Dans cet ouvrage, Bruno Salgues, directeur d’études au sein de la direction de l’innovation de l’Institut Mines-Télécom, spécialiste des technologies de l’information et de la communication, dessine les contours de l’industrie du futur et de ses conséquences sociétales.
Selon lui, « cette société 5.0 est encore souvent mal appréhendée. Elle s’appuie sur une série de concepts : automatisation, dématérialisation, digitalisation, industrialisation, « servicisation », qui bousculent la vie économique et politique, occasionnant l’émergence de nouveaux acteurs, mais également la mort d’organisations puissantes et reconnues. »
Il y est bien sûr question de technologies, parmi lesquelles l’intelligence artificielle, la robotique, les plateformes numériques et l’impression 3D, mais également de leurs conséquences sur les grands sujets de société que sont le vieillissement de la population, le management des entreprises, l’éducation et la formation, ou encore la gestion du réchauffement climatique. « Les mutations qui nous conduisent vers cette nouvelle société sont complexes, souvent brutales, mais bien réelles », souligne l’auteur.
Une place prépondérante pour l’innovation
Il rappelle d’ailleurs que le terme « Société 5.0 » est apparu au Japon en 2016, dans un document gouvernemental. Elle se définit comme « la société de l’intelligence dans laquelle l’espace physique et le cyberespace sont fortement intégrés. » Elle succède aux quatre autres sociétés : la société du chasseur-cueilleur, la société agricole, la société industrielle et la société de l’information.
Dans la société 5.0, l’innovation occupe une place prépondérante. Ce fut le cas dans les étapes précédentes, mais ce qui en fait la spécificité est qu’elle « ne se définit pas par des vagues d’innovation, mais par la façon dont les innovations ont changé la société », précise l’auteur, pour qui « la société 5.0 apparaît comme la volonté d’équilibre des recherches d’optimum des quatre sociétés précédentes. » Cette société 5.0 laisse une place à l’industrie, qui, dans un contexte numérique, a quatre caractéristiques : la décentralisation des décisions, l’interopérabilité et l’automatisation, la transparence de l’information et la virtualisation, ainsi que l’assistance technique des humains par des robots.
Bruno Salgues distingue plusieurs types d’usines du futur : l’usine 4.0 avec sa chaîne logistique intégrée ; l’usine « technologie-clé », fondée sur un procédé très différenciateur ; l’usine « artisan-industriel », qui fait du sur-mesure ; l’usine orientée client, dans laquelle c’est ce dernier qui actionne les processus ; enfin, l’usine low cost, qui repose sur une approche Open Source.
Le règne de la co-construction
Plus généralement, la société 5.0 est celle du « Co », comme co-construction, coopération, coordination, collaboratif… Cette approche est même devenue, selon l’auteur, un « mode de compréhension du consommateur », au lieu de la réductrice et simple analyse de satisfaction. Et modifie les stratégies marketing, avec, par exemple, le marketing de l’intrusion par les réseaux sociaux et les diverses plateformes ou le marketing de l’engagement et de la confiance.
La société 5.0 est également celle de la « servicisation », par laquelle un produit, ou l’une de ses fonctionnalités, est associé à un service. On le voit avec les modèles basés sur l’abonnement, le paiement à l’usage ou la location, qui se substituent à l’acte d’achat. « C’est une évolution majeure de nos sociétés, elle a pour conséquence des changements dans les acteurs dominants et l’importance du rôle des plateformes », estime l’auteur.
Cependant, nous sommes dans une ère caractérisée par la fin des innovations majeures, contrairement aux XIXème et XXème siècles qui ont connu de nombreuses avancées technologiques (le téléphone, l’ampoule électrique, la télévision, l’ordinateur, le Web, le téléphone mobile…). C’est désormais l’innovation par le design, les usages, les services, l’ergonomie ou les interactions qui domine. Autrement dit, avance l’auteur, l’innovation a davantage la pensée marketing comme vecteur.
Elle est fondée sur le postulat que la technologie s’impose au marché et a une influence sur les modes de vie. Pour Bruno Salgues, « le paradigme de l’innovation est celui d’un équilibre complexe entre viabilité, faisabilité et désirabilité. Ces trois mots-clés remettent en cause l’acceptabilité qui provenait d’un changement dans l’innovation incrémentale. »
Des modes de management moins contraints
La société 5.0 a évidemment un impact sur les modes de management. Pour l’auteur, « elle se caractérise par une vision holistique du management. Il s’agit d’abandonner les structures réfléchies par avance et sources de coûts de coopération et de dépenses dues aux nécessaires mises en relation et en cohérence. » Avec le développement, par exemple des concepts de corporate hacking, de sociocratie ou d’entreprise libérée, fondée sur l’intelligence collective, l’auto-organisation, la prise de décision distribuée.
Peut-on, raisonnablement, dégager une vision prospective ? L’auteur ne le pense pas : « La société 5.0 est inéluctable, le poids des acteurs économiques qui s’y engagent et l’influence non contrôlable des technologies qui en sont le support sont indéniablement ses deux points forts. Il faut malheureusement constater que la prévision est inapplicable, car la société 5.0 est en rupture. Il en est de même des méthodes de prospective. »
Société 5.0, industrie du futur, technologies, méthodes et outils, par Bruno Salgues, ISTE Editions, 2018, 294 pages.