Selon le baromètre Expectra des salaires des cadres, dans le secteur informatique et télécoms, la progression moyenne des salaires avait atteint 1,3 % en 2017. Expectra anticipe une hausse de 2,7 % pour 2018. Comment s’explique cette évolution favorable ?
Après plusieurs années de hausse modérée, mais régulière, les salaires cadres connaissent une augmentation significative de 2,7 % entre 2017 et 2018. Cette hausse, inédite depuis 2012, ne doit rien au hasard. « Ils bénéficient d’une conjoncture porteuse, marquée par un taux de chômage inférieur d’un point au plein emploi. Encouragés par un rapport de force favorable, et une tendance des entreprises à privilégier les hausses individuelles, les cadres ont retrouvé des marges de manœuvre pour négocier leur rémunération. Cette situation confirme en outre des tensions de plus en plus nettes sur certains profils », souligne Christophe Bougeard, directeur général d’Expectra.
Sécurité et gestion de projet à la hausse
Toutes les filières sont impactées par la transformation numérique et les entreprises doivent faire appel à des profils de plus en plus qualifiés. « L’enjeu se situe aussi au niveau de la formation pour faire monter en compétences leurs collaborateurs, si elles veulent pouvoir s’adapter à ces changements et rester concurrentielles », précisent les auteurs de l’étude. Les salaires des chefs de projet Web/marketing figurent en tête de la progression, avec +9,5 % en un an et un salaire médian de 39 900 euros. Autres fonctions plutôt favorisées : les ingénieurs sécurité (+7,9 %) avec un salaire médian de 42 270 euros et les chefs de projet informatique/études, avec un salaire médian de 44 670 euros, en hausse de 7,4 %.
La croissance économique du secteur IT reste stable et bien orientée pour 2018 avec une perspective d’accroissement de +3,6% du chiffre d’affaire. Cette évolution s’explique par les projets de transformation numérique des entreprises, de plus en plus nombreux, et tirés par la cybersécurité, l’Internet des objets et l’intelligence artificielle. Selon l’étude, « cette tendance devrait s’accélérer dans les prochaines années avec l’arrivée de la Blockchain. Enfin, le développement du e-commerce, notamment le m-commerce (commerce en ligne via mobile), qui atteint, en 2017, 28 % des ventes en ligne contre 20 % un an plus tôt, favorise cette tendance. »
Les effets de la pénurie des compétences
D’après les auteurs de l’étude, quatre raisons expliquent ces bonnes perspectives d’évolution des salaires :
- Comme en 2017, la tendance est toujours à la modernisation des infrastructures réseaux pour accompagner la transformation numérique des entreprises.
- Il y a une forte pénurie sur certaines compétences concernant l’architecture et la sécurité des systèmes informatiques, à l’instar du métier d’ingénieur sécurité qui enregistre une hausse de salaire de +7,9 %.
- Certains profils très pointus, maîtrisant des langages informatiques spécifiques ou les technologies cloud, sont extrêmement recherchés.
- Les métiers liés au développement d’applications et de logiciels, et les profils maîtrisant les méthodes agiles, connaissent également une forte tension sur le marché de l’emploi.
Willis Towers Watson, autre cabinet de recrutement, anticipe également de bonnes perspectives pour les rémunérations dans le secteur des technologies de l’information avec, pour 2019, une hausse de 2,6 % en moyenne, après 2,5 % en 2017 et 2,4 % en 2016. D’après l’Apec, dans l’informatique, 41 % des cadres ont reçu une augmentation en 2017, contre 46 % en moyenne, toutes fonctions confondues.
Aux Etats-Unis, la moitié des DSI (46 %) ont bénéficié d’une augmentation de salaire, selon le CIO Survey 2018 publié par Harvey Nash et KPMG. C’est nettement plus que les années précédentes, un tiers seulement des DSI américains avaient obtenu une hausse de leur rémunération entre 2015 et 2017. Toutefois, la majorité des augmentations sont très faibles, inférieures à 5 % : seulement 30 % des DSI augmenté l’ont été de plus de 30 %. Autre bémol : les Chief Digital Officers sont bien mieux lotis, puisque les deux-tiers d’entre eux ont bénéficié d’une progression de leur rémunération.
Pourquoi la hausse va continuer
Les charges salariales représentent environ un quart des budgets des DSI, d’après une analyse publiée en 2016 par PWC. Les augmentations de salaires vont donc avoir un impact sur le niveau des coûts. La pression à la hausse va se poursuivre pour au moins trois raisons :
• A court terme, la difficulté est de fidéliser les collaborateurs et de pérenniser leurs compétences, notamment parmi les plus jeunes. Selon une étude publiée par Monster et YouGov le 20 septembre 2018 sur la génération Z et ses rapports au travail, bien que cette génération se dise satisfaite de son emploi actuel (72 %), la majorité (53 %) des jeunes salariés français pense actuellement à changer de travail. S’ils avaient le choix, 14 % des 18-24 ans le quitteraient à très court terme. Et s’ils étaient amenés à quitter leur emploi demain, huit français sur dix (82 %) de la GenZ seraient confiants dans leurs compétences.
