Le ministère des Affaires économiques néerlandais a élaboré quatre scénarios pour tenter d’imaginer les évolutions majeures des technologies de l’information, et dont les résultats ont été présentés lors de la dernière conférence CIO City, organisé par CIOnet.
Le contexte actuel de crise imprime sa marque à toute réflexion prospective sur l’évolution des technologies de l’information. Une initiative conduite par le ministère des Affaires économiques des Pays-Bas a conduit, avec un groupe de trente-trois experts, à identifier quatre scénarios possibles d’évolution des technologies de l’information à partir de la question suivante : quels seront les contours du monde en 2020 et quelles seront les contributions des technologies de l’information ?
« Des milliers de scénarios possibles sont envisageables et notre approche consiste à identifier les quatre plus vraisemblables, à partir de quatre hypothèses de départ, largement admises », précise Daniel Erasmus, consultant pour le DTN (Digital Thinking Network). Première hypothèse : l’utilisation des technologies de l’information, et d’Internet en particulier, est associée à l’innovation.
Deuxième hypothèse : l’innovation engendrée par les technologies de l’information ne peut être suscitée que dans un contexte d’innovation ouverte, poussée par des modèles de types Silicon Valley et capital-risque. En troisième lieu, il est couramment admis qu’Internet est un réseau ouvert et unifié, indépendant des frontières géographiques et commerciales.
Enfin, il est également admis que les technologies de l’information sont parvenues à une certaine maturité et que le paysage concurrentiel reste dominé par les grands acteurs. Face à ces quatre hypothèses, quatre scénarios alternatifs ont été imaginés.
À l’identification des technologies de l’information comme source d’innovation pourrait correspondre un scénario où, au contraire, l’innovation laisserait la place à des préoccupations centrées sur la réduction des coûts. À l’innovation ouverte pourrait correspondre un contexte où celle-ci serait plutôt le fait de grands groupes.
À la place (ou à côté) d’un réseau Internet indépendant des frontières, on pourrait imaginer la formation d’un réseau fragmenté selon la géographie ou les intérêts commerciaux. Enfin, au lieu d’un système mature dans lequel les grands acteurs dominent, le dernier scénario imagine l’apparition d’une nouvelle vague de nouveaux acteurs.
Quatre hypothèses communément admises… | … et quatre questions pour les remettre en cause | Scénario correspondant |
L’utilisation des technologies de l’information, et d’Internet en particulier, est associée à l’innovation | …Et si les technologies de l’information n’étaient utilisées que pour réduire les coûts ? | Les technologies de l’information au service de l’efficience |
L’innovation engendrée par les technologies de l’information ne peut être suscitée que dans un contexte d’innovation ouverte, poussée par des modèles de types Silicon Valley et capital-risque | …Et si l’innovation devenait dominée par les grands groupes ? | « Big is beautiful » |
Internet est un réseau ouvert et unifié, indépendant des frontières géographiques et commerciales | …Et si Internet se trouvait fragmenté selon la géographie et les intérêts commerciaux ? | Les îles Internet (Internet Islands) |
Les technologies de l’information sont parvenues à une certaine maturité et le paysage concurrentiel reste dominé par les grands acteurs. | …Et si une vague de nouveaux acteurs venait déstabiliser les acteurs établis ? | Les nouvelles frontières |
Source : Ministère des Affaires économiques, Pays-Bas. |
Scénario 1 : les technologies de l’information au service de l’efficience
La crise économique profonde, liée en partie au fardeau de la dette, impose aux entreprises de privilégier l’assainissement économique, donc de se désendetter. Ce mouvement s’effectue au détriment de l’innovation. Il est dès lors question de réduire les dépenses d’investissements pour privilégier la réduction des coûts et l’efficience des technologies de l’information.
D’où, en particulier, le succès des offres de cloud computing, qui permettent d’atteindre ces objectifs, y compris dans le secteur public. Avec deux conséquences : d’une part, une quasi disparition de l’écosystème du capital-risque et, d’autre part, une telle pression sur les prix que cela favorise l’écosystème du logiciel libre et, d’une manière générale, les acteurs qui proposent des solutions dont le rapport qualité-prix est très favorable à leurs clients, ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour les sociétés européennes. Problème : le rôle du DSI devient beaucoup moins stratégique et, en tout cas, pas suffisant pour qu’il continue à participer aux comités de direction.
Scénario 2 : « Big is beautiful »
Le succès de l’interventionnisme des pouvoirs publics dans les domaines financiers et de l’immobilier, pour contrecarrer les effets de la crise, se déporte sur le secteur des technologies de l’information, notamment pour la modernisation des systèmes de santé, des infrastructures et le développement du Green IT. Cela a pour conséquence de renforcer le poids des grands acteurs sur chaque marché (logiciels, matériels, télécoms, médias…).
