Un Chief Happiness Officer, mais pour quoi faire ?

Une nouvelle fonction émerge dans les entreprises : le CHO, pour Chief Happiness Officer. Sa mission ? Remotiver les collaborateurs et redonner du sens au travail. Les entreprises (et les DSI) en auraient-elles tant besoin ? Le point de vue d’Arnaud Collery, consultant international sur le bonheur en entreprise.

Best Practices SI. Comment est née cette fonction de CHO ?

Arnaud Collery. La fonction de CHO est née dans la Silicon Valley au début des années 2000, peu après l’arrivée de la psychologie positive de Martin Seligman, chercheur en psychologie et professeur à l’Université de Pennsylvanie où, pour la première fois, la psychologie s’est focalisée sur la manière de rendre les individus plus heureux, au lieu d’essayer de simplement comprendre nos malheurs et nos psychoses. En résumé, le CHO apporte la psychologie positive dans l’entreprise.

Dans l’entreprise, l’objectif est de faire en sorte que les individus ressentent surtout des émotions positives, plus que des émotions négatives. L’expérience du e-commerçant américain Zappos, qui a mis en œuvre cette culture du bonheur, montre que cela se traduit par une élévation de la productivité de 30 %, par davantage de créativité et par une diminution de l’absentéisme d’environ 30 %.

BPSI. Quels sont les profils-types des entreprises qui ont des CHO ?

Arnaud Collery. Il n’existe pas de profil-type. Il semblerait que les banques soient les moins ouvertes sur ce type d’initiative. Leurs dirigeants continuent à être persuadés que seule la performance financière est importante, ils ne sont guère convaincus que le principe du CHO soit pertinent, même si des études et retours d’expériences prouvent que lorsque les collaborateurs sont plus heureux au travail l’entreprise génère plus de profits. Cette approche est tellement contraire à leurs caractéristiques psychologiques qu’ils ne peuvent, ou ne veulent, s’en convaincre, car ils sont hermétiques à une innovation managériale qui pourrait être dans l’intérêt de leur entreprise et de ses actionnaires !

BPSI. Pour exercer cette fonction de CHO, quel est le profil idéal ?

Arnaud Collery. Selon moi, un ex-entrepreneur social dans des pays en développement, dont la vocation est d’aider les autres à créer un monde meilleur, ou un ancien coach sportif constituent des profils privilégiés. Le Chief Happiness Officer doit être quelqu’un de charismatique et d’humain, pour lequel aider les individus à donner le meilleur d’eux-mêmes est une passion depuis toujours. Un parcours universitaire en anthropologie, sociologie ou psychologie peut aider, mais ce n’est pas un critère indispensable. L’essentiel est de confier cette mission à quelqu’un qui a été confronté à de nombreuses situations variées, avec une forte composante humaine, dans de nombreux pays. Sans en faire une règle générale, les femmes sont meilleures dans une telle profession !

BPSI. Le CHO est-il le concurrent du DRH, comme le CDO pourrait être celui du DSI ?

Arnaud Collery. Le CHO fait tout ce que le DRH ne veut ou ne peut plus faire. Aujourd’hui les DRH gèrent les ressources humaines sous un angle essentiellement technique, contractuel et réglementaire. Il n’a guère le temps pour intégrer d’autres activités. De fait, le CHO et le DRH peuvent travailler en binôme. Mais, pour l’heure, je considère davantage le CHO comme un conseiller spécial de la direction générale sur les problématiques humaines.

BPSI. Quelles sont les missions du CHO ?

Arnaud Collery. Un CHO a principalement trois missions. D’abord, s’occuper du bien-être général et être le coach de la plupart des collaborateurs. C’est celui à qui l’on fait appel pour gérer un conflit, pour se réconforter dans une situation personnelle difficile ou juste pour évoquer des frustrations. Bref, tout ce qui participe à ce que les collaborateurs se sentent entendus et reconnus comme des êtres humains et non comme des machines. Le CHO contribue également à mieux souder les équipes. Ensuite, le CHO a un rôle d’organisateur d’événements pour rassembler et souder les collaborateurs, sans tomber dans la caricature. Enfin, sur le terrain de la culture d’entreprise, le CHO contribue à la vision, et surtout aux valeurs, que l’entreprise veut promouvoir au sein de l’organisation.

BPSI. Peut-on opposer le bonheur personnel et le bonheur collectif ?

Arnaud Collery. Ce sont deux notions différentes, c’est comme l’intelligence émotionnelle. Il existe un bonheur collectif, une intelligence émotionnelle d’équipe, mais qui n’a rien à voir avec la somme des individus heureux dans l’entreprise. Cette distinction est clé pour la compréhension du bonheur en entreprise.

BPSI. Est-il vraiment possible de changer la culture d’une organisation et les modes de management, encore trop souvent basés sur des approches de types « management par la peur » ou de type « command & control » ?

