Retail : un secteur en profondes mutations autour de la data et de l’expérience client

Le secteur de la grande distribution est probablement l’un de ceux qui a été historiquement la plus bousculé : il l’a déjà été, dans un premier temps, avec l’apparition des surfaces libre-service, essentiellement alimentaires, puis du discount et de l’intégration de multiples enseignes, au sein de centre commerciaux. De même, l’essor du e-commerce a rebattu les cartes. Pour résumer, nous sommes passés, historiquement du cabas au chariot, puis du chariot au clavier.

Aujourd’hui les acteurs du secteur sont confrontés à de nombreux challenges : une recomposition des points de ventes, une offensive encore plus agressive du hard discount en période de crise, la puissance du e-commerce, une profonde transformation des modes de consommation, des exigences d’expérience client et de personnalisation, un impératif d’omnicanalité, sans oublier une tension sur les marges, que la crise n’a pas arrangé. « Le Retail est un business de masse avec des faibles marges, gérées au quotidien », a rappelé, lors d’une table-ronde organisée par le Club de la Presse IT B2B, Guillaume Jonglez, directeur Retail Transformation chez Oracle EMEA.

Des investissements IT à la hausse

Pour ce dernier, le contexte actuel s’avère difficile : « La prolifération des canaux de vente complexifie la relation avec les clients. Le secteur évolue dans un environnement de type VUCA (volatilité, incertitude, complexité, ambiguïté). Cela se traduit par des pertes de parts de marché, la nécessité d’avoir toujours les bonnes informations sur les consommateurs, la multiplication des points de contacts avec les clients et la difficulté de générer du cash à court terme, tout en investissant pour le long terme. Mais il reste difficile de prévoir la demande par canaux de vente. »

De fait, les investissements en technologies du secteur de la distribution vont augmenter. Toutefois, ceux-ci ont été historiquement moins élevés, en proportion du chiffre d’affaires, par rapport aux autres secteurs. Selon le Digital leadership report 2021, publié par Harvey Nash et CIOnet, ils pèsent environ 8 % du chiffre d’affaires.

C’est mieux que le secteur automobile (environ 5 % du CA), mais beaucoup moins que dans les secteurs des médias (19 %), de la finance (15 %) ou même que le secteur public (14 %), la moyenne tous secteurs confondus s’établissant à 13 %.

Gartner prévoit que la distribution sera le deuxième secteur qui connaîtra la plus forte croissance de ses investissements IT, avec 4,9 % de hausse moyenne, juste derrière les transports (6 %). « Beaucoup de retailers lancent des projets de data customer platform, avec un enjeu majeur : comment récompenser les clients qui acceptent de communiquer leurs données, de manière à identifier les comportement et segmenter les consommateurs », observe Guillaume Jonglez. Pour Anne Sourdin, spécialiste du marché Retail chez Dell Technologies, « le retail est en première ligne en période de crise. L’enjeu est de développer l’expérience client sans couture entre les ventes en ligne et en magasins. »

Mais le chantier est d’importance : « Le Covid a rapproché les deux mondes, celui du e-commerce et celui des points de vente, les acteurs du secteur ont donc été contraints d’accélérer les projets déjà en gestation en 2018-2019. Mais il leur faut une certaine agilité pour reconfigurer en parallèle ces deux mondes », diagnostique Eric Bornet, directeur commercial France chez Juniper Networks.

Un diagnostic partagé par Bruno Husson, responsable du marché Retail chez Mitel : « Seulement 2 % des consommateurs n’ont jamais acheté en ligne, mais après le Covid, les consommateurs sont revenus dans les magasins, il faut donc faire coexister les deux mondes : le e-commerce et les points de vente. »

Quatre scénarios pour le retail

Pour le secteur du Retail, les analystes de Gartner ont défini quatre scénarios à l’horizon 2025, qui caractérisent l’usage des technologies de l’information et correspondent à quatre impératifs de modernisation des systèmes d’information :

– la vitesse, avec des technologies qui supportent de nombreuses transactions avec des temps de réponse très courts.

– L’invisibilité, avec des technologies qui favorisent la performance des Back Offices de manière transparentes pour les consommateurs, les fournisseurs et les acteurs de la chaîne logistique. « Le consommateur ne veut pas faire d’effort ni prendre de risques : l’enjeu est de supprimer les frustrations en maximisant la qualité », analyse Guillaume Jonglez, d’Oracle.

– L’élasticité, avec des technologies qui personnalisent l’expérience client et favorisent l’agilité/réactivité par rapport à l’évolution des usages et des comportements des consommateurs. « Pour beaucoup de retailers, Amazon constitue un benchmark en termes de relation client et de logistique, surtout dans un contexte d’accélération de la transformation digitale et d’exigences de flexibilité et de temps réel. Il faut capter les signaux faibles sur tous les canaux de vente. Les distributeurs disposent d’énormément de données, l’enjeu est de les désiloter pour créer des plateformes de données et pouvoir les croiser pour prendre les bonnes décisions, dans une logique d’intelligence artificielle et de Machine Learning », analyse Arnaud Chiffert, responsable commercial Retail & CPG chez Snowflake.

