Passée relativement inaperçue, la réforme du droit des contrats du 1er octobre 2016 offre aux DSI de nouvelles possibilités de renégociation avec les fournisseurs et prestataires, sans avoir à déclencher d’action judiciaire.
Applicable à tous les contrats signés après le 1er octobre 2016, la nouvelle loi relative aux contrats entre sociétés intègre la jurisprudence et simplifie les démarches pour les DSI, en cas de manquement des prestataires.
Globalement, la nouvelle loi conserve les dispositions législatives antérieures et les complète, sur un certain nombre de points. Les principaux sont :
La liberté contractuelle
La liberté contractuelle est réaffirmée. Les parties sont libres de négocier ce qu’elles veulent. La plupart des clauses introduites par la réforme sont « supplétives » de la volonté des parties, c’est-à-dire qu’elles viennent en complément des contrats qui ne prévoient rien pour le cas concerné.
La force obligatoire du contrat
En contrepartie de la liberté contractuelle, la nouvelle loi rappelle la force obligatoire du contrat. Chaque partie signataire doit s’acquitter de ses obligations. Il convient donc d’être vigilant à toutes les clauses signées, notamment les clauses de limite de responsabilité, dans lesquelles les éditeurs et prestataires prévoient un plafond maximum pour tout dommage auquel ils pourraient être condamnés, toutes causes confondues. Ces clauses seront applicables dans tous les cas, sans possibilité de s’y soustraire.
L’irrévocabilité des offres
Le fournisseur qui a fait une offre ne peut la révoquer durant la période de validité de l’offre.
La fixation du prix par le fournisseur
Pour les prestations indispensables ou demandées par le client, pour lesquelles le contrat ne fixe pas de prix, le prestataire peut en déterminer unilatéralement le prix. Le client a cependant le droit de contester ce prix et d’en demander la justification (tarif officiel, prix de marché reconnu…).
La réduction de prix à l’initiative du client
En cas d’inexécution partielle des prestations, le client peut notifier au prestataire sa décision de réduire le prix convenu, après l’avoir mis en demeure d’exécuter correctement ce qui a été partiellement réalisé.
La renégociation du contrat
Le prestataire et le client ont la possibilité de demander la révision d’un contrat en cours, en cas de changement ou d’événement imprévisible au moment de la signature, introduisant un déséquilibre ou remettant en cause l’intérêt du contrat pour une partie. Les exemples de cas sont nombreux : hausse brutale du coût des matières premières ou des matériels, départ des personnes pour lesquelles des matériels ou des prestations ont été commandés…
Si, à la demande de la partie pour laquelle l’exécution du contrat est devenue excessivement onéreuse (par exemple, une extension soudaine du périmètre du parc informatique ou des licences trop chères à acquérir au regard des conditions tarifaires initialement convenues), les parties n’arrivent pas à se mettre d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut soit réviser le contrat, soit y mettre fin.
La suspension des obligations d’une partie
Le client ou le prestataire peut suspendre ses obligations, s’il est manifeste que l’autre partie n’exécutera pas ses obligations à l’échéance prévue et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves. Le client peut, par exemple, suspendre ses paiements, s’il est évident que le prestataire ne livrera pas le système promis à la date prévue.
L’obligation de bonne foi et d’information
La loi rappelle l’exigence de bonne foi et d’information des parties. Le contrat peut être dénoncé par un client, s’il est prouvé que le fournisseur a masqué volontairement des informations déterminantes (par exemple : le logiciel acquis n’est pas achevé et n’est qu’au stade de bêtatest).
La limitation des clauses abusives et l’équilibre du contrat
La loi étend aux entreprises certaines dispositions prévues pour les consommateurs, considérés comme la « partie faible ». La violence économique est désormais reconnue comme un vice de consentement, lorsqu’une partie abuse d’un état de dépendance dans lequel se trouve l’autre partie, pour en tirer un avantage manifestement excessif. Cela peut être le cas lorsqu’un éditeur augmente le prix de la maintenance, profitant du fait que le client est dépendant du système.
De même un client qui représente une grande part du chiffre d’affaires d’un prestataire peut obtenir des conditions exagérées (délais de paiement, prix des prestations tirés vers le bas…), par pression ou chantage. Dans ce domaine également, la loi interdit désormais toute clause qui prive de sa substance une obligation contractuelle essentielle. Certaines clauses abusives de limitation de responsabilités pourront donc être remises en cause. Enfin, le Code civil rappelle qu’un contrat doit être équilibré et interdit tout contrat dans lequel l’apport d’une des parties est illusoire ou dérisoire.
