Rompre les relations commerciales : anticiper les risques en sept questions

Rompre les relations commerciales établies avec un prestataire peut paraître simple et sans risque. La faculté de rompre une relation commerciale ne requiert, en principe, que le fait d’informer à l’avance son cocontractant de sa volonté de dénoncer la relation.

Depuis la loi nº 96-588 du 1er juillet 1996, le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale, établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et en respectant une durée minimale de préavis déterminée, est répréhensible.

Si ce délit de rupture des relations commerciales visait à l’origine le rééquilibrage des relations entre les acteurs de la grande distribution, notamment pour protéger les fournisseurs contre les déréférencements abusifs, ce délit s’est étendu progressivement à toutes les relations d’affaires entre professionnels.

1. Comment définir une relation commerciale établie ?

Toute relation commerciale, régie ou non par un contrat, peut être qualifiée d’établie si cette relation a un caractère « suivi, stable et habituel », selon les termes de la cour de cassation. Ainsi, peut être considérée comme établie toute relation dont la stabilité peut légitimement faire espérer, à la victime de la rupture, une poursuite des relations sur les mêmes bases. Cette « stabilité » peut se déduire d’une succession de contrats pour caractériser une relation commerciale établie.

2. Comment définir le caractère brutal d’une rupture des relations ?

Est jugée brutale, une rupture de contrat qui est imprévisible ou soudaine. Autrement dit, une rupture qui ne peut être raisonnablement anticipée par la partie lésée. Le caractère brutal de la rupture s’apprécie essentiellement eu égard au caractère précaire ou stable de la relation, la rupture d’une relation précaire ne pouvant être considérée comme brutale. L’absence de préavis, ou l’insuffisance de préavis, peut conduire à considérer la rupture des relations comme brutale.

3. Comment définir le caractère partiel ou total d’une rupture des relations ?

Une rupture peut être considérée comme partielle ou totale en cas de diminution significative de commandes ou du déréférencement partiel de produits, sans un délai de préavis suffisant. La modification substantielle des dispositions financières d’un contrat peut constituer une décision susceptible d’être requalifiée de rupture partielle de la relation commerciale.

4. Comment définir une durée raisonnable de préavis ?

Le délai de préavis minimal est défini pour certaines activités (fourniture de produits sous la marque du distributeur) en fonction des usages et d’accords interprofessionnels ou d’arrêtés ministériels.

Dans les autres cas, l’appréciation du caractère raisonnable de la durée d’un préavis relève des seuls juges, lesquels fondent leur conviction sur la durée totale de la relation commerciale, le degré de dépendance économique du partenaire, les difficultés d’écoulement des stocks, les perspectives de reconversion, la nature des produits ou des services vendus.

La durée raisonnable de préavis d’une relation commerciale établie doit donc prendre en compte l’état de dépendance économique. Ainsi, plus la dépendance est importante, plus le préavis doit être long. En pratique, la moyenne du préavis accordé par les juges est d’un mois par année d’ancienneté des relations.

L’appréciation du délai de préavis se fait au moment de la notification de la rupture, sans tenir compte d’autres éléments pouvant survenir après la rupture (reconversion ou changement d’activité dans des conditions favorables).

5. Comment notifier la rupture d’une relation commerciale ?

La rupture doit être notifiée par écrit et peut résulter notamment de la notification du recours à un appel d’offres faisant courir le délai de préavis.

6. Comment évaluer les conséquences financières d’une éventuelle qualification de rupture brutale d’une relation commerciale établie ?

Le préjudice qui découle d’une rupture brutale de relations commerciales établies est constitué de la perte subie ou du gain dont la victime a été privée. Ce préjudice peut être évalué en fonction de la durée du préavis jugé nécessaire et en considération de la marge brute escomptée, durant la période d’insuffisance de préavis, calculée sur la moyenne des trois derniers exercices clos. Rappelons que le préjudice n’est pas celui causé par la fin de la relation commerciale établie, mais celui causé par la brutalité de la rupture.