Une étude de Hellowork sur les développeurs révèle des chiffres intéressants : 84 % d’entre eux pensent changer d’entreprise d’ici cinq ans et même un sur quatre songe à changer de métier. De même, 62 % des développeurs sont à l’écoute des offres d’emploi et 17 % se disent en recherche active. Ils sont d’ailleurs très sollicités par les recruteurs : 28 % d’entre eux reçoivent plus de quatre propositions de poste par mois, le salaire restant la première motivation pour 75 % des développeurs.
• A moyen terme, le poids de l’organisation intervient dans la mesure où tout changement prend du temps. Ainsi, remplacer une part significative des collaborateurs les plus âgés ou les moins adaptés aux compétences de demain, par des plus jeunes et mieux alignés avec les technologies qui seront utilisées, ne peut se faire en quelques mois. A cela s’ajoute les problèmes de performance, de productivité et d’engagement.
Au niveau mondial, 87 % des salariés ne sont pas engagés vis-à-vis de leur entreprise, selon Gallup. Ce sont ceux qui portent peu d’intérêt aux clients, à la productivité, à la profitabilité de l’entreprise, ainsi qu’aux objectifs de l’organisation ou aux problématiques de sécurité. Ils monopolisent le temps de leurs managers, sont davantage responsables des défauts de qualité des produits, souvent absents. Leur objectif principal : défaire ce qui a été fait (résolution de problèmes, innovation, acquisition de nouveaux clients…).
Quant à l’ambiance de travail, qui peut aggraver le turn over ou brider la productivité (donc le coût salarial par unité produite), une étude d’ADP, publiée en septembre 2018, conclut qu’un tiers des salariés européens est mécontent de la qualité du management au travail et que plus d’un salarié sur dix s’inquiète du fait que leur supérieur hiérarchique les connaît « à peine ».
De même, plus d’un salarié sur dix n’a « aucune confiance » en la qualité de son manager. Parmi les autres causes de mécontentement professionnel, on trouve le sentiment d’insécurité (34 %) ou le fait de se sentir mal à l’aise (44 %).
• A long terme, les tensions sur le marché du travail, qui sont déjà très sensibles, vont persister, en particulier pour les développeurs. Une étude de « Tech In France » a dévoilé, courant 2018, que 85 % des entreprises éprouvent des difficultés pour recruter des profils techniques. Des résultats qui corroborent une autre étude de 2017 montrant que 84 % des entreprises françaises avaient du mal à recruter des candidats expérimentés dans le DevOps,79 % d’experts de la cybersécurité et 73 % de spécialistes des API.
D’après une nouvelle étude de CA Technologies-YouGov, aujourd’hui, malgré l’omniprésence du numérique à tous les niveaux de nos vies personnelles et professionnelles, le métier de développeur informatique ne fait pas recette. « Victime de nombreux clichés et d’idées reçues un peu datées, la profession souffre d’un déficit de notoriété qui explique en partie la carence actuelle en profils spécialisés », diagnostique Antoni Minniti, Research Executive chez YouGov.
Si 84 % des millenials ont « déjà entendu parler » de la profession de développeur informatique, ils ne sont que 26% à déclarer la « connaître parfaitement ». On note ici une forte disparité entre les hommes et les femmes : 38% des hommes « savent parfaitement en quoi consiste ce métier » contre seulement 15% des femmes.
« Le manque d’appétence vient du manque de connaissances et les femmes s’orientent plutôt vers d’autres cursus et on pense généralement que le métier de développeur est d’abord un métier d’homme », souligne Marie-Benoîte Chesnais, directrice technique chez CA Technologies, pour qui « à l’heure où l’IA et l’automatisation suscitent beaucoup d’angoisse en terme d’emploi, l’information et la formation apparaissent comme des remparts contre ces scénarios dystopiques. »
Source : Focus on engagement, value and outcomes to eliminate the boundary between business and IT, Gartner Symposium 2017.
Moins de généralistes, davantage de profils hybrides
Il faudra de toute façon, modifier la structure des compétences. D’après Gartner, les profils hybrides vont devenir beaucoup plus nombreux dans les DSI, au détriment des généralistes ou des experts (Voir graphique). Actuellement, les deux-tiers des profils dans les DSI concernent des profils experts et généralistes. Mais, dans trois ans, leur part diminuera (de 68 % à 61 %) au profit de profils hybrides, multidisciplinaires et orientés métiers, dont la proportion passera de 17 % en 2017 à 30 %.
