La reconfiguration des compétences s’impose dans un contexte où les organisations et l’environnement sont en mouvement permanent. Quels sont les points d’attention à considérer et les pièges à éviter ? Les recommandations de Laurent Mercey, manager chez Talisker Consulting.
En quoi la problématique d’adaptation des compétences est-elle cruciale aujourd’hui pour les DSI ?
Laurent Mercey La DSI doit être capable de gérer deux temps différents en termes de compétences : d’une part, un temps que l’on pourrait qualifier de courant lors duquel la DSI doit notamment savoir accompagner ses collaborateurs dans leur parcours de carrière au travers de leur montée en compétences, absorber les évolutions technologiques, méthodologiques…
D’autre part, un temps de rupture lors duquel la DSI doit savoir mobiliser ses efforts pour franchir des paliers et changer les méthodes de travail, intégrer des transformations d’organisation…
Dans un contexte où les transformations sont de plus en plus fréquentes, certains parlent du besoin de transformation permanente, il devient primordial de rendre l’organisation capable, à tout moment, de faire rapidement évoluer ses compétences… Un minimum d’organisation est nécessaire pour cela.
Et ce besoin d’organisation est d’autant plus important que les effectifs sont nombreux. Organiser cette gestion, ce n’est pas la déshumaniser, et ce n’est pas déresponsabiliser les managers. Cela permettra surtout, sur beaucoup de sujets, de passer d’un mode réactif, toujours plus délicat, à un mode proactif.
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que, quel que soit l’engagement de telle personne dans les objectifs de l’entreprise, elle n’en aura pas moins des objectifs personnels d’évolution, et elle saura voir si son entreprise est capable de les satisfaire ou non. Pouvoir parler de plans de carrière… et les rendre concrets, développer l’employabilité… et valoriser les compétences, ne sont pas des objectifs inutiles.
Quels constats tirez-vous dans ce domaine de vos différentes missions pour les DSI ?
Laurent Mercey Ce qui me frappe généralement, c’est que les constats et enjeux que l’on vient d’évoquer sont très souvent partagés avec les managers, à tous les niveaux d’une DSI. Pour autant, la mise en œuvre est rare. Parce que c’est un sujet sensible, parce qu’il est jugé non prioritaire par rapport à tous les projets à mener pour rendre service à ses clients internes, parce ce qu’on ne se sent pas armé pour le traiter…
Sur ce plan, la DSI de CA-CIB a su adopter une bonne approche en ancrant la démarche avec le soutien direct du DSI, en mobilisant des managers de différents niveaux au sein d’une équipe projet,et en s’appuyant sur la direction des ressources humaines.
Par ailleurs, la plupart des managers que je rencontre sont demandeurs pour enrichir leurs compétences en termes de développement des hommes et jugent eux-mêmes qu’ils devraient passer plus de temps à cette activité.
Quels sont les points sur lesquels il faut se focaliser ?
Laurent Mercey J’ai essayé précédemment de mettre en avant le fait qu’organiser la gestion n’était pas déresponsabilisant. Mais pour que cela soit vrai, il est indispensable de trouver le bon équilibre entre la règle, définie et contrôlée par l’organisation, et la zone d’autonomie des managers. Le rôle du top management est alors de (et doit se limiter à) définir le cadre de référence dans lequel l’ensemble des collaborateurs doivent s’inscrire.
C’est au sein de ce cadre de référence que chaque manager peut développer son propre style de management. C’est sa liberté au sein de la loi. Le caractère plus ou moins rigoureux de la loi sera d’ailleurs un marqueur fort de la culture d’entreprise. Il convient donc de très clairement identifier les éléments absolument non négociables compte tenu des enjeux de l’organisation. Le cadre de référence devrait se limiter à ces éléments.
N’oublions pas, d’autre part, que la perception que chacun a de la loi, ici du cadre de référence, est en grande partie forgée par la façon dont elle nous est appliquée.
Le management de proximité a donc toujours un rôle essentiel, à tous les niveaux de l’organisation. Une certaine exemplarité est nécessaire. Pour cela, il est indispensable d’investir un minimum pour partager avec l’ensemble du management le cadre de référence et les enjeux associés.
Quelle approche suggérez-vous ? Par quoi faut-il commencer ?
Laurent Mercey Pour commencer, il faut, comme pour n’importe quel sujet, savoir où on l’en est et valider les enjeux. Le « quoi » sera défini en fonction du contexte propre de chaque DSI et de son niveau de maturité. Un bon point de départ peut être de s’assurer simplement que les compétences attendues de chacun des métiers de la DSI sont définies.
Cela permet de partager la vision de ce qui est attendu d’un manager, d’un chef de projet, d’un ingénieur de production, … Dans le cadre d’une transformation, il faudra faire le même exercice pour pouvoir se projeter dans les futurs métiers de la DSI.
Le « qui » et le « comment », caractérisant l’approche, sont à mon sens plus facilement généralisables. Le « qui » est nécessairement collectif, regroupant au sein d’une équipe projet des managers et des opérationnels de différents niveaux de l’organisation. Idéalement, les partenaires sociaux sont associés aux démarches très en amont.
Cela permet d’identifier rapidement les questions, de se mettre en situation d’apporter des réponses et donc d’adapter la cadre de référence au plus juste des caractéristiques de l’organisation.
Le « comment » est nécessairement en mode projet, indispensable pour se fixer des objectifs et délais clairs, pour pouvoir mettre en dynamique l’organisation et communiquer efficacement autour de la démarche. Au niveau des objectifs, il est primordial de concentrer ses efforts sur un nombre limité de sujets. Dans le cadre de grands projets de transformation, il faudra fonctionner en identifiant différents paliers correspondant à chacun à des états stables de l’organisation.
Y-a-t-il des pièges à éviter et quels sont-ils ?
Laurent Mercey Je vois deux risques forts sur lesquels la DSI doit être vigilante, et a la main pour le faire :
- Vouloir embarquer tous les sujets en même temps. Quels que soient les enjeux, il m’apparaît plus que nécessaire de définir des priorités pour fonctionner par étapes. Sans cela, la démarche pourra être perçue comme floue et il apparaîtra de plus toujours un risque de perdre de vue les enjeux.
- Se désynchroniser de la politique d’entreprise. Tout comme la DSI doit définir un cadre de référence, il existe nécessairement un cadre de référence défini par l’entreprise. En reconnaissant celui-ci, la DSI identifie en même temps sa zone d’autonomie. Attention à bien identifier au plus tôt les éventuelles démarches à venir au niveau de l’entreprise…
Un autre sujet d’importance ne doit pas être occulté : la rémunération. Une politique de rémunération intelligente est nécessaire pour pouvoir concrétiser et rendre possibles les chemins de carrière. Mais, sauf aberration flagrante, la rémunération n’est jamais le premier critère qui vous fait aimer votre job, et ce n’est pas non plus le premier critère qui vous fait détester votre job.
La politique de rémunération est donc plus une conséquence de la politique de gestion des compétences souhaitée. J’exclus ici les réflexions sur le benchmark des rémunérations avec le marché et le traitement des éventuels écarts historiques au sein de l’organisation. Ces sujets sont importants et doivent bien sûr être traités, mais c’est une autre démarche et elle doit donc être décorrélée au maximum.