Technologies, processus, clients : les trois voies de la modernisation des DSI

La dernière analyse de l’Insead et de CIOnet révèle que les DSI européens orientés technologie seront, pour la première fois, minoritaires en 2016. Au profit des DSI orientés processus et clients.

Comment distingue-t-on un DSI orienté technologie, d’un autre orienté processus ou d’un troisième orienté client ? « A la structure de leur emploi du temps, dès lors qu’ils consacrent une part prépondérante de leurs activités (souvent plus de la moitié), soit aux problématiques technologiques, soit à l’optimisation des processus, soit aux clients », répond Niels Fondstad, directeur associé de l’Insead et auteur du 2014 Digital Leadership Report publié en partenariat avec le réseau européen de DSI CIOnet.

Si, jusqu’à présent, la répartition des DSI a été plutôt équilibrée (voir tableau), on devrait assister, au cours des deux prochaines années, à une évolution significative : les DSI orientés processus (un sur deux) et clients (un sur trois) vont devenir largement majoritaires. « Il n’y a évidemment pas de catégorie meilleure qu’une autre, chacune a ses mérites, tout dépend du contexte de l’entreprise et de la vision stratégique du management », ajoute Niels Fondstad. Lors de la conférence CIO City qui s’est tenue en juin 2014 à Bruxelles, trois DSI ont été désignés « CIO de l’année », chacun dans une catégorie : Nuno Miller, DSI de Farfetch, Jeroen Tas, DSI de Philips Healthcare, et Federico Florez, DSI de Ferrovial.

Répartition des DSI européens selon leurs activités principales
Type de DSI 2011 2013 2014 2018
DSI orientés technologie 37 % 34 % 36 % 15 %
DSI orientés processus 41 % 41 % 39 % 49 %
DSI orientés clients 22 % 25 % 25 % 36 %
Source : Insead, CIOnet. L’étude est téléchargeable avec le lien suivant : lc.cx/best134-1

 

Un exemple de DSI orienté technologie : Farfetch, ou comment absorber la croissance externe

Farfetch est une place de marché e-commerce britannique, lancée en 2008, spécialisée dans la mode (vêtements, sacs, chaussures, bijoux, accessoires…) et qui fédère environ un millier de marques. L’entreprise affiche une forte croissance, le chiffre d’affaires est passé de 27,5 millions d’euros en 2011 à 140 millions en 2013. La totalité du chiffre d’affaires dépend de la disponibilité du site Web. Sur les 370 collaborateurs de Farfetch, un cinquième travaillent à la DSI, soit 75 personnes.

Lorsqu’il a pris le poste de CIO, en 2011, Nuno Miller constate que les niveaux de services concernant les serveurs ne sont pas suffisants. Il décide alors de les répartir dans deux datacenters, avec des niveaux de services différents, très élevés pour les serveurs et les transactions critiques. L’élaboration d’un catalogue de services, l’analyse de l’impact business de chaque service, la définition de l’architecture et l’implémentation des solutions a duré un an. En parallèle, certains outils, par exemple pour la gestion d’incidents, ont été transférés sur un cloud privé. Résultat : la nouvelle plateforme e-commerce a pu supporter une croissance du trafic journalier de 300 %, avec des pics à plus de 1 000 %, et le taux de disponibilité est passé de 99,5 % à 99,95 %.

L’amélioration de la productivité des équipes de la DSI a permis de générer une économie de 200 000 euros. L’une des sources de productivité a été la refonte du processus d’alimentation du catalogue de produits. Chaque saison, environ 50 000 produits sont intégrés au site et sont photographiés, souvent en doublons. La mise en œuvre de plusieurs points de contrôle a permis de dénombrer 25 % de produits en doublons, entraînant des pertes de productivité des équipes estimées à 20 %. Continuer à accompagner la croissance de Farfetch et s’adapter au fait que la DSI est passée, en trois ans, de 13 à 75 personnes, nécessite de modifier les modes de gouvernance et de gestion de projets. Nuno Miller a organisé ses équipes en plusieurs pôles d’expertise et a institué les méthodes agiles (Scrum) comme mode de fonctionnement. Afin d’aligner l’IT sur les priorités business, le DSI élabore une roadmap annuelle, avec une mise à jour trimestrielle. Tous les projets font l’objet de réunions de priorisation toutes les trois semaines, avec des mises en production sur un même rythme.

Un exemple de DSI orienté clients : Philips Healthcare, ou comment centraliser l’information sur les consommateurs

En 2011, juste deux semaines après sa prise de fonction, le nouveau PDG de Philips Healthcare a recruté un nouveau DSI, Jeroen Tas. Historiquement, l’entreprise était organisée par business units relativement autonomes. L’une des missions du nouveau DSI a été de changer la manière de travailler des équipes, ainsi que les processus. Le groupe néerlandais a initié le programme de transformation Accelerate! L’un des points clés était de changer la culture et les comportements, en privilégiant la collaboration entre les équipes multicompétences.

