Le cloud va capter une part de plus en plus importante des budgets IT, entre 20 et 40 % à l’horizon 2020. Cette tendance de fond nécessite une révision en profondeur des modèles financiers actuels, car, entre autres, elle modifie le calcul des ROI, transforme les business cases, chamboule les approches d’amortissement et déforme la valeur des actifs IT…
Le cloud figure en tête des investissements des DSI européens, selon la dernière étude « 2016 IT Priorities Study » publiée par Techtarget. Selon une analyse de Gartner, parue fin juillet 2016, le cloud va affecter plus de mille milliards de dollars de dépenses IT dans les cinq prochaines années, dont 111 milliards en 2016 : « Cela positionne le cloud comme l’une des forces les plus disruptives depuis l’apparition du numérique », assurent les consultants de Gartner. Si l’on admet que les prévisions des analystes sont pertinentes, un tel mouvement modifie la manière dont les entreprises gèrent les modèles financiers liés aux technologies et systèmes d’information.
Même si le mouvement est plus ou moins rapide, les atouts du cloud vont difficilement permettre de revenir en arrière. Ainsi, l’engouement marqué des entreprises pour les solutions cloud se justifie, entre autres, par l’agilité, la réduction des coûts, la performance et les engagements de services. Un autre atout du cloud séduit les DSI : une gestion simplifiée des licences, par rapport au modèle On Premise, approche historique de consommation de logiciels. Avec le cloud, en effet, la responsabilité de gérer les licences incombe désormais à l’éditeur et plus à ses clients. Ceux-ci réduisent ainsi les risques de non-conformité, ce qui constitue un point de friction récurrent avec les éditeurs.
Le cloud impose un nouveau modèle financier
La problématique de la gestion des licences logicielles est devenue l’une des plus épineuses à gérer, car elle s’est complexifiée au fil du temps : d’abord, parce que les éditeurs ont multiplié les critères de mesure, étoffé leurs dispositions contractuelles et renforcé leurs audits pour vérifier la conformité de leurs clients vis-à-vis de la propriété intellectuelle. Ensuite, sur le plan technique, parce que l’évolution des systèmes d’information a rendu plus délicate la prise en compte du clustering et de la virtualisation des serveurs. Enfin, les réorganisations des entreprises s’accompagnent souvent d’augmentations du nombre d’utilisateurs et de serveurs, ou de nouvelles utilisations des logiciels, notamment dans des opérations de fusions-acquisitions.
Si la migration vers le cloud permet de s’affranchir de la gestion des licences des applications concernées, elle ne dispense évidemment pas d’une analyse financière préalable. Le cloud est tout autant un nouveau modèle de consommation de l’IT qu’un nouveau modèle d’ingénierie financière, notamment parce que la facturation à l’usage se substitue à la gestion des immobilisations. Autrement dit, une stratégie cloud ne peut se limiter à un raisonnement technique ou à une approche fonctionnelle. Pour éviter les surprises, elle doit intégrer les composantes financières et c’est un terrain sur lequel l’approximation n’est pas de mise.
Ce modèle d’ingénierie financière repose sur la prise en compte de quatre domaines qui permettent d’estimer et de piloter les coûts : technique, commercial, contractuel et fonctionnel.
L’axe technique : recenser les applications éligibles au cloud
Les aspects techniques concernent le fait que tout le parc applicatif n’est pas éligible au cloud. En effet, certaines applications ne sont pas compatibles, parce que les versions sont trop anciennes ou que l’éditeur n’a pas optimisé le code, par exemple. À supposer que ces applications soient portables dans des environnements cloud, les coûts peuvent être impactés par une surconsommation de mémoire ou d’I/O trop nombreux. Le cloud a le mérite de révéler le vrai coût des applications…
L’axe commercial : que faire des licences déjà acquises ?
Lorsque des applications, acquises dans un premier temps en mode On Premise, sont migrées vers le cloud, se pose alors la question du coût des licences déjà payées et de la maintenance qui y est associée. Plusieurs options sont possibles : les conserver « au cas où », les considérer comme une perte, les convertir en licences cloud (c’est le concept de Licence mobility chez Microsoft, que l’on retrouve chez la plupart des grands éditeurs) ou les revendre d’occasion, ce qui est aujourd’hui juridiquement possible.
