Le cabinet Xerfi vient de publier une étude sur le conseil en stratégie et organisation face à l’IA générative. Flavien Vottero, directeur d’études, en résume les conclusions.
Quels sont les bouleversements provoqués par l’IA dans le métier du conseil ?
Produire plus à moindre coût est le nouveau mantra des professionnels du conseil. L’intelligence artificielle (IA) transforme en effet en profondeur leurs capacités opérationnelles. Ils peuvent alors gagner en productivité et monter en gamme. Avec l’automatisation des tâches à faible valeur ajoutée, le modèle organisation du partnership pyramidal et hiérarchisé pourrait également être remis en cause.
Les cabinets pourraient alors privilégier une structure plus légère avec moins de profils juniors mais davantage d’intermédiaires et seniors, capables d’exploiter l’IA. De la même façon, il y a de fortes chances que la sélection des meilleurs talents dans leur progression de carrière évolue.
Les consultants juniors auront de facto moins d’occasion d’acquérir des compétences techniques et donc de comprendre les fondamentaux du conseil puisque les tâches répétitives (collecte de données, diagnostics, reporting) seront prises en charge par l’IA.
Par ailleurs, la sécurité et la confidentialité des données deviennent critiques pour les cabinets de conseil qui doivent alors mettre en place des protocoles stricts et des solutions propriétaires pour garantir la protection des informations et rassurer leurs clients, en respectant les réglementations locales et internationales.
Le modèle de tarification traditionnel, basé sur le taux journalier moyen, montre également ses limites et pourrait s’orienter vers une facturation alignée sur la valeur générée (engagement au résultat ou forfaits avec des objectifs quantifiables).
Enfin, et surtout, comme les clients réclament désormais des solutions complètes, combinant innovation numérique et excellence opérationnelle, la personnalisation/ le sur-mesure devient désormais la règle. Cette uniformisation des modèles efface de facto les différenciations historiques entre les cabinets.
A tel point que la distinction entre conseil en stratégie et transformation pourrait bien disparaître. Avec cette vision, les leaders de la profession cherchent à s’imposer comme unique interlocuteur des clients et ainsi marginaliser les cabinets plus modestes. Au final, cette transformation stratégique de l’IA dans les processus des cabinets de conseil intervient alors que la hausse des revenus des acteurs ne devrait pas dépasser 4% en 2025.
Le discours autour du « consultant augmenté » est-il un mythe ou une réalité ?
À l’évidence, l’automatisation des tâches analytiques redéfinit le rôle des consultants en les poussant à évoluer pour conserver leur pertinence stratégique. L’émergence du « consultant augmenté » souligne la nécessité de combiner expertise organisationnelle et maîtrise des outils d’IA.
Ces professionnels deviennent essentiels pour traduire les recommandations algorithmiques en solutions adaptées aux complexités opérationnelles des entreprises. Et cela renforce la personnalisation des interventions. La notion de « consultant augmenté » occupe une place centrale dans le discours des grands cabinets.
Ils insistent alors sur la nécessité pour chaque collaborateur de se doter de compétences hybrides, entre l’expertise technique et la compréhension stratégique sur ce marché en stratégie et organisation. Ils affirment que l’IA n’élimine pas les postes mais transforme les missions, obligeant chacun à s’adapter en permanence.
Dans cette perspective, la formation prend de l’ampleur, tout comme la capacité à collaborer avec des systèmes algorithmiques avancés.
Alors que l’IA accentue l’écart entre les acteurs, quel avenir se dessine pour les cabinets de conseil de taille intermédiaire et les petites structures ?
L’utilisation de l’IA pour les tâches répétitives et chronophages est désormais une pratique courante dans le conseil. Les cabinets indépendants ne peuvent plus l’ignorer, sous peine d’être déclassés tant les gains de productivité générés sont importants.
Or, investir dans des solutions d’IA propriétaire et sécurisée est trop coûteux pour les petits cabinets. Pour autant, la transmission non contrôlée de données sensibles à des IA publique peut les exposer à des risques accrus de cyberattaques et de fuites d’informations. Sans parler des risques de dépendance technologique.
Les petites structures devront en outre composer avec l’impact déflationniste de l’IA, laquelle va peser sur leurs marges. Nous sommes convaincus que les clients seront de plus en plus nombreux à renégocier à la baisse les prix des prestations afin de récupérer tout ou partie des gains de productivité générés par l’utilisation de l’IA.
Loin d’être uniquement une menace, l’IA générative peut devenir un puissant levier de transformation pour les cabinets de taille intermédiaire. Souvent considérés comme challengers, ces acteurs peuvent en profiter pour se différencier et gagner en compétitivité. Certes, ils n’ont ni les moyens financiers ni les moyens humains des majors.
Toutefois, leur agilité leur permet d’adopter des approches plus ciblées et innovantes. Pour capitaliser sur le potentiel de l’IA, ces cabinets de taille intermédiaire peuvent ainsi développer des offres de services centrés sur cette technologie (outil d’optimisation interne par exemple) ou encore adapter leurs modèles de tarification (engagement au résultat ou facturation au forfait pour remplacer le taux journalier moyen).
Malgré tout, les acteurs de taille intermédiaire ou locale, limités par leurs moyens restreints, risquent d’être marginalisés. De quoi renforcer la concentration inéluctable du marché autour des leaders technologiques.