Urbaniser pour valoriser les projets transversaux

Le conseil général de Gironde a couplé l’élaboration d’un schéma directeur avec une démarche d’urbanisation.

BPSI Quelle est l’intérêt d’une démarche de schéma directeur et d’urbanisation ?

Nathalie Laurent La réalisation d’un schéma directeur permet de formaliser les grandes orientations stratégiques, organisationnelles, fonctionnelles, techniques et budgétaires sur trois à cinq ans. L’intérêt d’une démarche de schéma directeur, orientée administration électronique, et d’urbanisation réside dans le fait que nos systèmes d’information demeurent très verticalisés, organisés en silos : d’où l’objectif de les décloisonner pour les rendre plus agiles.

Avec, en outre, une problématique de réduction des coûts. Notre démarche de schéma directeur a évidemment été fortement soutenue par la direction générale et le vice-président en charge des technologies de l’information et de la communication.

En effet, les collectivités territoriales cherchent d’une part à apporter des services à valeur ajoutée aux usagers, d’autre part à améliorer la gouvernance du système d’information dans le cadre du pilotage des politiques publiques. Ce soutien fort est indispensable pour réussir, d’autant que la démarche d’urbanisation adossée à une approche de schéma directeur n’est pas habituelle pour une collectivité locale.

La direction générale a bien compris qu’avec la mise en place du schéma directeur et de l’urbanisation, on favorise l’émergence de projets transversaux métiers, notamment pour tout ce qui concerne la plate-forme d’administration électronique, de services et d’échanges, pour tous types d’utilisateurs, ainsi que pour la gestion électronique de documents, l’archivage et le décisionnel.

Nous favorisons également la réutilisation des composants du SI et la mutualisation de ceux qui étaient jusqu’à présent spécifiques à chaque applicatif.

BPSI Comment vous êtes-vous organisés ?

Nathalie Laurent Nous avons fonctionné avec une approche classique comprenant des comités de pilotage, avec la direction générale et les directeurs généraux adjoints, et des comités projet qui intègrent les directions métiers. Nous avons six comités stratégiques fonctionnels pilotés par la DSI par le Directeur Général et un Directeur Général Adjoint auquel participent des directeurs métiers, ce qui facilite la prise de décision transversale.

Ces comités stratégiques fonctionnels ont lieu deux fois par an et mettent en avant l’état d’avancement et les indicateurs d’urbanisation pour les projets par domaine, en faisant apparaître des projets transversaux. Une vision synthétique des décisions est présentée également deux fois par an au sein du comité de direction générale.

Pour favoriser l’appropriation, nous avons mis en place un grand nombre de groupes de travail collaboratifs pilotés systématiquement par des directeurs généraux adjoints (chargés des finances, de l’informatique et des affaires juridiques ; de la solidarité ; de la jeunesse, de l’éducation, des sports et de la vie associative ; des services techniques ; du développement, de la vie culturelle, de la communication, de l’environnement et du tourisme). Chaque groupe a pu formaliser les ambitions métiers en matière des services offerts aux usagers, d’efficacité opérationnelle, de développement durable, de cycle de vie de l’information, etc…

Ces groupes de travail ont permis d’identifier un certain nombre de projets permettant de proposer des services utiles à plusieurs métiers, regroupés au sein de neuf programmes (décisionnel, identité numérique, accueil, service au citoyen,…). Chaque programme a été construit conjointement avec une direction métier et un représentant de la direction informatique.

A titre d’exemple, je citerai les programmes du décisionnel, de l’identité numérique, de l’accueil, et des relations citoyens… La logique, relativement novatrice pour nous, n’est plus de fonctionner suivant une logique organisationnelle interne mais plutôt orienté usagers.

Afin de faciliter la mise en place du décisionnel et de la dématérialisation par politique publique, nous avons initié la démarche suivante : nous réalisons un état des lieux des processus des projets de dématérialisation que l’on doit mener, nous définissons des processus cibles avec des indicateurs de pilotage et de suivi et nous assurer la dématérialisation en adéquation avec les processus cibles validés.

