel du numérique pour faire face à de telles situations. Plus de la moitié des établissements de soins ont augmenté leurs dépenses IT consacrées aux nouveaux projets en 2019, selon l’Observatoire e-Santé qu’IDC France a mené auprès de 150 établissements.
En 2020, ils seront presque autant, mais avec une accélération, puisque 30 % d’entre eux feront progresser leurs dépenses de plus de 5 %, contre 23 % en 2019, une tendance toutefois nuancée par la crise du coronavirus. Avec le lancement par l’Etat du plan HOP’EN (HOPital numérique ouvert sur son ENvironnement) et du programme E-parcours à l’échelle des territoires, « les établissements de soins n’ont d’autre choix que de poursuivre la modernisation de leurs systèmes d’information et de déployer des services numériques à destination des patients et des professionnels de santé, dont la médecine de ville », soulignent les analystes d’IDC.
Une transformation plus lente que prévue
Pour les GHT (Groupements Hospitaliers de Territoire), disposer d’un SIH convergent est un prérequis à cette transformation numérique. Or, 34 % des sites supports de GHT étudiés par IDC sont sceptiques sur le fait que cela puisse se faire à l’échéance prévue pour le 1er janvier 2021, quand 31 % sont persuadés qu’il leur faudra plus de temps. Ensuite, si les portails numériques à destination des patients et ceux dédiés aux professionnels de santé sont une priorité pour respectivement 63 % et 59 % des établissements interrogés, environ la moitié d’entre eux est encore peu, voire pas du tout, avancée dans leurs projets.
Même si les programmes HOP’EN et E-parcours sont dotés d’une enveloppe d’aide de respectivement 420 millions d’euros et 150 millions d’euros, tous les projets ne seront pas éligibles aux aides d’Etat. Pour Thierry Hamelin, directeur des études chez IDC France, « la capacité de financement des établissements apparaît comme le principal challenge, car ils doivent moderniser leur système d’information et continuer d’assurer le fonctionnement de l’existant, le tout sous contraintes budgétaires. »
Malgré le dynamisme affiché par le secteur, les projets risquent donc de s’étaler dans le temps, d’autant que la sécurité, le DPI (Dossier Patient Informatisé) et les solutions de télémédecine représentent également des axes d’investissements dans les deux ans à venir pour plus de six établissements sur dix. L’échéance des programmes HOP’EN et E-parcours, prévue pour fin 2022, risque ainsi d’être difficile à tenir pour bon nombre d’établissements de soins. Le plan «Ma Santé 2022» est largement perçu comme un accélérateur pour les initiatives numériques. Un an après son lancement, les établissements de soins publics portent un regard positif sur ce plan. En effet, ils sont 73 % à estimer qu’il va contribuer à accélérer leurs initiatives numériques pour les trois années à venir. Ils soulignent également que l’essor des services numériques dépendra de la vitesse de diffusion des socles technologiques sur lesquels ils ont vocation à s’appuyer, en particulier le Dossier Médical Partagé (DMP), l’Identifiant National de Santé (INS) et la Messagerie Sécurisée de Santé (MSS).
Améliorer le parcours de soins et la téléconsultation
Une étude, menée par le cabinet Markess sur la santé et le digital, met également en lumière le plébiscite des établissements de santé publics et privés en France pour une amélioration du parcours de soins d’ici à 2023. Grâce au numérique, il est par exemple possible d’assurer des consultations à distance, mais aussi de mieux coordonner les nombreux acteurs de santé impliqués dans la gestion de la crise et potentiellement soumis eux-mêmes à des mesures de confinement (suivi de patient à domicile, transmission d’informations entre médecins traitants, hôpitaux…). Ainsi, l’urgence à améliorer le parcours de soins est aujourd’hui accentuée par le prisme de l’actualité.
Dans son étude conduite au quatrième trimestre 2019, Markess constatait d’ores et déjà une forte mobilisation des décideurs d’établissements de santé publics et privés pour engager un virage significatif en faveur de la numérisation du parcours patient : 73 % d’entre eux affirmaient alors que leur établissement, ou leur groupement de santé, était fortement engagé pour l’amélioration de ce parcours via le numérique d’ici 2023. Les projets annoncés reposaient notamment sur la dynamisation des investissements en logiciels et services associés, « une tendance qui devrait s’accentuer au regard de la nécessité de s’appuyer sur un parcours de soin résilient et capable de parer à toute fragilité dans un environnement mondialisé », soulignent les consultants de Markess.