Quelle que soit l’option retenue, cela a un impact sur le modèle financier du cloud, qu’il faut prendre en compte. Il convient également de distinguer les licences liées aux éléments techniques (base de données, serveurs…), qui n’ont souvent plus d’objet avec le cloud, et celles liées aux éléments fonctionnels (utilisateurs métier), qu’il faut conserver et/ou transférer.
L’axe contractuel : la prédictabilité du coût est souvent impossible
Malgré son image de simplicité, largement entretenue par les prestataires, le cloud revêt une relative complexité contractuelle, notamment pour choisir les types de contrats, de services, de plateformes (cloud public, privé, hybride) et les unités de mesure de la facturation. Tous ces éléments influent sur les montants à payer et fragilisent toute velléité de prédictabilité a priori des montants perçus par l’éditeur.
L’axe fonctionnel : savoir maîtriser les volumes et les usages
Outre le choix pertinent des types de services et des unités de mesure, l’un des points-clés qui influencent la facturation, avec le cloud, concerne les volumes d’utilisateurs et de fonctionnalités déployées. C’est le revers de la facturation à l’usage : d’un côté, elle introduit davantage de transparence (avec un coût à l’utilisateur), mais, d’un autre côté, la facture peut vite grimper. D’où l’intérêt de disposer d’un outil de détection de franchissement de seuil pour éviter les surprises, si possible plus performant que ceux proposés par les éditeurs.
Trois stratégies possibles
On retiendra que la réalité financière du cloud est souvent éloignée des estimations. C’est normal car, on l’a vu, des facteurs structurants agissent pour brouiller les cartes. Dès lors, trois stratégies sont possibles. D’abord, ne rien faire, s’en remettre à l’éditeur et payer ce qu’il demande. C’est évidemment une approche à déconseiller, même pour les entreprises très riches. Ensuite, consacrer le temps nécessaire en interne, pour travailler un modèle d’ingénierie financière, de manière à optimiser les investissements dans le cloud. Cette approche est beaucoup plus pertinente que la précédente, mais elle n’est pas suffisante.
Elle exige, en effet, de mobiliser des ressources et du temps. Reste, enfin, une troisième option : se faire accompagner par un tiers. L’ingénierie financière du cloud est un domaine pour lequel on peut conseiller d’avoir recours à des experts extérieurs (consultants, juristes, DSI, experts en ingénierie financière…). Outre qu’ils feront, en principe, œuvre de pédagogie sur les bonnes pratiques, ils aideront à la réflexion sur la bonne stratégie à adopter en prenant en compte tous les éléments d’une approche cloud, en dépassant les seuls aspects techniques, sans oublier l’élaboration d’un modèle financier pertinent, dont on a vu que c’est la clé de voûte d’une stratégie cloud réussie et pérenne.
L’impact du cloud sur les dépenses IT (2016-2020) | ||||
Segment | Solutions cloud | Taille du marché mondial (en $) | Taille du marché capté par le cloud (en $) | Part du cloud à l’horizon 2020 |
Business Process Outsourcing | BPaaS | 119 milliards | 42 milliards | 43 % |
Applications | SaaS | 144 milliards | 36 milliards | 37 % |
Logiciels d’infrastructures | PaaS | 177 milliards | 11 milliards | 10 % |
Infrastructures | IaaS | 294 milliards | 22 milliards | 17 % |
Source : « Market Insight: Cloud Shift – The Transition of IT Spending from Traditional Systems to Cloud », Gartner, juillet 2016. |
Ingénierie financière du cloud : les points d’attention | ||
Axe | Ce qui change | Les points d’attention |
Technique | Des applications basculent dans le cloud, d’autres pas | L’identification des applications éligibles au cloud |
Commercial | Moins de licences à gérer | La définition de la stratégie concernant les licences déjà payées |
Contractuel | Difficulté à prévoir les coûts réels | Le choix des modes de contrats et des unités de mesure |
Fonctionnel | Nécessité de contrôler la consommation des utilisateurs | La définition des seuils de consommation en fonction des volumes d’utilisateurs et de fonctionnalités |
Source : Digitalonomics. |