La DSI a ainsi mis en œuvre de nouveaux mode de fonctionnement avec les métiers, de manière à développer des solutions plus rapidement et de façon plus interactive. En particulier avec les méthodes agiles, auxquelles un millier de collaborateurs de la DSI a été formé. L’une des facettes du plan de transformation de Philips a concerné la manière de collecter et de gérer l’information. Il s’agissait, en particulier, de raccourcir le cycle entre la collecte de l’information sur les clients et la prise de décision. Le DSI a créé un groupe spécialisé dans l’EIM (Enterprise Information Management), chargé de définir les modèles de données et qui a la responsabilité des mesures de performance et du décisionnel.

« Nous contrôlons les données (par exemple celles relatives aux clients, aux produits, aux fournisseurs ou à la finance) de sorte qu’avec des « usines à données » nous soyons capables de gérer les données de référence et de mesurer en temps réel les bons indicateurs pour les métiers », explique Jeroen Tas. Une solution cloud permet également à ces derniers de disposer des informations, entre autres, sur les clients, les ventes. Côté innovation, le DSI a mis en place un Digital Accelerator Lab, avec des experts en design, en marketing-ventes et en technologies de l’information, coproduisant des solutions métiers. En janvier 2014, Philips a créé son entité Healthware Informatics Solutions and Services dédiée au marché des hôpitaux et du secteur de la santé. Cette entité propose des programmes cliniques sur mesure, des analyses de données avancées, ainsi que des plateformes interopérables dans le cloud qui sont nécessaires au déploiement de nouveaux modèles de soins. Une entité dont le patron n’est autre que… Jeroen Tas, promu de DSI à PDG !

Un exemple de DSI orienté processus : Ferrovial, ou comment restructurer la DSI

Ferrovial est un groupe espagnol de 66 000 personnes et de plus de 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires, spécialisé dans les infrastructures de transport (routier, aérien, services publics). Lorsqu’il a pris ses fonctions en 2008, le DSI a trouvé une situation caractérisée par l’empilement d’une dizaine de systèmes d’information, due à de multiples opérations de croissance externe, chacun disposant de ses propres fournisseurs, et très focalisée sur la gestion des infrastructures. Sa première action a été de simplifier et d’intégrer les fonctions IT de manière cohérente.

L’un des leviers a été l’externalisation des infrastructures et des réseaux, ce qui a réduit les coûts de 20 %. De même, les achats IT ont été centralisés, d’où 25 % d’économies. Le plus difficile reste de transformer la DSI, centre de coûts, en centre de création de valeur. L’une des initiatives de Federico Florez a été de créer des fonctions communes IT-métiers, dont la mission est de travailler conjointement avec les métiers pour mieux intégrer leurs besoins. Résultat : en trois ans, le taux de satisfaction des utilisateurs vis-à-vis de la DSI est passé de 4 à 7 sur une échelle de 1 à 10. Le dernier volet mis en œuvre concerne l’innovation.

Federico Floreza proposé à sa direction générale de créer une équipe dédiée. Forte de cinquante personnes, une centaine d’idées est examinée par an. Elles donnent lieu au lancement d’une trentaine de projets, par exemple pour optimiser la gestion de l’énergie dans les bâtiments. L’approche retenue est plus proche de la start-up que de la multinationale, avec prise de risques et élimination rapide des projets qui ne délivrent pas suffisamment de valeur. La prochaine étape va consister à renforcer l’innovation ouverte. ce qui devrait être facilité par le fait que Federico Florez n’est plus CIO, mais CIIO (Chief Information and Innovation Officer)…

 

 Trois problématiques, trois stratégies
 Problème à résoudre  Symptômes  Principales solutions
Gérer la croissance externe de l’entreprise Garantir la performance du SI Des engagements de services disparates et insuffisants
  • Élaborer des SLA adaptés à la criticité des applications
  • Construire un catalogue de services
  • Mesurer l’impact business de chaque application
  • Implémenter un outil de suivi des incidents
  • Transformer la gouvernance et la gestion de projets, avec une priorisation périodique
  • Introduire les méthodes agiles
  • Définir une roadmap et la mettre à jour régulièrement
Mieux connaître les consommateurs Obtenir une vision globale des clients Temps de collecte des données clients trop long
  • Raccourcir le temps de développement des solutions métiers
  • Changer le processus de collecte de l’information avec une solution d’EIM (Enterprise Information Management)
  • Définir un modèle de données
  • Clarifier les responsabilités en matière de décisionnel
  • Mesurer en temps réel l’évolution des indicateurs de performance
Transformer le positionnement de la DSI Organiser la cohérence des infrastructures et des achats  Coexistence de multiples systèmes
  • Externaliser les infrastructures et les réseaux
  • Centraliser les achats IT
  • Créer une fonction IT-Métiers
  • Dédier des ressources à l’innovation ouverte
Source : CIOnet, Digitalonomics.