Transformer les DSI en entités orientées services

Rémy Berthou, DSI de la branche Infrastructures de la SNCF, préside l’itSMF, association qui fédère les utilisateurs du référentiel Itil. Retour sur dix ans de progression de la sensibilisation et des usages d’Itil dans les DSI des entreprises françaises.

L’itSMF va fêter ses dix ans. Qu’est-ce qui a changé en dix ans ?

Rémy Berthou L’itSMF France (Information Technology Service Management Forum), association à but non lucratif indépendante des constructeurs et éditeurs informatiques, représente les principaux utilisateurs d’Itil (Information Technology Infrastructure Library) de tous les secteurs d’activités. Nous avons accompagné l’émergence et le déploiement d’Itil en France et par ce fait, suivi la maturation de ces bonnes pratiques dans les DSI françaises.

Rappelons-nous qu’au début des années 2000, peu de DSI connaissaient vraiment le référentiel Itil, uniquement celles qui œuvraient dans des contextes internationaux. Dix ans après, Itil est devenu un standard de fait qui fait partie des bases de la gouvernance des systèmes d’information. C’est aujourd’hui un outil de développement des activités et de professionnalisation des services informatiques. Depuis une décennie, l’itSMF a vécu toutes les étapes de la croissance de l’usage d’Itil : de la diffusion de la sensibilisation, des inévitables interrogations, de l’essor des formations jusqu’à la mise en place de projets et de solutions concrètes. Résultat : la maturité des DSI s’est fortement développée.

Y-a-t’il encore des marges de progression en matière de maturité des DSI vis-à-vis d’Itil ?

Rémy Berthou Il reste encore d’énormes marges de progression. En effet, la transformation des DSI en entités orientées services s’effectue très progressivement. De plus en plus, les processus internes, domaine privilégié d’application d’Itil, deviennent une colonne vertébrale pour structurer une DSI dans l’objectif, demandé par les directions générales que le système d’information, dans son mode opérationnel, soit le plus optimal pour sa qualité, ses coûts et son adaptation aux enjeux métiers. Avec Itil, nous sommes donc, clairement, au cœur de la transformation des organisations, de la conduite du changement des équipes et de l’industrialisation des services. On ne peut cependant pas affirmer que tout a été fait… De fait, notre rôle, à partir des réalisations de nos membres reste d’ouvrir le dialogue et les échanges sur cette vision d’une DSI qui s’aligne sur les attentes de ses clients internes en mettant en place des services agiles (lire cet article).

Comment cette approche s’intègre-t-elle avec les autres référentiels de la DSI ? Observez-vous une convergence ?

Rémy Berthou Nous avons évité la prétention d’élaborer un référentiel (unique) des référentiels. Itil s’est dès l’origine positionné non pas comme une norme, mais comme un corpus de bonnes pratiques, suffisamment souple pour s’interfacer avec d’autres référentiels. La convergence se réalise donc de manière naturelle, principalement par une complémentarité des domaines. Autrement dit, par rapport aux autres référentiels, Itil se positionne davantage sur le terrain des bonnes pratiques et des retours d’expérience plutôt que dans la définition d’une norme. Itil n’est absolument pas un obstacle à l’intégration d’autres référentiels, et c’est même l’un des plus faciles à intégrer.

2012 apparaît comme une année de transition : mais vers quoi ?

Rémy Berthou Nous travaillons sur la problématique de l’agilité et celle de la transition du « build » vers le « run ». Aujourd’hui, Itil est positionné comme un référentiel pour gérer des services opérationnels. Itil V3 insiste beaucoup sur le cycle de mise en place des services mais, pour parvenir à un état stable, il importe de développer une stratégie de transition vers les services, dans laquelle l’aspect construction-mise en œuvre est tout aussi important que celui relatif à la gestion. On le constate dans tous les projets de transformation : passer d’un mode conceptuel à un mode opérationnel n’est pas simple… Et, au quotidien, évoluer du monde projet au monde opérationnel pose encore des problèmes aux DSI, notamment pour faire cohabiter les études et la production, ou pour associer les notions de services au plus tôt dans le cycle de vie des développements. C’est sur ce point que nous souhaitons développer les échanges, dans le cadre de l’itSMF.

Pour l’agilité, on retrouve le même principe. Par rapport à un service qui, aujourd’hui, fonctionne, comment peut-on imaginer un nouveau projet qui puisse faire évoluer ce service, et dans quelles conditions. De même, lorsqu’une entreprise souhaite modifier le rapport qualité-prix d’un service, quels mécanismes doivent être mis en œuvre ? Dans la mesure où les transformations et adaptations doivent être de plus en plus rapides, cela nécessite un outillage et un mode de pensée spécifiques.

Reste-t-il encore des obstacles à l’adoption d’Itil par les DSI ?

Rémy Berthou Je n’en vois pas par rapport à Itil lui-même. Il est largement démontré que l’on sait le mettre en œuvre dans n’importe quel type d’entreprises, grandes ou petites, et de manière locale. Il existe évidemment plusieurs moyens d’aborder Itil. Le seul obstacle reste la prise de conscience de ces notions de services qui feraient qu’une DSI, se reconnaissant dans un modèle d’entité de support et de services, n’envisagerait pas pour autant de se doter des moyens qui lui permettraient d’engager la réflexion nécessaire sur son organisation et ses processus. C’est davantage un obstacle intellectuel ou de maturité des managers qu’un obstacle méthodologique ou technique.

Quelles vont être les évolutions d’Itil dans les années à venir ?

Rémy Berthou Dans la mesure où les systèmes d’information sont de plus en plus orientés services, on peut imaginer qu’Itil devienne un référentiel qui ne demeure pas cantonné à l’IT, mais que d’autres entités d’une organisation, qui, elles aussi, privilégient sur les centres de services, soient séduites par les principes d’Itil. Il a d’ailleurs été démontré que cela est possible (*). Il peut donc y avoir une généralisation des concepts Itil, avec les mêmes prérequis : une stratégie claire, une orientation utilisateurs, des moyens pour le faire et des processus transverses. Ce serait une sorte d’universalisation du concept… •

(*) Cf. « Convergence IT et non IT dans les services : est-ce possible et utile ? », Best Practices Systèmes d’Information, n° 88, 14 mai 2012.


La genèse d’Itil

Itil (Information Technology Infrastructure Library) a été initialement développé dans les années 1980 sous la pression du gouvernement britannique pour améliorer l’efficacité et diminuer les coûts de l’administration, dans une logique de libéralisation. La version 3 a introduit de nombreuses évolutions, dont la plus importante a consisté à réagencer et à compléter les processus décrits dans la V2, afin de prendre en compte le cycle de vie du service dans son ensemble. Le nouveau modèle Itil est centré sur la stratégie de services, autour de laquelle viennent se greffer trois grands processus alimentant le cycle de vie des services (conception, déploiement et exploitation). Ces processus sont eux-mêmes inclus dans une démarche globale d’amélioration continue des services. Par ailleurs, Itil V3 a introduit plusieurs nouveaux processus, tels que le knowledge management, le catalogue de services, le traitement des requêtes, la gestion des événements, la gestion des demandes et la gestion des accès.

Source : Best Practices Systèmes d’Information, n° 47, 25 mai 2010.