Pour favoriser cette hybridation, plusieurs approches sont possibles : créer des équipes multidisciplinaires, recruter à l’extérieur de l’entreprise, favoriser la mobilité interne dans la DSI et avec les métiers, pratiquer le mentoring ou créer des centres d’excellence.
DSI et RSSI : des salaires en forte hausse… aux Etats-Unis
Selon le cabinet Janco Associates, la rémunération moyenne des DSI américains a augmenté de près de 10 % en 2018, passant de 195 762 dollars en 2017 à 214 707 dollars en 2018. Pour les RSSI, la progression est beaucoup plus faible (+ 3,5 % en un an), avec une rémunération de 163 838 dollars en 2018, contre 158 244 dollars en 2017. Tous postes confondus, le salaire moyen a augmenté de 4,3 % en 2018, soit 91 000 dollars, contre 87 175 dollars en 2017.
Source : Mid-Year 2018 IT salary survey, Janco Associates.
Quels salaires pour les fonctions SI ?
Le cabinet PageGroup a publié ses grilles de rémunération des fonctions systèmes d’information. Pour des expériences de cinq à quinze ans, les montants (annuels, bruts) sont les suivants :
- DSI : 80 à 150 k€.
- Directeur des études et développement : 70 à 120 k€.
- RSSI : 90 à 120 k€.
- Directeur de production : 70 à 110 k€.
- Directeur du digital : 80 à 120 k€.
- Directeur technique e-commerce : 80 à 120 k€.
- Responsable PMO : 50 à 70 k€.
- Administrateur de bases de données : 60 à 80 k€.
- Auditeur informatique : 60 à 100 k€.
- Manager de contrats : 60 à 90 k€.
- Consultant (ERP, BI, CRM…) : 55 à 80 k€.
- Urbaniste, architecte SI : 80 à 120 k€.
Source : Etude de rémunérations 2018, PageGroup, 100 pages.
Les compétences technologiques de demain
En analysant les compétences de plus de 24 millions de personnes qui apprennent par le biais d’Udemy, plateforme mondiale d’apprentissage et d’enseignement en ligne, on peut identifier les dix compétences technologiques qui se développent le plus rapidement en 2018.
- Les réseaux neuronaux ou Deep Learning. Les réseaux neuronaux artificiels imitent la façon dont le cerveau humain traite, stocke et agit sur l’information. Sa puissance peut être exploitée pour presque tous les secteurs d’activité : sites d’e-commerce (analyse du panier d’achat), finance (prévention de la fraude par carte de crédit), santé (prévention des maladies) ou agriculture (gestion des cultures).
- La gestion de projets. La gestion de projets est une compétence en pleine expansion : 87,7 millions de gestionnaires de projets seront nécessaires d’ici 2027, selon le Project Management Institute.
- Apache Kafka. Utilisé par les entreprises comme Uber, Twitter ou Airbnb, Apache est un différenciateur pour les entreprises qui cherchent à garder une longueur d’avance. Sa capacité à fournir des données en temps réel et à appliquer l’analyse prédictive permet d’étudier le comportement des clients.
- GraphQL. Alors que les applications mobiles deviennent de plus en plus complexes et riches en données, GraphQL (développé par Facebook) optimise les performances mobiles en redessinant la collecte de données.
- Chef Software. De nombreuses entreprises utilisent Chef pour contrôler et gérer leur infrastructure Internet, il n’est donc pas surprenant que Chef soit la sixième compétence la plus populaire.
- Kotlin. Le langage de programmation Kotlin v1.0 a été lancé en 2016 comme alternative à Java pour le développement d’applications Android. La participation à des cours de Kotlin a augmenté de 95 % l’an dernier, ce qui en fait la première compétence en technologie en 2018.
- Certification Microsoft. Azure, SQL Server, Windows Server et Microsoft Office (Excel, Word, Outlook et Powerpoint) ont toujours leur place dans le classement des compétences les plus populaires.
- Intelligence artificielle. Les compétences en intelligence artificielle sont très demandées, dans tous les secteurs, et nous n’en sommes qu’aux prémisses.
- Ethereum et Blockchain. Semblable aux chaînes de blocs de Bitcoin, Ethereum permet d’exécuter du code dans n’importe quelle application décentralisée pour gérer les enregistrements ou les transactions.
- RPA (Robotic Process Automation). Tout comme les robots physiques ont révolutionné l’industrie manufacturière, les robots logiciels ont maintenant un impact sur l’ensemble de l’économie, en permettant d’automatiser des tâches répétitives relativement simples, par exemple la saisie d’informations, la copie de données ou les connections à des applications…