Quel modèle de maturité pour la DSI à l’ère numérique ?

Comment les DSI se positionnent-elles en fonction de leur niveau de maturité ? Il convient de prendre en compte huit axes : l’agilité, la gouvernance du numérique, l’innovation, les enjeux humains, la création de valeur, la sécurité, l’expérience utilisateur et l’écosystème numérique.

Quels sont les caractéristiques de ces axes selon une échelle de 0 à 5 ? Un groupe d’étudiants (*) en formation Executive à l’École de Management des Systèmes d’Information de Grenoble a travaillé pendant six mois, en partenariat avec l’Adira (Association pour le Digital en Région Auvergne-Rhône-Alpes), afin d’élaborer un baromètre ou modèle de maturité de la DSI adapté à la transformation numérique. Comment les DSI doivent-elles s’organiser et structurer leur management pour affronter la transformation numérique ? Dans les enjeux liés à la transformation numérique qui sont souvent cités par les entreprises, on retrouve les thèmes du changement de la relation avec les clients et de la nécessaire agilité de l’organisation pour maintenir ses performances, se renouveler constamment et plus rapidement, afin de consolider ou défendre sa position face à l’émergence de nouveaux concurrents. Les systèmes d’information existants sont souvent perçus comme des freins face à ces changements. Ceci est dû à la complexité du patrimoine existant, mais aussi à des modes de fonctionnement des DSI jugés trop éloignés des attentes des métiers et trop rigides.

Plusieurs DSI, membres de l’Adira, intéressés par cette problématique, ont accepté de nous rencontrer pour nous faire part de leurs réflexions quant aux changements liés au numérique et, ainsi, nous aider à bâtir un nouveau modèle de maturité de la DSI. L’objectif était de construire un cadre commun afin que les DSI puissent se positionner et se comparer. Cela a conduit à identifier les axes pertinents qui permettent d’évaluer la maturité d’une DSI à opérer sa propre transformation et à accompagner la transformation de l’entreprise, à l’aide d’un modèle de maturité. Dans un contexte de transformation numérique, la DSI reste une pièce maîtresse de l’entreprise en favorisant l’innovation. Mais, pour cela, elle doit, elle aussi, se réinventer et passer d’une posture d’experte technique, fournisseur d’infrastructures et de solutions logicielles, à un rôle de coach digital pour accompagner les métiers, les guider vers de nouveaux usages et promouvoir, auprès de la direction générale, les opportunités business offertes par le numérique.

Du point de vue des responsables de systèmes d’information, les challenges de la transformation numérique sont finalement moins technologiques qu’organisationnels. Les attentes qu’ils expriment concernent plus la relation avec les métiers, la gouvernance, le positionnement de la DSI par rapport à la stratégie d’entreprise ou encore la création de valeur.

Nous nous sommes attachés à définir un cadre commun d’analyse qui puisse être utilisé par chacun, quel que soit le secteur d’activité ou la taille de l’entreprise. Huit axes d’analyse ont été retenus :

