Relations DSI-métiers : comment construire une relation de confiance

Le modèle MOE-MOA est aujourd’hui dépassé, face à la révolution numérique, aux besoins d’agilité et à la prolifération des pizza teams. Comment réinventer les liens entre les métiers et la DSI ? En bâtissant une relation de type Trusted Advisor.

Après quelques années aux Etats-Unis, je suis revenu en France pour reprendre de nouvelles responsabilités. Avec deux constats sur les organisations :

  • Des silos créés par des structures métier/PMO/MOA/MOE pas toujours comprises, peu collaboratives et générant des coûts supplémentaires, avec des duplications de fonctions…
  • Des équipes SI souvent frileuses de rencontrer les métiers et de construire une vraie relation de confiance de type Trusted Advisor…

MOA / MOE, un modèle dépassé

Rappelons tout d’abord que la notion de MOA (maîtrise d’ouvrage), comme celle de maîtrise d’œuvre (abrégée en MOE), provient, à l’origine, du domaine de la construction. Elle s’est progressivement appliquée à d’autres domaines comme les partenariats industriels, les projets de système d’information, etc.

Sans refaire l’histoire de la pensée organisationnelle informatique, un mouvement en France a vu le jour dans les années 1990 sur le thème « maîtrise d’ouvrage – maîtrise d’œuvre », qui s’est concrétisé à la fois par des articles, des ouvrages, des conférences, ainsi que par la création, en 1997, d’une association : le club des maîtres d’ouvrage des systèmes d’information.

Si la création de pôles MOA/MOE a pu apporter les bénéfices attendus à l’époque des projets « cycle en V » d’envergure (par exemple pour les ERP), la présence de quatre silos distincts (métiers/MOA/MOE/PMO) a très souvent généré d’autres difficultés, matérialisées par le classique « effet tunnel », durant lequel, le plus souvent, la communication entre les parties s’arrête.

Les difficultés les plus pénalisantes sont les suivantes :

  • Des délais de réalisation allongés et une lourdeur dans le suivi du projet (multiplication des acteurs, morcellement des responsabilités…).
  • Une confusion sur les rôles : les référentiels de conduite de projet internationaux (PMI/PMBOK, Prince2, etc.) ne reposent pas sur un modèle MOA/MOE. Pour les référentiels Prince 2 et PMI/PMBOK, il n’y a qu’un seul chef de projet en interne, avec un sponsor qui porte et promeut le projet au plus haut niveau, que celui-ci soit de nature informatique, business ou les deux.
  • Une collaboration métiers/MOA fragile, pas toujours existante et, par conséquent, peu de délégations de décisions données à la MOA.
  • Un manque de transparence de la MOE envers la MOA et inversement : les équipes MOA ont été largement formées à la technique et beaucoup de MOE « émigrent » vers les MOA, élevant d’autant le niveau de technicité de celle-ci. Elles sont de mieux en mieux formées sur les processus de l’entreprise, sur les relations avec les clients et sur la compréhension de l’expression des besoins auxquels elles peuvent de plus en plus répondre.
  • Des livrables pas toujours conformes à l’expression des besoins : les études des analystes révèlent que moins d’un tiers des projets finiraient dans les délais, en respectant le budget et avec la satisfaction des utilisateurs ou des donneurs d’ordre. Près d’un quart des projets n’aboutiraient jamais ou donneraient lieu à des solutions rapidement abandonnées après leur mise en exploitation.
  • Une augmentation des coûts due à la multiplication des rôles et des délais : avec l’avènement du digital et dans le contexte actuel qui exige performance économique, efficacité et réactivité des solutions informatiques au service des métiers et de l’entreprise, il est essentiel de revoir ce modèle pour s’orienter vers des modes de fonctionnement collaboratifs, plus fluides et plus réactifs, afin d’en faire un levier pour la transformation numérique de nos entreprises.

En conclusion, pour nous, la cohabitation n’est plus possible et le modèle MOA/MOE est remplacé par une équipe orientée métiers intégrant l’ensemble des ressources.

Comment faire ? Plusieurs axes sont possibles pour faciliter cette transformation :