L’une des évolutions majeures concerne la téléconsultation. « Dire que la crise sanitaire du covid-19 a été un véritable accélérateur pour le marché de la téléconsultation en France est un doux euphémisme. Les chiffres sont à cet égard éloquents », assure Emmanuel Sève, auteur d’une étude publiée par le cabinet Xerfi sur les marchés de la téléconsultation.
Fin avril 2020, plus du quart des consultations ont été réalisées à distance (en vidéo ou par téléphone), représentant ainsi 3,7 millions de téléconsultations remboursées par l’assurance maladie (contre 660 000 en mars 2020). Et près de la moitié des médecins libéraux s’étaient convertis à la pratique de la téléconsultation mi-avril (2% début mars 2020). Quant aux plateformes privées, Doctolib en tête, elles ont rallié les deux-tiers des nouveaux médecins téléconsultants selon les calculs des experts de Xerfi Precepta. Cette rupture brutale a été favorisée par l’assouplissement du remboursement de la pratique pour accompagner le confinement de la population (prise en charge à 100 % contre 70 % auparavant, suppression de la conditionnalité du parcours de soins, nouvelles modalités…). Dans ces conditions, la fréquence d’actes remboursés par l’assurance maladie a été multipliée par 100 en quelques semaines, passant de 10 000 actes hebdomadaires avant le début de la catastrophe sanitaire à 1 million au pic de l’épidémie. « Il reste maintenant à transformer l’essai. Et les perspectives s’annoncent plutôt prometteuses. Déjà, les premiers retours d’expérience montrent que la pratique devrait s’inscrire dans la durée chez les médecins et les patients », souligne Emmanuel Sève.
Le boom des plateformes
Pour réaliser leur scénario prévisionnel et identifier les segments les plus prometteurs, les experts de Xerfi Precepta ont réalisé une analyse croisée selon les catégories d’offres et les champs des prestations. Il en ressort que les débouchés les plus solvables, et donc à plus fort potentiel, sont liés aux activités de téléconsultation programmée au cœur d’objectif de prise en charge par l’assurance maladie, dans le cadre du parcours de soins. Les solutions payantes de cabinets médicaux virtuels pour professionnels de santé et celles de stations mobiles de téléconsultation pour structures de soins et acteurs du télésoin (pharmaciens, infirmiers) disposent ainsi respectivement d’un potentiel de marché d’environ 45 millions et 35 millions d’euros d’ici 2021.
D’autres débouchés sont également à fort potentiel de diffusion, à condition de lever plusieurs incertitudes (solvabilisation, réorganisation des chaînes de soins ou tout simplement incapacité à surmonter durablement les obstacles à l’adoption de la part des patients utilisateurs finaux). Il s’agit en l’occurrence des services de téléconsultation/téléconseil médical à la demande, via une plateforme en ligne et des cabinets fixes de téléconsultation avec un potentiel de marché de respectivement 25 millions et environ 7 millions d’euros d’ici 2021, d’après les prévisions des experts de Xerfi Precepta.
En avril 2020, plus de 200 solutions se disputaient le marché des services de téléconsultation et téléconseil médical en France, dont une cinquantaine de start-up spécialisées en quête de financements. Certaines d’entre elles disposent déjà de moyens financiers conséquents grâce à des prises de participation de grands groupes. Qare et MesDocteurs sont ainsi adossés à des leaders de l’assurance, MédecinDirect au géant américain de la téléconsultation Teladoc Health, Exelus et Omedys aux groupes de maisons de retraite Orpéa et Korian.
Un foisonnement d’acteurs
De grands groupes occupent en effet d’ores et déjà les premiers rôles dans l’activité à travers des solutions développées en propre ou des prises de participation/contrôle au capital de start-up spécialisées. Le panel d’acteurs est large : spécialistes étrangers, éditeurs de logiciels santé, géants de l’assurance, groupes d’établissements privés… La brique téléconsultation est en effet perçue comme stratégique dans la perspective d’évolution d’une multitude de métiers à la croisée des pratiques des praticiens et des parcours de soins des patients.
Cette hyper-croissance du marché n’est pourtant pas exempte de risques. Les quelques 200 fournisseurs de solutions sont en effet passés d’une situation de sous-usage à celle de gestion des débordements. Dans le même temps, ils doivent faire des choix structurels dans un environnement nouveau et encore instable. Si la fenêtre hors norme qui s’est ouverte pour le recrutement d’utilisateurs a confirmé la force de frappe de Doctolib, ce constat doit être nuancé. Car les deux grandes logiques qui s’affrontent (intermédiation vs services à la demande) ne s’appuient pas sur les mêmes ressorts. En outre, la percée de modèles autogérés par les acteurs de santé (médecins, groupes d’établissements privés) et de solutions intégrées développées par des start-up axées sur le télésuivi et la télésurveillance médicale vont recomposer le jeu concurrentiel.
