Une DSI en quête de réorganisation

Une DSI en forte croissance, une gestion floue des projets, des difficultés organisationnelles et un déficit d’outils… La DSI d’une filiale d’un grand groupe de services a fait l’objet d’un audit mené par une équipe d’étudiants (1) dans le cadre de la formation Executive management des systèmes d’information de l’EMSI de Grenoble (École de management des systèmes d’information). Qui a préconisé des actions afin de corriger les dérives. Cet article s’appuie sur les résultats de ces travaux.

I – Le contexte

Cette filiale d’un grand groupe, qui n’a pas souhaité être citée dans cet article, se positionne comme un laboratoire d’essai, à l’image d’une start-up interne, pour proposer de nouvelles offres aux clients. La DSI est organisée autour de trois pôles : projets (douze personnes : chefs de projet et analystes fonctionnels), développement (douze personnes : développeurs et « recetteurs »), infrastructures, systèmes, réseaux et production (sept personnes : administrateurs et techniciens). Fin 2012, la DSI se trouve en difficulté organisationnelle. En effet, les changements ont été multiples et très rapides, ce qui l’a conduit à un déséquilibre et un besoin de réorganisation.

Cette DSI dispose de plusieurs atouts. Le premier est que l’organisation en trois pôles est cohérente par rapport aux besoins organisationnels et fonctionnels de la DSI. Le rôle principal de cette DSI étant la gestion et le pilotage de projet, une organisation avec un pôle « projets », un pôle « développement » et un pôle ISRP (infrastructures, systèmes, réseaux et production) correspond aux besoins fondamentaux. Deuxième point positif : une bonne gestion du pôle « développement ». Les rôles de chacun sont clairs et bien déterminés. Chacun connaît son rôle et semble à l’aise dans sa fonction. Troisième point positif : l’équipe actuelle, calibrée à environ trente collaborateurs, est motivée, dynamique, investie dans sa mission, disponible et innovante dans l’approche du monde du travail. Cela génère un esprit d’équipe qui permet un travail collaboratif important.

II – Les problèmes à résoudre

Une croissance rapide

Mais cette DSI souffre de certains handicaps. D’abord, le fait que le nombre de salariés a été multiplié par quatre en moins de cinq ans. L’embauche massive, dans un temps record afin de répondre aux nouveaux projets, a engendré des difficultés de cohérence et de coordination à l’intérieur des métiers. Le nombre de projets a explosé en un an et le manque de chefs de projet seniors n’a pas permis de transmettre le cœur de métier de la gestion de projet aux nouveaux arrivants. Chacun a dû inventer son métier avec une totale liberté. Cet état de fait a été également accentué par une plus grande complexité des projets.

Des difficultés organisationnelles et humaines

Enfin, la création des trois pôles en moins de trois ans a nécessité une répartition des tâches et des collaborateurs, qui a manqué d’homogénéité en favorisant les pôles projets et développement par rapport au pôle ISRP, créant un déséquilibre. Par ailleurs, l’absence grandement ressentie d’un responsable, en charge des chefs de projet, ne permet pas une complète cohérence au sein de l’équipe. Son absence crée un déséquilibre dans la hiérarchie et impose au DSI une présence et un soutien trop importants. De ce fait, l’affectation des projets, le suivi et l’analyse restent superficiels.

Une des grandes difficultés ressenties est le transfert de postes d’analystes fonctionnels vers ceux de chefs de projet sans la formation adéquate. Cela les conduit à une perte d’identité au sein de leur nouveau métier, de sorte que très peu d’entre eux réussissent à donner une réelle définition de leurs rôles et responsabilités en tant de chefs de projet. Certains se définiraient même plutôt comme des « chefs de produits ». Le manque de maîtrise de leur nouveau métier leur demande une très grande énergie et provoque une fatigue importante.

Plus précisément, la DSI est marquée par le fait qu’il n’existe dans aucun des pôles aucune fiche de poste, créée par les RH ou le management. Il n’existe pas non plus de système d’établissement des priorités des projets les uns par rapport aux autres, ni d’indicateurs, ni de processus de gestion globale des projets. Tout semble urgent et avec le même niveau d’importance. Il est probable que ce pilotage se fasse de façon informelle, au cas par cas. Par ailleurs, cette DSI se caractérise par une absence de coordination entre les métiers. Ainsi, l’absence de management hiérarchique sur le pôle projets engendre une mauvaise coordination entre les métiers.