BPSI Le conseil général de Gironde vous semble-t-il plus avancé que d’autres en matière de schéma directeur et d’urbanisation ?

Nathalie Laurent Beaucoup de collectivités locales ont mis en place des schémas directeurs, ce n’est pas une démarche vraiment nouvelle. Mais pour l’urbanisation, il est plus novateur. Mener un projet pour un métier spécifique est toujours plus facile et plus rapide que de mener un projet transversal (par exemple une plate-forme de dématérialisation, l’archivage, la GED, un coffre-fort électronique pour les citoyens…), dans le cadre d’une démarche d’urbanisation. D’où l’indispensable soutien de la direction générale, sinon c’est l’échec assuré.

BPSI Peut-on vraiment mener des projets transversaux sans démarche d’urbanisation, dans le cadre d’un simple schéma directeur ?

Nathalie Laurent L’avantage d’une démarche d’urbanisation est qu’elle permet une meilleure prise en compte des projets tranversaux par les chefs de projets.

Généralement, un chef de projet reçoit une demande de la part des métiers et mène son projet en fonction des besoins exprimés. Avec une charte d’urbanisation, le chef de projet s’interroge dès le début et se pose les bonnes questions, pour identifier les fonctionnalités que l’on peut réutiliser sur d’autres projets, pour mutualiser.

On isole ainsi beaucoup plus aisément les « trous » et les redondances fonctionnelles. Dans le cadre d’un simple schéma directeur, on ne se pose pas toujours l’ensemble de ces questions pour chaque projet et pour l’ensemble du parc applicatif.

Pour établir un schéma directeur urbanisé, nous avons défini plusieurs scénarios (orientation utilisateurs externes, focalisation sur l’amélioration de l’efficience interne, ou approche hybride). Dans la mesure où cette démarche d’urbanisation était relativement novatrice, nous avons privilégié un accompagnement externe (Mega International) pour nous aider à cartographier le système d’information, décrire les couches métiers, fonctionnelles et applicatives, identifier la cible pour la mettre en adéquation avec les projets que nous avions identifiés, mais également pour élaborer les indicateurs, la charte d’urbanisation, accompagner le changement…

BPSI Quelles bonnes pratiques recommandez-vous ?

Nathalie Laurent Rappelons que s’il n’y a pas soutien de la direction générale, cela ne fonctionne pas. Même si préexiste une connaissance macroéconomique de l’urbanisation dans l’organisation, il faut susciter l’adhésion. Pour cela, je préconise de privilégier des modes de travail collaboratifs et participatifs pour les projets de mutualisation, avec un pilotage interne. Nous avons aujourd’hui cartographié la moitié du SI en privilégiant le cœur stratégique (le social, les ressources humaines, le patrimoine, les finances…).

Nous avons traité de front les quatre couches : processus, fonctionnelle, applicative et technique. Nous avons par ailleurs mixé une approche de type « top-down » et une approche de type « bottom-up ».

La première permet de repérer quels processus ne sont pas couverts par les fonctionnalités du système d’information et de détecter les fonctionnalités qui peuvent être mutualisées. La seconde permet de compléter la première pour la description de nos 600 processus. Les directions métiers sont aujourd’hui davantage orientées « procédures » que processus : en formalisant ces derniers, on arrive à démontrer que, certes, les métiers ont l’air différents, mais, qu’en réalité ils reposent sur un socle de fonctionnalités et de processus communs. Cela facilite beaucoup la réussite des projets de mutualisation.

BPSI Comment faire vivre une telle démarche ?

Nathalie Laurent Pour faire vivre le plan d’urbanisation, nous avons réorganisé la DSI autour de cinq services : études, infrastructures (serveurs et réseaux), ressources et sécurité, service client (interface avec les métiers) et pilotage du système d’information. Les deux derniers sont nouveaux.

Le service pilotage regroupe quatre architectes, un par couche (processus, fonctionnelle, applicative et technique) avec un rôle d’alignement, de supervision de cet alignement, de mise en place de la cartographie du SI, et de suivi des changements.