Arnaud Collery. Oui, c’est possible de changer les comportements, à long terme : cela dépend de la compréhension holistique du bonheur de la part des directions générales. Plus la Société va devenir technologique, plus il va y avoir un besoin de comprendre les ressorts du bonheur. J’imagine un monde dans cinq à dix ans avec 5 000 à 10 000 CHO à travers le monde. Il n’y en avait aucun en France il y a seulement un an, aujourd’hui ils sont environ 150, par exemple aux laboratoires Boiron ou au Coq Sportif. Des interlocuteurs chez Lagardère ou American Express m’ont récemment approché… sans d’ailleurs que leurs directions générales en soient informées, c’est plutôt cocasse. Et il y a même des entreprises qui font appel à moi, mais dont je ne dois pas dévoiler l’identité : quelle réputation donneraient-elles à l’extérieur si tout le monde savait que le bonheur de leurs collaborateurs était important pour elles ?

BPSI. Observez-vous des différences cultu­relles entre le monde anglo-saxon et l’Europe ?

Arnaud Collery. Les entreprises européennes implantées aux États-Unis comprennent l’intérêt du CHO, de même que les entreprises américaines, surtout en Californie. Ainsi qu’au Moyen Orient et en Afrique du Nord, où le premier CHO vient d’être nommé en janvier 2017, au Maroc. Je connais très bien le Japon pour y avoir vécu quatre ans et c’est une question de temps avant que toutes les grandes entreprises nippones n’aient un CHO. La démission, en décembre 2016, du PDG de l’agence de publicité Dentsu après le suicide de l’une des employées est, une fois de plus, révélatrice du problème dans ce pays. Quant à la France, les entreprises sont très en retard dans la gestion de l’humain. Dans les organisations, la peur du jugement de l’autre domine, tout le monde garde en tête le fait d’être «cassé» au moindre écart. Ce sentiment reste l’un des freins majeurs, alors que, paradoxalement, la demande de bonheur reste forte, à tel point que je vais créer une formation spécifique pour les CHO.

70 % des salariés sont des désengagés

L’institut américain Gallup sonde régulièrement les salariés pour estimer leur degré d’engagement vis-à-vis de leur entreprise. Au niveau mondial, 87 % des salariés ne sont pas engagés vis-à-vis de leur entreprise. Aux États-Unis, cette proportion est stable (70 %). Il existe des différences, selon la taille de l’entreprise (on est plus engagé dans les plus petites structures) et les secteurs (on est plus engagé dans les services que dans l’industrie), l’ancienneté dans le poste (on est de moins en moins engagé avec le temps), l’âge (les jeunes générations sont les moins engagées) ou le sexe (les femmes sont plus engagées que les hommes).

Gallup identifie trois types d’engagement :

  • Les salariés engagés (30 %) : ce sont les meilleurs collègues de travail. Ils sont volontaires, coopératifs et souvent enthousiastes pour participer à la vie de l’organisation dans laquelle ils travaillent. Ils connaissent le périmètre de leurs tâches et œuvrent pour améliorer les processus.
  • Les salariés non engagés (52 %) : ce sont les plus difficiles à repérer, car ils ne sont pas a priori hostiles ou n’ont pas de comportements décalés. Ils portent peu d’intérêt aux clients, à la productivité, à la profitabilité de l’entreprise, ainsi qu’aux objectifs de l’organisation ou aux problématiques de sécurité. Ils sont focalisés sur le temps de déjeuner et attendent impatiemment l’opportunité de prendre une prochaine pause. « Paradoxalement, cette catégorie ne se concentre pas chez les salariés de base, on en trouve aussi dans le Top management », soulignent les analystes de Gallup.
  • Les salariés activement désengagés (18 %) : ce sont ceux qui peuvent occasionner des dégâts. Ils monopolisent le temps de leurs managers, sont davantage responsables des défauts de qualité des produits, souvent absents. Leur objectif principal : défaire ce qui a été fait (résolution de problèmes, innovation, acquisition de nouveaux clients…).

Selon les analystes de Gallup, trois actions peuvent réduire le taux de désengagement des collaborateurs :

  • Éviter de se tromper dans les recrutements et les nominations, en particulier en promouvant des managers techniquement bons mais qui n’ont aucun talent pour manager des équipes.
  • Capitaliser sur les points forts des collaborateurs : selon Gallup, les individus à qui l’on permet d’utiliser leurs talents et leurs qualités, au lieu de mettre en exergue leurs points faibles et leurs défauts, ont six fois plus de chances d’être engagés dans leur fonction, sont plus performants et moins enclins à changer d’employeur.
  • Améliorer le bien-être des collaborateurs : selon Gallup, il existe une corrélation entre le niveau d’engagement des individus et leur état de santé, en particulier pour les maladies chroniques (hypertension, diabète, obésité, dépression…). Cet aspect est important aux États-Unis, où les entreprises financent une grande partie de la protection sociale.

Pour en savoir plus : State of the american workplace, Gallup, paru le 15 février 2017. www.gallup.com

(*) Arnaud Collery est consultant international sur le bonheur en entreprise, conférencier et facilitateur d’équipes, il organise des ateliers dans 15 pays depuis 2013. Il forme également des CHO partout dans le monde. www.arnaudcollery.com