Par ailleurs, dans le pôle ISRP, sur les sept personnes en place, seules trois sont des permanents (dont le responsable). Les autres collaborateurs sont des des personnes en cour de formation en alternance. Dans ces conditions, le surplus de travail généré par leur formation est difficilement absorbable par le responsable. La capitalisation du savoir-faire est également incompatible avec ce type de collaborateurs, qui sont, par définition, amenés à ne pas rester dans l’entreprise.

Un manque d’outils

La présence de certains outils collaboratifs permet à une partie des équipes de travailler sereinement et efficacement, mais il n’y a pas d’homogénéité des outils pour le pôle projets. Chaque membre du pôle s’est doté de son propre outil pour piloter ses projets, l’éventail allant de Gantt Project à Excel. Il en résulte une difficulté de suivi des projets. Microsoft Project, référence en la matière, fait partie du package informatique, mais est très loin d’être utilisé au maximum de ses possibilités.

Les collaborateurs n’ont aucune méthode structurée pour se partager des documents et l’avancement de leurs travaux respectifs, malgré la présence de Microsoft SharePoint, pourtant destiné à la gestion de contenu et de base documentaire. Aucune solution n’a été mise en place au sein du pôle ISRP. Les activités de support (gestion des demandes et incidents) et la gestion de parc se font uniquement avec Excel.

III – Les préconisations : utiliser les méthodes de gestion de projets

Professionnaliser le pilotage du changement

~ Changements sur les dispositifs organisationnels
Une première voie de changement, pour un manager, est d’agir sur les dispositifs de son organisation : le changement peut concerner un élément de procédure ou de routine. Mais il peut viser aussi la modification des relations entre acteurs, par exemple, d’une modification de structure ou de poste. Dans le cas de cette DSI, il est clairement apparu que les collaborateurs avaient parfois du mal à connaître leur environnement métier, d’où une difficulté certaine de positionnement pour la plupart d’entre eux.

Afin de définir au mieux les métiers, il est indispensable de mettre en place des fiches de poste. Le bon processus serait que cette fiche de poste soit transmise par les RH au moment du changement de poste, avec une explication du nouveau rôle et une mise en place des formations indispensables à la bonne tenue du poste.

~ Changements sur la culture de l’organisation
La culture de l’organisation recouvre un vécu directement ancré chez les acteurs, qui détermine leur degré de participation à l’organisation, le fait qu’ils s’y sentent plus ou moins bien. Dès lors, c’est un domaine qui n’évolue pas rapidement.

~ Changements dans les rôles et les pouvoirs
Rôles, relations et pouvoirs sont des éléments liés dans le fonctionnement d’une organisation. Tout changement de rôle entraîne un changement de pouvoir et une modification du type de relations entretenues avec les autres acteurs. Les sociologues ont bien montré que ces éléments tendent à acquérir une certaine permanence avec le développement d’une organisation.

En cas de changement, une forte attention sera prêtée aux personnes qui vont perdre du pouvoir et qui pourront, de ce fait, être bloquantes pour le changement, mais également aux personnes nouvelles qui vont gagner en termes de pouvoir et qui pourront, quant à elles, être motrices. Cette partie est capitale et elle doit être développée en priorité, notamment dans la transformation du rôle des développeurs par rapport à celui des chefs de projet.

Dans le cas de la DSI, il n’y a pas de modèle d’expression de besoins clair et défini qui permette une homogénéisation de la donnée d’entrée. Il est donc nécessaire de palier ce manque ressenti très clairement par l’équipe développement, mais également par celle des chefs de projet. La préconisation est que les chefs de projet remplissent des fiches « base de données d’entrées » avec le client interne et prennent la responsabilité du projet et de ses spécificités techniques. Avec les données récupérées, ils créent le projet au sein de leur outil, positionnent les jalons et accompagnent le projet jusqu’à son terme.

Le projet est alors suivi et partagé par les autres membres de l’équipe lors de la réunion du comité de projets, celle-ci devant impérativement être planifiée à un rythme hebdomadaire à l’initiative du DSI ou du responsable des chefs de projet, qui invitent tous les chefs de projet ainsi que les responsables des autres pôles. L’outil de pilotage des chefs de projet est le fil conducteur de cette réunion. Les jalons sont suivis un à un, projet par projet. Les difficultés apparues sur les projets sont mentionnées dans le compte rendu diffusé à la fin de la réunion, afin qu’elles soient analysées en commun et que des solutions soient envisagées et mises en place pour la prochaine réunion du comité de projet.