  • L’agilité : au-delà des nouvelles méthodes de gestion des projets informatiques, l’évolution permanente des besoins conduit à revoir, d’une façon plus globale, le mode de fonctionnement de la DSI et l’infrastructure du système d’information. Les maîtres-mots sont flexibilité, adaptabilité, réactivité. Dans un monde complexe et en constante évolution, les demandes issues des nouveaux usages et les nouvelles formes de concurrence forcent l’entreprise et les directions métiers à réagir très rapidement. Ces évènements imprévus amènent le système d’information, par son architecture, et la DSI, par son organisation, à s’adapter pour fournir les moyens permettant à l’entreprise de rester compétitive, réactive, performante et innovante.Cela a pour conséquence une évolution vers un système d’information à deux vitesses. D’une part, un SI disposant d’un héritage lourd et difficilement évolutif. D’autre part, un SI adaptable, simple, interopérable, ouvert, flexible, évolutif et agile. Au-delà des méthodes agiles de gestion de projets informatiques, ces valeurs d’agilité, portées par la DSI, se caractérisent par la capacité d’innovation, la culture du changement, la capitalisation, l’utilisation intensive des nouvelles technologies, l’amélioration continue, l’anticipation ou encore l’intelligence collective. Elles doivent s’intégrer dans tous les processus, l’organisation, le management, les projets et dans les relations avec les métiers.
  • La gouvernance du numérique : garantir l’alignement avec la stratégie de l’entreprise et améliorer l’intégration avec les métiers sont des clés de la nouvelle organisation à mettre en place. Il faut également prendre en compte, très en amont dans les projets de l’entreprise, tous les aspects liés au numérique. Cet axe met en exergue les points d’attention induits par le numérique dans la gouvernance des SI. Les notions de gouvernance du numérique et de projets numériques sont abordées : un projet numérique est un projet SI directement créateur de valeur pour l’entreprise, que ce soit par la transformation des business models ou par la création de nouveaux modèles. Ces projets numériques bouleversent les interactions entre les collaborateurs de l’entreprise. C’est la raison pour laquelle la gouvernance des systèmes d’information évolue vers une gouvernance du numérique.
  • L’innovation : la DSI se doit d’accompagner l’entreprise pour permettre d’intégrer plus de numérique dans les innovations produits et être force de proposition pour de nouveaux services, facteurs de croissance et de préservation des marges. Mais, elle doit aussi elle-même innover, pour créer une nouvelle relation avec ses clients internes ou externes. La DSI et, plus globalement, le SI ont une double nécessité d’innover. D’une part, à l’image d’une usine digitale, la DSI doit se réinventer pour conserver un rôle à valeur ajoutée et cultiver sa différence sur un marché du numérique où de nombreux produits et services, auparavant précurseurs, deviennent de simples commodités. D’autre part, elle doit avoir l’ambition d’être un vrai partenaire des métiers, avec une réelle force de proposition, au risque, si ce n’est pas le cas, de voir ces derniers investir directement sans passer par la DSI.
  • Les enjeux humains : de nouveaux métiers liés au numérique conduisent les DSI à considérer, de façon plus attentive que par le passé, la gestion des compétences de leurs équipes. Au-delà, la DSI doit également prendre en compte l’accompagnement à la culture numérique de tous les utilisateurs du système d’information de l’entreprise. Dans un monde numérique où tout va de plus en plus vite, l’humain est plus que jamais un facteur différenciant pour l’entreprise : les compétences autres que techniques, c’est à dire liées au comportement et appelées soft skills, telles que l’agilité, la tolérance aux changements et le travail collaboratif, deviennent essentielles. La DSI, qui conserve une culture et une image techniques, doit développer de nouvelles compétences, qui vont lui permettre de passer du mode support à un mode leader, en étant force de proposition vis-à-vis des nouvelles pratiques ou en accompagnant le développement personnel des collaborateurs, en les aidant à s’approprier les nouveaux usages et en leur transmettant la culture du partage et de la collaboration.
  • La création de valeur : changer le paradigme « SI = centre de coût = mal nécessaire », expliquer ou justifier auprès de la direction générale que la DSI contribue à la création de valeur, sont des gageures auxquelles tous les DSI sont confrontés. Et pourtant, le numérique et les nouvelles technologies offrent de réelles opportunités d’innovation. En complément de sa fonction de support des activités métier, la valeur ajoutée d’une DSI réside dans sa capacité à se positionner comme levier au service de la stratégie d’entreprise. Par les services qu’elle rend et par sa capacité à accompagner, voire mener, la transformation numérique, la fonction SI crée une valeur de différenciation, c’est l’enjeu même du numérique. En effet, la transformation numérique de l’entreprise et de ses modèles d’affaires implique directement la DSI dans la chaîne de valeur en co-créant des solutions avec les métiers.
  • La sécurité de l’information : toutes les interactions amenées par le numérique créent des risques pour l’information. Éduquer, sensibiliser, accompagner les métiers et les utilisateurs s’ajoutent désormais aux tâches stratégiques liées à la sécurité qui incombent à la DSI. La dépendance croissante de l’entreprise aux SI et le contexte du numérique, avec de nouveaux usages, ainsi que l’ouverture des entreprises sur leur écosystème, font de la sécurité des SI une priorité. Les entreprises sont de plus en plus exposées à des menaces externes et internes. A l’heure du numérique, éviter la destruction de valeur passe en premier lieu par la sécurité des SI. Le vol de données de clients détruit la confiance que les consommateurs portent à l’entreprise ; l’indisponibilité répétée d’un service ou un défaut d’intégrité impacten la crédibilité de l’entreprise et, par enchaînement de conséquences, engendre une perte de clients, voire une baisse de chiffre d’affaires.
  • L’expérience client/utilisateur : au centre des nouvelles préoccupations de l’entreprise se trouve la relation avec les clients, qui devient multicanal. L’intégration de tous ces modes d’interaction reste une attente forte, mais aussi un levier majeur permettant d’enrichir l’usage qui est fait du système d’information, d’autant que les clients de l’entreprise exercent désormais une réelle influence sur la conception et la distribution des produits et services. Ces clients utilisateurs désirent être intégrés dans les processus de développement, que leurs avis soient pris en compte et que leur expérience d’un produit soit complétée d’une expérience numérique.
  • L’écosystème numérique : le recentrage sur le cœur de métier de l’entreprise amène la DSI, mais aussi les différentes directions métiers, à déléguer de plus en plus certaines opérations. La transformation numérique amène l’entreprise à repenser ses modes de fonctionnement et à devoir échanger plus d’informations, plus rapidement et plus efficacement. Le « faire » se repense davantage désormais en « faire faire ». Le système d’information doit nécessairement s’étendre vers l’extérieur de l’entreprise.