7. Comment limiter les risques et anticiper les conséquences d’une rupture ?

  • Par un audit des contrats en cours : compte tenu de la jurisprudence actuelle, mettre fin à une relation commerciale nécessite l’anticipation de toutes les « relations à risques », au moyen d’un audit des contrats en cours. Cela permet d’analyser de façon approfondie, au cas par cas, les risques pouvant découler d’une rupture des relations commerciales, eu égard au caractère stable ou non de la relation, à la brutalité éventuelle de la rupture envisagée et à la durée du préavis applicable.
  • Par une adaptation de la politique contractuelle : le caractère établi ou la stabilité d’une relation commerciale se déduisant de la nature et de l’historique des relations contractuelles, il convient d’adapter sa politique contractuelle de manière à limiter, autant que possible, tout élément de nature à caractériser une relation établie (contrat cadre, chiffre d’affaires minimum garanti, reconduction tacite sans mise en concurrence, exclusivité).

En effet, la conjonction de ces éléments suffit à qualifier le caractère établi d’une relation commerciale. A contrario, l’absence de contrat cadre, d’exclusivité et de chiffres d’affaire minimum garanti, ainsi que le recours systématique à une procédure d’appel d’offres à l’issue de chaque contrat, permet d’écarter le caractère établi de la relation, comme la Cour de Cassation l’a encore très récemment jugé, en novembre 2014. Tous ces éléments doivent donc être pris en compte dans le cadre d’une révision de la politique contractuelle de chaque donneur d’ordre.

Enfin, rappelons les limites de la clause dite de « diversification », dont l’efficacité est toute relative, notamment en l’absence de mesures concrètes permettant de contrôler son exécution effective, telles que des réunions de comités de suivi ou points de rendez-vous réguliers et spécifiques, permettant de s’assurer que le prestataire met en œuvre des actions de nature à développer sa clientèle et/ou à restructurer son activité.

Cet article a été écrit par Franklin Brousse (avocat).


Notre avis

Il est tentant de se séparer d’un fournisseur en utilisant la manière forte. Mais c’est rarement la bonne approche. La tendance est à la rationalisation du portefeuille de fournisseurs et de prestataires de services. Cette stratégie n’est pas l’apanage des grands groupes, toutes les entreprises sont concernées, dès lors que diminuer le nombre de fournisseurs permet de réduire les coûts.

Dans beaucoup de cas, la rupture des relations commerciales, si elle est brutale, conduit à fragiliser des prestataires qui n’ont que peu de clients et dont la stabilité financière repose sur la durée de leurs contrats avec leurs clients. Privilégier la rupture brutale n’est pas souhaitable, sauf si, bien sûr, le prestataire devient totalement incompétent et risque de mettre en péril le système d’information.

Il peut également arriver qu’un prestataire soit particulièrement agressif, par exemple des éditeurs de logiciels qui considèrent que les audits de licences constituent un excellent moyen de faire rentrer de l’argent facile dans leur compte d’exploitation et ainsi embellir leurs résultats trimestriels. Dans ce cas, une rupture brutale des relations commerciales peut se justifier. Il faudra alors considérer les indemnités de rupture comme des éléments à prendre en compte dans la négociation avec le fournisseur.

Il est préférable d’anticiper, de manière à les « accompagner vers la sortie » en douceur. Plusieurs scénarios de rupture sont ainsi à anticiper : l’altération des compétences du prestataire (changement de consultant, appauvrissement des fonctionnalités d’un logiciel…), un contexte de fusion, avec des fournisseurs en doublons, des coupes budgétaires, un changement de politique contractuel inacceptable pour le client ou des conflits personnels. Dans certains cas, la négociation peut éviter une rupture de la relation commerciale. Dans d’autres, le manque d’anticipation conduira l’entreprise à sortir son chéquier…