Dans le cas de cette DSI, c’est plutôt une approche participative de gestion du changement (voir encadré) qui est préconisée, compte tenu d’un contexte dans lequel les équipes, jeunes, semblent motivées et disposent d’un bon niveau de formation initiale. Malgré les qualités de chacun des collaborateurs, le niveau d’autonomie n’est pas suffisant. Le rôle du DSI est beaucoup trop prédominant, les chefs de projet attendant son accord pour agir et non pas son approbation sur leurs actions.

Organiser la gestion de projet

Une organisation hiérarchique des équipes avec des ressources spécialisées, un management par les chefs de projet sous la direction de leur responsable, amène à préconiser une démarche « classique » et non pas en mode agile.

L’organisation du projet consiste à s’inspirer des bonnes pratiques suivantes :

  • Définir le périmètre et le lotissement du projet : le périmètre total est l’identification et le recensement des applications ou modules concernés par le projet. Le projet peut être ensuite subdivisé en sous-projets possédant chacun son propre périmètre. Le lotissement du projet est le regroupement de sous-projets entre eux. Chaque regroupement constitue un lot du projet. L’objectif d’un lot est de relier les modules ou applications qui ont les interdépendances les plus fortes.
  • Définir clairement le besoin : l’expression de besoin qualifie un manque de ce qui est perçu comme nécessaire et pour lequel l’entreprise cherche une solution. L’expression de besoin décrit le « quoi », indépendamment du « comment on répond au besoin » (quelle solution organisationnelle, fonctionnelle et technique mettre en œuvre).
  • Organiser l’équipe projet : une matrice de compétences permettrait aux responsables de chaque pôle de disposer d’une vision globale sur les compétences fonctionnelles et techniques des membres de chaque pôle. Elle permettrait également de bien gérer les équipes en affectant la bonne personne à un projet ou une tâche technique et en créant des binômes pour faire face à une absence.
  • Définir les tâches, les jalons et les livrables : une tâche est une action à mener pour aboutir à un résultat. À chaque tâche définie, il faut associer un objectif précis et mesurable, des ressources humaines, matérielles et financières adaptées, une charge de travail exprimée en nombre de jours-hommes, et une durée ainsi qu’une date de début et une date de fin. Les jalons d’un projet se définissent comme des événements d’un projet, montrant une certaine progression, des dates importantes de réalisation, une réalisation concrète (production de livrables)… Dans le cadre du planning, les jalons limitent le début et la fin de chaque phase et servent de point de synchronisation. Un livrable est tout résultat ou document, mesurable, tangible et vérifiable qui résulte de l’achèvement d’une ou plusieurs parties du projet, par exemple un cahier des charges ou une étude de faisabilité.
  • Assurer la planification du projet : c’est l’activité qui consiste à déterminer et à ordonnancer les tâches du projet, à estimer leurs charges et à déterminer les profils nécessaires à leur réalisation. La conduite d’un projet repose sur un découpage chronologique (phases) du projet en précisant ce qui doit être fait (tâches), par qui cela doit être fait (ressources), et comment les résultats (livrables) doivent être présentés. Il est important d’introduire dans la planification le risque et l’incertitude associés à chaque tâche et d’en déduire une durée du projet assortie d’un niveau de probabilité.
  • Piloter le projet : le pilotage du projet consiste à suivre les ressources, définir des indicateurs de pilotage et des tableaux de bord, gérer les risques et mettre en place une démarche qualité

Privilégier la communication sur le projet

Le management de la communication du projet consiste à déterminer qui a besoin de quelle information, ainsi que quand et sous quelle forme la lui remettre. Les réunions de suivi, qui doivent être organisées à l’initiative du chef de projet qui les pilotera, sont essentielles au bon déroulement d’un projet, au-delà de la réunion du comité de projets qui pilote la gestion des projets et de leur avancement au global.

Les réunions échouent principalement à cause d’un mauvais départ, des objectifs flous, l’absence d’ordre du jour ou du manque d’implication de participants. Pour éviter que la réunion soit alors perçue comme une perte de temps, il est donc essentiel de savoir la cadrer dans les toutes premières minutes.

Le point primordial pour cadrer une réunion est que les participants obtiennent dès les premiers instants des réponses à des questions de base, mais essentielles : pourquoi suis-je ici ? Qu’est-ce qu’on attend de moi ? Qu’allons-nous faire ? Combien de temps la réunion va durer cette réunion ?

Investir dans des outils logiciels

La multiplication des outils informatiques n’est en aucun cas la meilleure solution. Il faut toutefois envisager au moins trois outils : pour la gestion de projet, la gestion documentaire et la gestion des services.