Une fragilité des modèles économiques
Face à l’intensification de la compétition autour du recrutement d’utilisateurs, la plupart des plateformes se sont alignées sur le principe de gratuité temporaire d’accès à leurs services pour les médecins. Ce qui a surtout fait le jeu de celles déjà implantées dans les cabinets médicaux et proposant en temps normal les abonnements les plus coûteux, Doctolib en tête. Cette course au recrutement s’accompagne en général d’une seconde course aux fonctionnalités. Les champs de besoins à adresser sont en effet très variés (accompagnement des patients, des professionnels de santé et aussi des entreprises dans le cadre de modèles BtoBtoC).
Certaines plateformes spécialisées (Qare, Consulib…) prennent ainsi le parti de s’attaquer frontalement aux modèles des éditeurs avec des solutions de substitution dotées des fonctionnalités nécessaires à la gestion complète d’un cabinet. Pour les experts de Xerfi, « si la crise du covid-19 marque un tournant décisif en matière de développement de permanences de soins à l’échelon local, peu d’acteurs semblent en mesure d’apporter les solutions techniques nécessaires à leur mise en place (logiciels capables de bien prendre en compte les coordinations professionnelles et le suivi des patients, voire la télé-expertise). » Ainsi, face à la crise sanitaire, les plateformes ont dû revoir très rapidement leurs process de soutien technique, mais aussi adapter leurs dispositifs à un cadre réglementaire temporairement assoupli. La suspension des conditions de respect du parcours de soins coordonné a poussé nombre d’opérateurs à revoir leurs plans, au risque de fragiliser la cohérence des stratégies adoptées précédemment. « Les nouveaux modèles visent à interconnecter l’assurance santé et les univers de besoins concernés. Il faut en effet passer d’une logique d’offre globale à celle d’accompagnement global. En clair, les opérateurs doivent se détacher d’une logique de vente et de distribution pour intégrer l’assurance santé aux expériences et parcours de vie des assurés, forcément digitaux aujourd’hui. Les mutualistes, qui accélèrent leur diversification vers l’Iard, sont en pointe dans ces stratégies d’accompagnement global », précise Emmanuel Sève.
Les quatre tendances qui transforment les SI hospitaliers
- Une impulsion nationale. Grâce à sa feuille de route du numérique en matière de santé, l’Etat se pose en accélérateur de la transition numérique de ce secteur. Cette ambition se concrétise notamment par la mise en œuvre de services socles (dossier médical patient, e-prescription, messageries sécurisées…), de plateformes nationales (« health data hub », espace numérique sécurisé usager, bouquet de services pour les professionnels), d’une doctrine technique du numérique en santé.
- Une amélioration de l’expérience patient. Les dirigeants d’établissements de santé considèrent que chaque étape du parcours patient peut être renforcée grâce à des services numériques : accès à des comptes rendus d’hospitalisation, des résultats d’examen, échanges sécurisés avec les professionnels de santé, prises de RDV en ligne, prescriptions dématérialisées, pré-admission médicale, paiement de frais médicaux et consultation à distance.
- Une meilleure coordination des professionnels de santé. Dans le parcours de soins, le numérique est vu comme vecteur d’amélioration domaine : meilleur partage d’informations au sein des établissements (par exemple les résultats d’imagerie et de biologie), simplification des échanges entre les diverses structures de santé, sécurisation des échanges, optimisation de la rédaction de comptes-rendus, dossier patient informatisé, authentification des professionnels de santé à leur espace de travail.
- Une valorisation des données de santé au service de la recherche et des diagnostics. L’analyse à grande échelle de volumes de données de santé importants nourrissent les espoirs pour améliorer la recherche et/ou anticiper de façon précoce divers événements (épidémies, pronostics de patient, sensibilité à certains médicaments…). L’avènement d’entrepôts de données de santé à l’échelle du territoire et en connexion avec le « heath data hub » national présage d’évolutions majeures dans les prochaines années.
Les technologies privilégiées
Pour accompagner les chantiers de l’e-santé, les solutions logicielles intervenant dans le parcours patient reposent sur un logiciel de Dossier Patient Informatisé, autour duquel s’interconnecte un ensemble de solutions :
- Portails, services en ligne et applications mobiles (en plein développement).
- Collaboration pour l’échange entre professionnels de santé intervenant dans la chaîne de soins.
- Optimisation de processus internes (numérisation, gestion documentaire, automatisation…).
- Gestion, analyse et valorisation de données (interopérabilité, sécurité, Big Data, IA…).
- Technologies innovantes (réalité virtuelle, solution 3D, robotique, IoT…).
- Télémédecine.