Le contrôle du juge sur les contrats non négociables
La loi fait une différence selon que le contrat est négociable ou non. Les obligations d’un client qui a négocié un contrat, en particulier avec l’aide de sa direction juridique, sont fermes et irrévocables. Ce type de contrat est dit de « gré à gré ».
Par contre, pour les contrats dits « d’adhésion », que le client n’a pas la possibilité de négocier, les clauses peuvent en être modifiées par le juge. C’est le cas, par exemple, d’un contrat d’abonnement téléphonique ou de certaines licences de logiciels, pour lesquels le client n’a aucune possibilité de négociation.
La limitation dans le temps
Les engagements perpétuels sont prohibés. Tout contrat doit avoir une date de début et une date de fin d’application, ce qui n’empêche pas de prévoir une tacite reconduction.
L’indivisibilité contractuelle
Une nouvelle notion d’indivisibilité contractuelle est introduite, liant plusieurs contrats. Un contrat de maintenance peut, par exemple, être lié à un contrat de licence logicielle. La caducité d’un des contrats peut entraîner automatiquement la résiliation de l’autre contrat.
La résiliation unilatérale
La résiliation unilatérale du contrat est désormais expressément prévue par le Code civil, aux risques et périls de celui qui l’entreprend. Certaines conditions doivent être respectées, comme l’obligation préalable de mettre en demeure la partie défaillante de remédier à son inexécution.
La reconnaissance des contrats et pièces électroniques
Un contrat peut être conclu par voie électronique. De même, les informations et échanges reçus par mail sont considérés comme valides.
On le voit, en cas de difficulté dans l’exécution d’un contrat, les DSI disposent de nouvelles possibilités pour renégocier, rompre leur contrat avec leur prestataire ou obtenir réparation de leurs préjudices, sans avoir obligatoirement recours à un juge. Il faut cependant respecter scrupuleusement les préalables et les règles définis par le Code civil. Il est donc recommandé de se faire assister par sa direction juridique ou un avocat spécialisé.
Ces nouvelles dispositions doivent cependant inciter les parties à prendre certaines précautions lors de la signature de contrats. Le prestataire devra veiller, en particulier, à démontrer que le contrat n’est pas un « contrat d’adhésion » et qu’il a effectivement été négocié par le client.
Il lui est également conseillé d’annexer au contrat l’ensemble des informations précontractuelles transmises au client, pour que celui-ci ne puisse pas l’accuser de lui avoir caché des informations essentielles. Enfin, il peut être important, pour le fournisseur, de bien justifier toutes les composantes du prix négocié et la réalité de ses prestations.
De son côté, le client aura intérêt à démontrer qu’il est dépendant de la solution du fournisseur et à bien lister en annexe les informations reçues du fournisseur, pour pouvoir prouver, si nécessaire, que des informations essentielles sont manquantes. De même, il pourra avoir intérêt à bien mentionner que les contrats de licences, de maintenance, d’intégration, sont liés et indivisibles.
Pour permettre une application plus facile de ces nouvelles clauses, il peut être prudent de détailler en annexe, un référentiel qualité stipulant les prestations et leur prix. Ainsi, il sera plus facile au client de proposer une réduction objective du prix, si une prestation n’est pas réalisée.
De même, le contrat pourra lister les causes précises pouvant entraîner sa résiliation par le client ou le prestataire, en évitant les clauses générales du type « un quelconque manquement à l’une des obligations du contrat. »
Enfin, comme dans tout contrat, il est vivement recommandé d’inclure une clause de médiation, obligeant les parties à rechercher une conciliation, préalablement à toute action judiciaire.
La nouvelle loi prévoit également d’autres dispositions concernant, notamment, la cession de contrats ou de créances, ou des actions « interrogatoires ». Celles-ci ont cependant un impact moindre pour les DSI. Avec toutes les nouvelles lois et obligations, la RGPD, bientôt l’« e-Privacy », les futurs DSI devront probablement être recrutés parmi les juristes ou les avocats !
Cet article a été rédigé par Corinne Thiérache, avocate spécialisée dans le droit des TIC des SI (cthierache@alerioavocats.com) et Pascal de La Faye, consultant en gouvernance (pascal@delafaye.eu).