SAP à ses clients : « Votre argent m’intéresse… même indirectement »

Le groupe agroalimentaire Diageo a été condamné, par un tribunal britannique, à payer 64 millions d’euros à SAP. L’éditeur réclame des droits de licences pour des accès indirects à la solution SAP de la part d’applications tierces, en l’occurrence Salesforce. Ce sujet cristallise les relations entre l’éditeur et ses clients.

Les clients de SAP ont une vision différente de celle de l’éditeur, arguant du fait que leurs données leur appartiennent et qu’il n’y a pas lieu de payer des licences. Claude Molly-Mitton, président de l’USF (association des utilisateurs francophones de solutions SAP), l’avait d’ailleurs rappelé fin 2016 : « Les données appartiennent à ceux qui les créent, pas à ceux qui les gèrent. » Logique… D’autant qu’il n’existe pas de définition claire des accès indirects et que les applications liées aux objets connectés font craindre le pire. On peut comprendre les velléités des éditeurs de facturer tout ce qu’ils peuvent facturer, en période de ralentissement de la croissance des ventes de licences, suivant en cela le slogan du rapport annuel 2015 de SAP : « Reimagine your business ».

L’USF a réagi à cette décision du tribunal britannique : « Notre sentiment est que la victoire de SAP est une victoire à la Pyrrhus. Cette affaire donne un signal négatif : elle risque de faire fuir certains prospects et clients de SAP, car elle constitue une épée de Damoclès pour les utilisateurs » commente Claude Molly-Mitton, Président de l’USF. Rappelons que cela fait plusieurs années que l’USF s’est emparée du sujet des accès indirects. Selon le Président de l’USF, « cette problématique devient très concrète, en étant portée pour la première fois devant les tribunaux.

Car dans cette affaire, SAP UK n’hésite pas à réclamer au client des redevances qui doubleraient le montant des droits de licence investi sur les systèmes SAP depuis douze ans par ce client. Même si le contexte contractuel est ici à la fois assez ancien et manifestement spécifique, cette affaire risque de soulever davantage de doutes auprès des clients qui croient avoir réglé un prix définitif pour leurs actifs SAP. »

De son côté, pour Patrick Geai, Vice-Président de l’USF et Président de la Commission pratiques commerciales avec SAP, « nous assistons, depuis plusieurs années, à une recrudescence des alertes d’utilisateurs SAP, dont 90 % s’estimaient insatisfaits sur la clarté du descriptif des accès indirects lors de notre dernière enquête de satisfaction fin 2016. L’USF a également déjà alerté à de nombreuses reprises l’éditeur sur la forte insatisfaction des clients suite aux audits de licences. »

En février 2016, l’USF a d’ailleurs lancé un Groupe de Travail, conjointement avec le Cigref, sur les audits de licences SAP. Un livre blanc sera publié sur ce sujet en juin 2017. « Dans ce contexte, cette affaire donne toutefois une caisse de résonnance majeure à un problème que l’USF a été longtemps bien seule à dénoncer, mais aussi, espérons-le, poussera SAP à clarifier publiquement sa position sur le sujet, ce qu’elle n’a jamais fait à ce jour », concluent Patrick Geai et Claude Molly-Mitton.

L’USF et SAP France se sont d’ailleurs immédiatement rapprochés pour organiser rapidement un nouvel échange concret sur le sujet. Cette problématique est évidemment mondiale, pas seulement européenne. L’USF a sollicité le SUGEN (SAP User Group Executive Network), réseau international des 20 plus importants clubs d’utilisateurs SAP au monde (sauf DSAG) et dont la présidence est assurée par Gianmaria Perancin, vice-Président de l’USF, pour qu’il adresse très rapidement ce problème au plus haut niveau avec SAP.

L’éditeur pourrait poursuivre dans la voie judiciaire et, fort de sa victoire devant les tribunaux, entend soumettre à licence tout ce qui ne l’est pas encore et qui touche de près ou de loin à une solution SAP. Ce serait une stratégie très risquée, pour au moins trois raisons. D’abord, parce que rien ne dit que l’éditeur gagnera à tous les coups, même si l’on peut supposer que la méconnaissance des juges des enjeux des technologies de l’information est générale. Ensuite, les clients ne vont pas se laisser faire, en particulier en France, où la puissance, l’indépendance et l’influence de l’USF ne sont plus à démontrer. Enfin, une telle stratégie serait mauvaise pour l’image : on n’a jamais vu un éditeur sortir renforcé d’un bras de fer durable avec ses clients…