L’ouverture du SI doit permettre davantage d’interactions et d’optimisation des relations avec les partenaires de l’organisation (clients, fournisseurs, sous-traitants, prestataires…). Cette ouverture fournit l’opportunité à la DSI et aux autres directions métiers de déléguer des tâches directement à des entités externes à l’entreprise. Cette évolution, réalisée de manière réfléchie en tenant compte des risques, offre à terme la possibilité à chacun de concentrer ses compétences et ses ressources sur les rôles et actions qui apportent une réelle valeur ajoutée au cœur de métier de l’entreprise.

Les écosystèmes numériques qui se mettent en place permettent, via des interfaces (API) ou des accès contrôlés au réseau de l’entreprise, de dématérialiser certains processus, de faire faire par d’autres des tâches opérationnelles de diagnostic, de supervision, de dépannage, mais aussi de production d’informations directement dans le SI de l’organisation. •

Pour obtenir le livre blanc publié par l’Adira avec le détail du modèle de maturité : www.adira.org

(*) Eric Bosdure est RSSI, Thierry Falvo est consultant en management des SI, Guillaume Kowalkowski est ingénieur systèmes, Gaëtan Oudot est administrateur systèmes et réseaux, Valérie Sauzay est responsable du SI pour le groupe de localisation de HPE, Vincent Vermorel est responsable de domaine SI métier, Philippe Le Tertre, ex-DSI, est fondateur du cabinet Vadegis et membre actif de l’antenne Adira Grenoble.­­ Ce dernier a coordonné les travaux sur le modèle de maturité.


Quatre types de DSI

Quatre types de DSI peuvent être définis, en fonction, d’une part, du degré d’ouverture du système d’information et, d’autre part, de l’évolution des modes de fonctionnement :
183 REX
  • LinkedIn
  • Twitter
  • Facebook
  • Gmail

La DSI comme service support. Elle se comporte, de manière classique, comme une fonction support de l’entreprise. Elle éprouve des difficultés à se détacher de son rôle technique et agit plutôt de manière réactive face aux sollicitations des métiers. La gestion des projets reste sur un mode traditionnel de cycle en V et la gestion du patrimoine alourdit les évolutions du système d’information de l’entreprise.