« Les Disney, Microsoft et SAP survivent, en particulier parce qu’ils ont joué sur les économies d’échelle », et ont su procéder à des acquisitions pertinentes, note le rapport. La contrepartie : une relative fermeture d’environnements organisés en silos. Par conséquent, le consommateur peut difficilement changer de fournisseur, à l’image des principes développés par Apple.
Scénario 3 : les îles Internet (Internet Islands)
Ce scénario se caractérise par un retour du protectionnisme économique qui rejaillit sur le secteur des technologies de l’information. Concernant Internet, la notion de réseau global, unifié, perd de son sens à mesure que des barrières s’établissent, notamment avec des législations locales et des contraintes pour les opérateurs.
Avec des interactions limitées entre ces « îles Internet » et où il est difficile de passer de l’une à l’autre. « Le monde originel d’AOL redevient une réalité », soulignent les auteurs du rapport, même si des contre-mouvements, liés à l’Open Source, font entendre leurs voix, et si les gouvernements poussent en faveur d’un partage des données.
Scénario 4 : les nouvelles frontières
La reprise économique a conduit les pouvoirs publics à être moins interventionnistes. « Avec une combinaison de standards ouverts, d’Open Source et de communautés, des poches d’innovation émergent, basées sur les architectures Internet et dans des pays avec les populations les plus jeunes tels que l’Inde », note le rapport.
Le rôle de la Silicon Valley demeure aussi important, mais elle n’est plus la seule, concurrencée par l’Inde ou des pays plus émergents comme l’Égypte. Sur le plan des usages, c’est l’ère du nomadisme qui prévaut. « Tout le monde a un smartphone et se connecte à des applications Internet, de sorte que les coûts de celles-ci diminuent, ce qui remet d’ailleurs sur le devant de la scène le débat sur la neutralité d’Internet. »
Douze forces qui modèlent les technologies de l’information
Les experts interrogés par le ministère néerlandais des Affaires économiques ont identifié les douze forces qui, au cours des dix prochaines années, vont modeler les technologies de l’information. Même si ces tendances sont aujourd’hui prévisibles, car vraisemblables, elles sont toutefois soumises à des incertitudes, notamment du fait de leurs interactions.
- Des améliorations exponentielles des rapports performances/prix. « En 1961, une puissance de calcul d’un gigaflop coûtait 1100 milliards de dollars, aujourd’hui, l’équivalent coûte 13 cents », affirma Dave Evans, l’un des chief technologists de Cisco, pour qui, « dans vingt ans, un PC de bureau fournira une puissance équivalente à celles de tous les supercalculateurs en service aujourd’hui ». Tout comme paraissait invraisemblable, il y a vingt ans, le fait de disposer de plusieurs téraoctets de stockage pour l’informatique domestique.
- Le cloud computing : l’intelligence au centre. Depuis les années 1950, l’évolution des technologies a suivi un cycle qui a placé d’abord l’intelligence au centre des réseaux et des architectures (l’ère des mainframes), puis en chaque point (micro-informatique, Internet). Le cloud computing replace l’intelligence au centre.
- Un changement de rapport au temps. La connectivité permanente change la manière d’accéder et de consommer l’information, en temps réel.
- L’ère des « Big Data » et du décisionnel. Les énormes volumes de données imposent de créer des interfaces plus intelligentes et permettent d’affiner les analyses prédictives.
- L’intégration du virtuel et du réel. Les prochains milliards d’utilisateurs d’Internet ne seront pas des humains mais des objets, avec la prolifération des capteurs.
- Le développement durable et le « green computing », sous l’effet des législations et de la maturité des technologies propres.
- Au-delà du téléphone et de l’e-mail. L’ère post-e-mail va intégrer différents supports de communication, les messageries instantanées et les réseaux sociaux, et la voix va devenir une simple fonctionnalité, gratuite, dans le cadre de services de communications incluant la vidéo, le transfert de fichiers et les messageries instantanées.
- Une nouvelle sociabilité numérique, liée aux possibilités de connectivité permanente.
- Des standards ouverts et une innovation coproduite.
- La banalisation de la mobilité, sous l’effet de la baisse des prix, de la demande de services et la prolifération des terminaux mobiles de plus en plus intelligents.
- La mondialisation : Internet a accéléré l’interdépendance des économies, des systèmes politiques et technologiques. Cela rend possible, pour l’industrie des technologies de l’information, d’intégrer davantage d’idées à des coûts faibles, dans un contexte où la prédominance américaine s’estompe.
- De nouveaux modèles économiques vont apparaître, issus par exemple des arbitrages entre des facturations à l’usage et des facturations forfaitaires, avec des créations de valeur davantage liées à des coproductions.