La transformation digitale est très fréquemment associée à des bouleversements technologiques, à des changements organisationnels, à des évolutions de business modèles ou à des reconfigurations de portefeuilles d’offres. Le volet compétences et ressources humaines apparaît trop souvent sous-estimé, alors que, comme dans tout projet ambitieux de transformation d’une organisation, tous les chantiers numériques doivent être menés de front. On ne peut donc concevoir que la transformation numérique laisse subsister un décalage entre les ambitions et les compétences nécessaires, voire un déficit qui serait préjudiciable pour la création de valeur.
Un impératif : réduire la dette RH
Comme tout déficit budgétaire crée une dette financière, un déficit de compétences génère une dette RH, à l’image de la dette technique associée à des systèmes technologiques vieillissants qui coûtent de plus en plus cher à maintenir. Et plus le temps d’adaptation des compétences est important, plus les « intérêts » à payer sont élevés… D’autant que la masse salariale pèse en moyenne pour 40 % des budgets des DSI et, pour les plus grandes entreprises, les pyramides des âges sont relativement déséquilibrées, imposant une transformation drastique.
Comment, dès lors, éviter que ne se crée une dette RH qui, si elle n’est pas gérée, ne se transforme en une véritable faillite de compétences ? Il convient de mettre en œuvre un IT Workforce Strategic Planning, c’est-à-dire la capacité à anticiper les besoins de l’entreprise et les impacts des changements sur les métiers et les compétences. Concrètement, la démarche comporte quatre étapes.
La première consiste à élaborer une roadmap de la transformation, avec les budgets associés, à un horizon de trois à cinq ans. Seconde étape : à chaque métier/compétence est associée une charge à produire. La troisième phase correspond à l’évaluation des surcapacités ou des sous-capacités de compétences à moyen et long terme.
Enfin, la quatrième étape porte sur les différentes stratégies de sourcing à mettre en œuvre pour acquérir les compétences adaptées, en fonction de l’organisation cible. Une étude du cabinet Garner, publiée en novembre 2017, a analysé la structure actuelle des compétences dans les DSI et élaboré une projection à trois ans. Aujourd’hui, les profils généralistes et spécialistes représentent plus de 80 % des emplois mais n’en pèseront plus que 70 % à un horizon de trois ans, au profit des profils polyvalents, orientés métiers, dont la proportion va doubler, passant de 17 % aujourd’hui à 30,2 % en 2020.
Trois challenges pour les DSI
Dans ce domaine, les entreprises, et les DSI, qui sont en première ligne, ont à faire face à trois challenges. D’abord, le rythme du renouvellement des compétences, beaucoup rapide dans des contextes de transformation digitale que par le passé. Ensuite, on observe une prolifération des nouveaux métiers, tels que les Product Owners, les Scrum Masters, les coachs agiles, les Data Analysts ou les UX designers.
Ces fonctions deviennent incontournables dans la plupart des entreprises et s’intègrent dans des équipes pluridisciplinaires. Outre les nouveaux métiers, d’autres, plus anciens, souffrent de tension sur le marché du travail, par exemple les ingénieurs logiciels, les experts en agilité ou en gestion de données. La capacité de formation des écoles d’ingénieurs reste inférieure aux besoins des entreprises, de l’ordre de 20 000 personnes chaque année.
Enfin, au-delà des aspects purement quantitatifs, les compétences relationnelles (soft skills) deviennent aussi importantes que les compétences techniques, ce qui complexifie le processus d’ajustement entre les talents et les besoins.
DSI-DRH : une collaboration vertueuse
On s’en doute, ces challenges ne peuvent être menés à bien que si s’instaure, très en amont, une étroite collaboration entre les DSI et les DRH. Cette coopération s’articule autour de trois missions communes. D’abord, avec la capacité à projeter, en s’appuyant sur les référentiels existants, les emplois et les compétences ; il s’agit de définir et d’affiner régulièrement les écarts entre les compétences existantes et souhaitées, par exemple avec des entretiens ou des processus d’autoévaluation, auxquels les DRH sont rôdées.
Ensuite, les DSI et les DRH définissent ensemble les impacts à venir, ainsi que les priorités en matière d’accompagnement des collaborateurs concernés, sans oublier la consultation et l’information des instances représentatives du personnel, en tenant compte des contraintes du droit du travail. Elles agissent comme les pilotes de la mobilité.
Enfin, DSI et DRH ont besoin de communiquer vers la direction générale et le Comex. Pas uniquement pour dégager les budgets nécessaires à la transformation des compétences, mais pour expliquer, ou réexpliquer, les enjeux, la démarche privilégiée et obtenir un soutien indispensable au plus haut niveau. Car l’un des effets de la transformation des compétences réside dans la remise en cause des missions des managers intermédiaires. Ceux-ci se positionnent moins dans un cadre hiérarchique et davantage avec une attitude d’accompagnement de la transformation des compétences, disposant d’une vision globale, plus proche de la notion de centre de compétences.
Face à ce qui constitue déjà, aujourd’hui, un défi significatif pour les DSI et les DRH et s’annonce déjà comme un virage majeur au cours des prochaines années, qu’il ne faudra pas rater, la stratégie la plus pertinente se résume en trois principes d’action : anticiper pour mieux transformer l’organisation, évaluer pour mieux ajuster les compétences, communiquer pour mieux mobiliser les parties prenantes…