La DSI étendue. Les attentes des utilisateurs internes, mais aussi externes, amènent la DSI à proposer de nouveaux usages, de nouvelles interactions avec l’entreprise et son système d’information. Loin de subir, elle est force de proposition et convainc les métiers de l’apport des outils numériques pour les accompagner dans la création de valeur. Les expériences client et utilisateur sont prises en compte dans les phases amont de chaque projet. L’excellence opérationnelle et la sécurité de l’information constituent les socles de cette ouverture du SI.

La DSI alignée. Le fonctionnement de la DSI est collaboratif. Les relations avec les métiers et l’alignement avec la stratégie d’entreprise sont au cœur des arbitrages et de la gestion du portefeuille des projets. Ceux-ci ne sont plus de simples projets informatiques, mais de réels projets d’entreprise transversaux, dans lesquels la DSI intervient en tant que conseillère numérique. Elle apporte sa contribution à l’innovation de l’entreprise, recentrée sur son cœur de métier et sa différenciation concurrentielle.

La DSI libérée. La DSI a réussi à se réinventer et fonctionne de manière participative avec les métiers, mais aussi avec toutes les parties prenantes de l’entreprise (fournisseurs, prestataires, clients). La co-conception de solution est devenue la règle. L’architecture du SI est orientée services et permet d’intégrer rapidement de nouvelles fonctionnalités, via des APIs, dans des projets conduits en mode agile au sein d’équipes pluridisciplinaires.


Un modèle de maturité de la DSI à l’ère numérique
 Axes de maturité  Niveau 0  Niveau 1  Niveau 2  Niveau 3  Niveau 4  Niveau 5
 Agilité  La DSI se concentre sur la gestion du patrimoine  La DSI est plus réactive que proactive  Volonté marquée d’urbaniser le SI  Agilité et flexibilité sont intégrées à la stratégie de la DSI  Démarche systématisée d’agilité pour le SI et la DSI  La DSI porteuse des valeurs d’agilité et de flexibilité
 Gouvernance du numérique  Gouvernance du numérique inexistante  Des opportunités sont saisies mais sans véritable gouvernance du numérique  Organisation spécifique pour répondre aux besoins du numérique  Définition d’une gouvernance du numérique  Culture, gestion des compétences et transformation de la fonction SI  La gouvernance repose sur les bonnes pratiques et s’améliore
 Enjeux humains  Pas de gestion des compétences  La DSI a conscience qu’il faut évoluer  Les compétences sont mises à jour en fonction des projets  La DSI met en place un plan de gestion des compétences approprié  Les compétences de la DSI sont adaptées aux nouveaux besoins  La DSI diffuse une culture basée sur les nouvelles compétences
 Innovation  La DSI est focalisée sur elle-même  Début d’ouverture grâce à l’engagement des équipes  Amorçage d’un processus d’innovation  L’innovation est au cœur de l’organisation IT  La DSI au cœur de l’innovation des métiers  La DSI contribue à l’innovation de l’entreprise
 Sécurité  Gestion de la sécurité inexistante  Gestion de la sécurité informatique  Gestion ponctuelle de la sécurité de l’information  La sécurité de l’information est intégrée à la fonction SI  La sécurité de l’information est intégrée à l’entreprise  Culture de la sécurité de l’information
Création de valeur   La DSI centre de coût  Excellence opérationnelle  Volonté de la DSI de valoriser le SI  Définition de la valeur d’usage  Valeur des SI dans le contexte du numérique  Gestion optimisée de la valeur des SI numériques
Expérience client/utilisateur   Aucun moyen de communication numérique avec les clients  Actions de communication digitale, mais de façon isolée  Une démarche intégrée se met en place  La relation client se numérise  Un SI cross-canal  “Empowerment” du client dans les processus clés de l’entreprise
 Écosystème numérique  Repli sur soi  Des ouvertures isolées et non contrôlées  Mise en place du dialogue pour répondre aux besoins métiers  La DSI, partenaire efficiente  Application systématique d’une démarche structurée  Vers l’entreprise numérique étendue
Source : EMSI, Adira.