~ Améliorer l’efficacité des développements
Les fonctionnalités attendues d’un outil de gestion de projet concernent en particulier la planification du projet, l’édition de rapports, l’affectation des ressources, les livrables, les risques, la gestion des phases de test… En outre, lorsque plusieurs personnes travaillent ensemble sur un même projet, les membres de l’équipe se retrouvent régulièrement à travailler sur les même fichiers, surtout s’il s’agit de développeurs. Un outil permet la gestion de projet de développement, la centralisation du code source, la gestion de prérequis, la gestion de cas de test, l’automatisation de version, le suivi des bugs et la génération de rapports.

~ Privilégier le mode collaboratif
Des procédures aux formulaires en passant par les notes de services, si l’on ne s’occupe pas de les indexer, les mettre à disposition ou les archiver, il y a fort à parier que les paroles ne seront plus seules à s’envoler. Il faut donc envisager l’usage d’une suite de gestion de contenu collaborative, permettant de créer divers outils (centre de documents, intranet, extranet, portails, blogs, wikis…) qui facilitent le travail d’équipe.

~ Instaurer un point de contact unique
En matière de gestion des services, Il est impératif pour une DSI de mettre en place un point de contact unique concernant le support et la gestion des ressources informatiques, Excel n’étant pas la solution la plus adéquate pour ce travail.

Renforcer la formation

En termes de formation, la plupart des collaborateurs de la DSI sont embauchés à un niveau d’études supérieures, ce qui permet de penser que la formation fait partie de leur culture et sera bien admise. La moyenne d’âge étant inférieure à 30 ans, les collaborateurs devraient être réceptifs aux changements et à une évolution positive de leur poste. Ils devraient être à même d’y consacrer du temps et de l’énergie.

La formation continue au sein de l’entreprise est un des prérequis à la réussite de cette réorganisation du système d’information. Les formations préconisées concernent notamment les fondamentaux de la gestion de projet, les fonctionnalités des outils, la conduite de projet, le lean management. Selon le principe qu’il faut savoir perdre du temps pour en gagner…

Forces et faiblesses de la DSI, menaces et opportunités
Forces
  • Réactivité, adaptabilité des équipes
  • Bonne gestion du pôle développement
  • Bon niveau de formation initiale des équipes
  • Liberté financière pour les projets
Faiblesses
  • Manque de formation
  • Limites de prestation mal définies
  • Changement de postes sans formation
  • Absences d’indicateurs
  • Absence de capitalisation du savoir-faire
  • Manque d’ordre de priorité des projets
  • Absences de manager des chefs de projet
  • Croissance non maîtrisée
Opportunités
  • Conduite du changement
  • Bien-être des collaborateurs
  • Refonte des procédures d’entreprise
  • Élargissement de l’éventail de compétences
Menaces
  • Démotivation, turnover, burnout
  • Perte de contrôle des projets
  • Dévalorisation de la DSI
  • Incapacité à recruter des collaborateurs de valeur
  • Retard dans la livraison de projets
Source : EMSI.

 


Différents modèles pour changer

Modèle basé sur l’autorité

C’est le modèle technocratique ou style « direction coercition ». Dans ce modèle, on se base sur l’autorité des équipes de direction pour faire appliquer des projets de changements conçus unilatéralement par ces équipes. S’appuyant sur un mode de fonctionnement vertical et descendant, ces modèles ne valorisent pas les collaborateurs. On les observe surtout dans des situations de crise grave.

Modèle basé sur l’intervention

Appelé aussi style « innovant », ce modèle applicable dans des situations de nécessité de changement consiste en l’intervention d’une équipe qui prend en charge le développement du projet de changement et l’élaboration d’une démarche qu’elle fait appliquer, tout en se souciant de son acceptation. Dans ce cas, la contrainte est atténuée par le caractère progressif des changements.

Modèle basé sur l’information, la communication

Le projet de changement, conçu et finalisé par l’équipe de direction, est présenté aux collaborateurs dans le but de les faire adhérer. Les concepteurs déploient et soignent des techniques de communication et de négociation en vue de convaincre la base et l’amener à l’adhésion.

Modèle basé sur la participation

Dans ce modèle, les collaborateurs de base ont la possibilité de participer à l’élaboration même du projet de changement. C’est un modèle endogène dans lequel les collaborateurs portent le projet de changement dans toutes ses étapes. Ainsi, on pense emporter leur adhésion.

 

(1) Le groupe était composé de Ahcène Boutata (contrôleur de gestion), Christine Carlino (acheteuse), Yves Colagène (administrateur systèmes et réseaux), Frédéric Mathieu (expert supply chain) et Frédéric Seiler (administrateur production/projets infrastructure).