Technologies : les résistances s’organisent

«La technologie, telle qu’elle se développe aujourd’hui, est porteuse de formidables espoirs… Mais elle est aussi intrusive, dominatrice et un instrument d’enfermement dans des univers codifiés et manipulés » affirment les trois économistes, auteurs de cet ouvrage, Jean-Hervé Lorenzi, professeur d’économie à l’université de Paris-Dauphine et président du Cercle des économistes,

Mickaël Berrebi, financier et membre de l’Institut des actuaires, et Pierre Dockès, professeur d’économie honoraire à l’université Lumière-Lyon 2. Selon eux, jamais, dans l’histoire humaine, le progrès technique n’a donné autant de pouvoir à quelques acteurs privés, en l’occurrence les GAFA américains ou leurs équivalents chinois, les BATX. « Ils ont su remplacer le politique en imposant un nouveau modèle sociétal, qui en vient à menacer nos démocraties », affirment les auteurs.

Mais, face aux géants numériques et financiarisés, se développe une « résistance diffuse et plurielle. La solution ne viendra pas seulement des États. Citoyens, start-up, hackers, ONG agissent, collectivement et dans leurs pratiques les plus individuelles, pour résister. Ils refusent de laisser conduire leur vie, leurs pensées, leurs choix philosophiques par un quelconque Big Data anonyme. »

D’un point de vue économique, et contrairement à ce que l’on pourrait conclure, l’accumulation d’innovations ne conduit pas à une élévation de la productivité. Plus globalement, les auteurs mettent en exergue quatre évolutions de la société : « la haine sur les réseaux sociaux, le cauchemar des discours sur l’intelligence artificielle, la folie d’une finance algorithmique et le nouveau prolétariat numérique. Aucune loi ne permettra de rompre cette implacable logique de développement. »

Une dictature technologique ?

Sommes-nous dans un monde marqué par la dictature de la technologie ? Pour les auteurs, « un tout petit nombre de firmes géantes se partage le monde Internet. Si la compétition est vive entre elles, elles ont collectivement la maîtrise du processus innovateur (…), même si elles affichent un visage avenant. » Les auteurs rappellent que, historiquement, les grandes innovations « réalisées par des entreprises à vocation monopolistique ont été conçues et mises en œuvre de telle façon qu’elles renforcent leurs agencements et confortent leurs positions dominantes. Il en va de même des innovations communicationnelles. »

C’est, aujourd’hui, le règne de l’intrusion, avec la capture de données privées. Même si le principe n’est pas nouveau (les systèmes de fichage policier sont très anciens), c’est, pour les auteurs, « une nouvelle forme de totalitarisme », on le voit en Chine avec le système de crédit social, dans lequel les individus sont notés selon leur comportement.


Diverses formes de résistance

Face à ces tendances lourdes, des formes de résistance s’organisent. Les auteurs en identifient six :

  1. La résistance contre la surveillance et pour la réappropriation des données, avec trois stratégies possibles : « la voix », pour inciter les entreprises à corriger leurs pratiques ou les pouvoirs publics à légiférer, « la sortie », lorsque l’on décide de ne plus utiliser les plateformes ou les applications qui siphonnent les données personnelles, et « la résistance », avec le développement d’alternatives, telles que l’application TOR ou le moteur de recherche Qwant, qui ne collecte pas les données de navigation des internautes.
  2. La résistance contre la déification de la technologie, qui loue les bienfaits liés aux algorithmes prédictifs, à la voiture connectée, aux villes numériques, à la santé et à l’enseignement en ligne ou aux multiples objets connectés : cette résistance est celle des « défenseurs des valeurs humanistes, c’est-à-dire la résistance portée par ceux qui estiment qu’aucune technologie ne pourra jamais se substituer à l’homme. »
  3. La résistance contre la virtualisation du monde et l’addiction au numérique, lorsque tout est digital et tout est connecté à tout. On observe ce mouvement par exemple avec le retour des disques vinyles ou de la photographie argentique.
  4. La résistance contre l’abandon du pouvoir, par les politiques, aux grandes entreprises technologiques, par exemple en matière d’optimisation fiscale, de lutte contre les pratiques monopolistiques ou de retard dans la régulation juridique.
  5. La résistance contre l’information en continu et les Fake News, dans un contexte de surcharge informationnelle où « le risque de prise de décision sous-optimale devient alors très élevé », pointent les auteurs.
  6. La résistance contre la substitution de l’homme par l’intelligence artificielle qui ne se fera pas par des protestations verbales, plutôt vaines, mais, suggèrent les auteurs, par le fait de rendre tous les individus, quelle que soit leur catégorie socio-professionnelle, « capables de s’adapter rapidement aux évolutions technologiques, et à plusieurs reprises dans leur vie professionnelle. »

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La nouvelle résistance, face à la violence technologique, par Jean-Herbé Lorenzi, Mickaël Berrebi et Pierre Dockès, Eyrolles, 2019, 168 pages.