– La robustesse, avec des technologies capables de gérer d’énormes volumes de données, en temps réel, tout en personnalisant l’expérience client. Selon l’étude e Retail Guide to the Global Customer Experience Benchmarking Report publiée par NTT, 75,6 % des retailers disposent d’un certain degré de personnalisation mais seules 4,8 % des enseignes peuvent personnaliser proactivement la relation client.

La crise fragmente le marché

Pour les analystes de Xerfi, la crise va accentuer la fracture numérique entre les distributeurs : « Malgré ses 20 ans révolus, le e-commerce, qui est la première grande étape de la transformation digitale du commerce de détail, recouvre encore aujourd’hui des réalités très différentes selon les distributeurs : les leaders (moins de 1 % des sites) réalisent à eux seuls 70 % du total des ventes en ligne. », souligne l’étude de Xerfi, publiée en 2020, sur la transformation digitale dans la distribution.

Outre le développement du e-commerce, la construction d’une architecture omnicanale est la deuxième étape de la transformation digitale des distributeurs. Expression d’une organisation désormais tournée vers le client, elle est fondamentale pour capter et fidéliser les consommateurs. « Là encore, les distributeurs sont à des stades d’avancement variables, mais l’omnicanalité est un processus sans fin. Les enseignes doivent s’adapter en permanence pour intégrer et interconnecter des modes et des dispositifs de vente toujours plus nombreux. Le futur proche concernera l’intégration des outils du commerce conversationnel (chatbots et voicebots, notamment associés aux messageries instantanées et assistants vocaux intelligents) », analyse Xerfi.

Un deuxième chapitre de l’omnicanalité est néanmoins en train de s’ouvrir. Il concerne en particulier les distributeurs multi-enseignes qui ajoutent une pierre à leur édifice omnicanal en interconnectant physiquement et virtuellement leurs différents réseaux.

C’est un terrain sur lequel des groupes tels que Fnac Darty et Galeries Lafayette ont commencé à s’aventurer, créant des shop-in-shop offline et online ainsi que des dispositifs web-to-store entre leurs enseignes. « Le champ des possibles s’en trouve décuplé et les schémas organisationnels (systèmes d’information, dispositifs logistiques, plateformes de commerce unifié) complexifiés », notent les auteurs de l’étude Xerfi.

L’exploitation des données : une priorité

La création de départements et d’infrastructures data est la troisième étape de la transformation digitale des distributeurs. L’exploitation des données permet de personnaliser la relation et l’expérience client.

La connaissance client représente également un levier pour développer de nouvelles activités, susceptibles d’être monétisées auprès d’entreprises tierces, via des régies publicitaires internes afin de proposer des espaces publicitaires aux annonceurs mais aussi des datas transactionnelles transformées en segmentations clients permettant des ciblages ultra-fins.

C’est le sens du lancement de régies publicitaires comme Carrefour Media ou ConsoRégie par E.Leclerc ces dernières années. Vu son coût peu élevé, sa réactivité (rapidité de création d’une campagne internet) et son efficacité en termes de génération de revenus et de retour sur investissements, l’e-publicité devrait en particulier tirer son épingle du jeu. Les budgets des annonceurs vont en effet subir d’importantes coupes en 2020.

Le magasin du futur n’oubliera pas l’humain

Que sera le magasin du futur ? Pour Arnaud Chiffert, de Snowflake, il s’articulera autour de trois problématiques principales : « L’automatisation des tâches pour gagner en efficacité opérationnelle, la singularité de la proposition du magasin et la fidélisation des collaborateurs, car c’est ce qui crée du lien avec les consommateurs. » Ce dernier point est fondamental, comme le pense Bruno Husson, de Mitel : « L’humain reste au cœur du retail, même dans les magasins sans personnel, il y a besoin de conseil et de confiance. »

Eric Bornet, directeur commercial France de Juniper Networks, prévoit, pour sa part qu’à moyen terme, « on observera un renforcement de l’engagement client et une unification des expériences. » en particulier grâce à une exploitation des données : « Le magasin de demain doit devenir intelligent avec les technologies, la data est un actif formidable pour gagner en rentabilité », assure Anne Sourdin, de Dell Technologies.

Nul doute que les technologies vont encore bouleverser le monde de la grande distribution. Mais les comportements et les stratégies resteront en ligne avec les fondamentaux du commerce : « On en revient toujours aux préoccupations basiques de tout retailer : ma marge, mon produit, ma promo, ma vente… », résume Guillaume Jonglez.