Une approche historique des cycles économiques

L’économiste Carlota Perez a présenté sa vision de l’évolution des vagues d’innovation technologique, dans son ouvrage majeur, (« Technological Revolutions and Financial Capital : The Dynamics of Bubbles and Golden Ages », Edward Elgar Publishing), paru en 2002. Elle est intervenue lors de l’édition 2022 de l’USI, événement organisé par Octo Technology.

En 250 ans, cinq révolutions technologiques se sont succédé. A partir de 1771, ce fut la révolution industrielle et à partir de 1829, l’âge d’or de la vapeur, du charbon et des chemins de fer. A la fin du XIXème siècle, la troisième révolution industrielle correspond au développement des usages de l’acier, de l’électricité et de la chimie. Au début du XXème siècle se renforce l’industrie automobile, du pétrole et de la production de masse. La cinquième révolution industrielle démarre, selon Carlota Perez, an début des années 1970, avec la diffusion des technologies de l’information et des télécommunications, grâce aux micro-processeurs. La révolution technologique a été, selon Carlota Perez, « le big bang d’un nouvel univers, en particulier avec des puces puissantes, peu coûteuses qui ont ouvert un champ d’opportunités pour l’économie. »

Des foyers géographiques d’innovation

Chaque révolution industrielle naît dans un pays particulier ou une région (le Lancashire, la Silicon Valley…) : les deux premières sont apparues en Angleterre, les deux dernières aux Etats-Unis. « Elles se caractérisent par une nouvelle infrastructure, des ressources à prix bas et plusieurs technologies qui transforment les marchés, les structures de coûts et la palette d’opportunités, ce qui a pour effet de générer des économies d’échelle et d’accroître la productivité, mais aussi de détruire des emplois », résume Carlota Perez.

Les révolutions industrielles passent par quatre phases de développement. La première est la période d’installation, les technologies se diffusent progressivement (chemins de fer, aviation, électricité, automobile, Internet…), c’est une époque de prospérité, mais qui ne concerne pas tous les secteurs, tous les pays ou toutes les régions. La deuxième phase est celle du « point de bascule » (Turning Point), souvent lorsque les bulles éclatent après des périodes de spéculation, on l’a vu aussi bien sur les chemins de fer qu’avec Internet. « Cela sème le doute et la confusion », note l’économiste.

La troisième phase est celle de l’âge d’or, avec la prospérité qui revient, avant une phase de maturité. « Une révolution technologique conduit à un remplacement massif d’un ensemble de technologies par un autre, soit par substitution, soit par la modernisation des équipements et processus existants, la « nouvelle économie » remplace l’ancienne », explique Carlota Perez. Avec, en parallèle, une forte dynamique des marchés financiers, des ajustements institutionnels et l’émergence de nouveaux entrepreneurs. « Chaque révolution s’accompagne de la mise en place d’un ensemble de bonnes pratiques, sous la forme d’un nouveau paradigme technico-économique, qui brise les anciennes habitudes dans les domaines économiques, du management et des institutions sociales. L’ensemble du système productif se régénère. »

Des principes immuables

Pour l’économiste, « une révolution technologique se traduit par une profusion de nouveaux produits, industries et infrastructures qui, progressivement, font émerger des principes qui guident les entrepreneurs, les managers, les innovateurs, les investisseurs et les consommateurs, à la fois pour leurs décisions individuelles mais aussi dans leurs interactions. »

Carlota Perez rappelle que la finance joue un rôle crucial, en accompagnant le développement des révolutions industrielles, c’est même, pour elle, « une véritable histoire d’amour : il y a soudainement une nouvelle situation dans certains secteurs de l’économie, avec des taux de croissance phénoménaux et des marges énormes : les capitaux se ruent sur les nouvelles industries et pour financer les entrepreneurs, en espérant que tous les investissements seront profitables. » Car le risque est une décorrélation entre le monde de la finance et l’économie réelle, ce que l’on a vu dans les années 1990 : entre 1991 et 1999, l’indice Dow Jones a été multiplié par trois, tandis que le PIB américain n’a progressé que de 50 % (d’où l’explosion de la bulle Internet en 2000).

L’économiste explique également que « chaque révolution technologique résulte d’une interdépendance entre un groupe d’industries avec un ou plusieurs réseaux d’infrastructures, ces interrelations du neuf et de l’ancien génèrent le potentiel révolutionnaire. » Elle assure que des innovations radicales peuvent apparaître à n’importe quel moment, même si leur période de gestation peut être longue.

Au-delà de ces caractéristiques, on ne peut guère prévoir quelle seront les prochaines révolutions technologiques. Pour Carlota Perez, « elles sont toutes différentes, chaque paradigme est unique, de même que chaque ensemble de solutions qui adressent les problèmes, que les valeurs idéologiques qui déterminent la manière dont les opportunités sont exploitées. »

Les cinq révolutions industrielles à travers l’histoire

Ordre Dénomination Pays initiateurs Elément déclencheur Dates
1ère La révolution industrielle Angleterre Machine à filer le coton d’Arkwright 1771
2ème L’âge de la vapeur et des chemins de fer Angleterre Locomotive à vapeur « Rocket » de Stephenson 1829
3ème L’âge de l’acier et de l’électricité Etats-Unis et Allemagne Usine de production d’acier Carnegie Bessemer 1875
4ème L’âge du pétrole, de l’automobile et de la production de masse Etats-Unis Ford modèle T 1908
5ème L’âge de l’information et des télécommunications Etats-Unis Micro-processeur Intel 1971

Source : Technological Revolutions and Financial Capital : The Dynamics of Bubbles and Golden Ages », Edward Elgar Publishing, 2002.