  • Rapprocher la DSI et les métiers, pour construire une relation forte de partenariat de confiance. Il convient de s’assurer de la compréhension mutuelle entre la DSI et les métiers (sur les différents plans : fonctionnel, opérationnel et technique) et de renforcer les canaux de communication.
  • S’assurer du bon niveau d’implication des métiers dans les projets IT.
  • Vérifier la viabilité du business case de chaque projet lancé.
  • Responsabiliser les acteurs de la DSI et des métiers sur les engagements pris dans le business case.
  • Identifier les compétences clés qui vont porter la recon­figuration de la nouvelle relation DSI-métiers, notamment des responsables relations métiers et des chefs de projet solides, légitimes auprès des métiers, qui comprennent leurs besoins.
  • Définir/rappeler les rôles et responsabilités de chaque partie prenante.
  • Établir un plan de formation adapté pour les équipes DSI et métiers.
  • Fusionner les équipes : les équipes MOA et MOE internes ne font plus qu’une pour réaliser la solution en méthode agile. Le product owner, ou son représentant, est présent avec les différents acteurs du projet (expert métiers, architecte fonctionnel, technique, testeur, développeur logiciel, etc.) pour fabriquer par itérations successives (deux à quatre semaines) les fonctionnalités testées, validées et mises en production (DevOps).
  • Créer une « pizza team » : les ex-équipes MOE/MOA et métiers sont regroupées en mode plateau, sur un même site, mais aussi en « mode plateau virtuel ». Ce mode de fonctionnement innovant, qui est envisageable en optimisant l’usage des nouvelles technologies de communication et de vidéo-conférence, permet d’impliquer tous les acteurs et d’attirer les meilleurs profils quelle que soit leur localisation.
  • Refondre le delivery et les processus de conduite de projets, en adoptant une méthode agile sur les projets en approche bimodale. En parallèle, il convient de revoir les processus et d’identifier les redondances dans les activités MOA/MOE (pilotage budgétaire SI, pilotage des projets, activités de tests/recette, reporting, etc.), afin de les simplifier et de les optimiser.
  • Faciliter l’innovation technologique dans le processus de conduite des projets, autorisant le prototyping, la prise de risque et le droit à l’erreur.
  • Réévaluer en permanence les processus et les livrables dans une démarche d’amélioration continue.

Comment construire une relation client de confiance, de type Trusted Advisor ?

La réussite de la création d’une relation de confiance entre les métiers et la DSI dépend de l’implication de l’ensemble des acteurs et de leur volonté commune à établir des relations durables et performantes.

La mise en œuvre d’une gestion des relations métiers crédible repose sur le bon fonctionnement des processus de support, de la gestion de la demande et une bonne qualité des livrables, dans des délais satisfaisants. La DSI doit, avant tout, établir des processus de production fiables et de qualité, mis en œuvre par une équipe compétente qui entretient des relations efficaces avec les utilisateurs.

La gestion des relations métiers s’appuie sur des compétences non techniques et des soft skills. Les responsables des relations métiers communiquent clairement, savent négocier, écouter, gérer les conflits et bâtir des alliances. Ils savent travailler en équipe sur les problématiques complexes, au-delà des frontières organisationnelles de l’entreprise.

Le rôle doit être défini et expliqué tant au niveau des métiers que de la DSI. Il faut bien distinguer ses responsabilités de celles des gestionnaires de projets, des gestionnaires de services, des gestionnaires de ressources et des architectes d’entreprise.

Dans un premier temps les étapes suivantes doivent être considérées par le responsable des relations métiers :

  • Établir la relation avec les entités clientes : il s’agit d’instaurer un climat de confiance, à l’aide de rencontres entre les entités clientes et les responsables informatiques.
  • Expliquer le rôle au sein de la DSI et faire adhérer : il s’agit d’informer l’organisation sur le rôle et les responsabilités assurées par le manager des relations clients, afin de prévenir les inévitables zones de frottements avec les autres acteurs de la DSI.
  • Veiller à la résolution des incidents : cela passe par la mise en œuvre d’un help desk efficace, qui résout les incidents et s’assure de la satisfaction des clients.
  • Mesurer la satisfaction des clients : il s’agit de mesurer le niveau de satisfaction par rapport aux services offerts, de manière à établir une référence servant de base de travail.
  • Initier le cadre de mesure de la performance : à ce stade, le reporting doit être principalement axé sur la résolution des incidents, la gestion du portfolio métiers et la gestion de la demande.

Le rôle crucial du responsable des relations métiers

De son côté, le responsable des relations métiers s’assure notamment de :

  • Mettre en place le cadre de mesure de la performance : les indicateurs doivent être formulés de façon à être compris par les clients. Ils portent notamment sur les bénéfices générés par le système d’information, la satisfaction des clients, la bonne gestion des demandes et le nombre de problèmes résolus par l’intervention du responsable des relations métiers.
  • Gérer la demande, évaluer et justifier les besoins : le responsable des relations métiers met en œuvre les processus de collecte et de formalisation des besoins, de préparation des business cases et de priorisation des projets, en coordination avec les entités clientes.
  • Développer les scénarios et les solutions : le responsable des relations métiers identifie les différents scénarios d’évolution possibles, dans le cadre du business case, et s’assure de la réalisation des bénéfices après la mise en œuvre de la solution.
  • Gérer le catalogue de produits et services : le catalogue permet aux entités clientes de comprendre ce que fait et ne fait pas la DSI. Il contribue à renforcer un dialogue autour de la valeur perçue des services, améliorant ainsi la qualité et la crédibilité des relations DSI/métiers.
  • Rester proactif : le responsable des relations métiers doit anticiper les besoins des entités clientes et s’assurer que la DSI est prête à y faire face. Pour se préparer, il assure une veille régulière sur les tendances métiers et technologiques. En outre, il coordonne la planification des activités métiers-SI et analyse les indicateurs de performance de la DSI, afin de prévenir les retards et d’améliorer l’efficacité générale.

Lorsque le climat de confiance et de respect s’installe, les métiers s’impliquent et consultent naturellement la DSI, en amont du processus de transformation de l’entreprise. C’est ainsi que s’instaure une réelle relation de confiance de type Trusted Advisor.

Cet article a été rédigé par Thierry Leleu, DSI de La Mutuelle Générale.