C’est un service transversal à la DSI, qui de par sa position d’arbitre indépendant pour assurer le pilotage de la gestion des demandes de changement, selon les principes d’Itil, tout en respectant la vision de la cible urbanisée.

BPSI Comment estimez-vous le retour sur investissement ?

Nathalie Laurent Au début de la démarche, il faut prévoir un surcoût lié aux investissements pour la cartographie et l’assistance à la mise d’ouvrage. Le retour sur investissement se calcule donc sur le moyen terme. Pour la rationalisation du système d’information, le bénéfice se matérialise par la réduction du nombre d’applications. Côté projets, dans la mesure où l’on mutualise, le retour sur investissement se traduit par une réduction des redondances d’informations, des coûts de maintenance et de développement.

Par ailleurs, nous mettons en place, au sein des services études et infrastructures, des correspondants qui seront des relais opérationnels de cette démarche d’urbanisation, l’objectif étant de produire une cartographie de la meilleure qualité possible et d’être encore plus réactif.


Les best practices de Nathalie Laurent

  • Coupler une démarche d’urbanisation du SI au schéma directeur.
  • Privilégier les projets transversaux métiers.
  • Réutiliser les composants du SI et mutualiser ceux qui sont spécifiques à chaque applicatif.
  • Prévoir des comités de pilotage, avec la direction générale et les directeurs généraux adjoints, et des comités projet qui intègrent les directions métiers.
  • Présenter une vision synthétique des décisions au moins deux fois par an au sein du comité de direction générale.
  • Créer des groupes de travail, sur un mode collaboratif, systématiquement pilotés par les directions métiers.
  • Isoler les programmes à mener, réalisés en collaboration avec un chef de projet informatique et un directeur métier.
  • Pour chaque politique publique, réaliser un état des lieux des processus, des projets de dématérialisation et définir des processus cibles avec des indicateurs de pilotage et de suivi.
  • Élaborer une charte d’urbanisation afin d’identifier plus facilement les « trous » et les redondances fonctionnelles.
  • Privilégier un accompagnement externe pour aider la DSI à cartographier le système d’information, décrire les couches métiers, fonctionnelles et applicatives, identifier la cible pour la mettre en adéquation avec les projets identifiés, élaborer les indicateurs, la charte d’urbanisation et se poser les bonnes questions.
  • Traiter de front les quatre couches : processus, fonctionnelle, applicative et technique.
  • Mixer une approche de type « top-down » et une approche de type « bottom-up ».
  • Savoir démontrer que des métiers qui semblent différents reposent en réalité sur un socle de fonctionnalités et processus communs.
  • Créer, au sein de la DSI, un service de pilotage, avec des architectes spécialisés par couche (processus, fonctionnelle, applicative et technique) avec un rôle d’alignement, de supervision de cet alignement, de mise en place de la cartographie du SI, et de suivi des changements.
  • Nommer, au sein des services études et infrastructures, des correspondants relais opérationnels des métiers dans la démarche d’urbanisation.

Les trois phases de la démarche

  1. Formaliser et décliner la stratégie métier, pour fournir une vision claire et partagée des projets à conduire. Décliner les programmes du schéma directeur en projets métiers et SI cohérents. Cette étape collaborative mobilise les chefs de projet SI, le comité de direction de la DSI, ainsi que les directeurs métiers responsables des programmes.
  2. Élaborer une cible urbanisée pour le SI et un scénario pour l’atteindre, aligné sur les contraintes budgétaires et les ressources. À l’aide des résultats de la première phase, une cible fonctionnelle du SI est définie avec l’équipe Architecture fonctionnelle, intégrant les meilleures pratiques d’urbanisation. Chaque projet identifié a été évalué en termes de risques, de coûts, de ressources et de planification, par les chefs de projets SI. En parallèle, l’équipe architecture s’est assurée de l’intégration des projets dans le SI en cohérence avec la cible urbanisée. Trois scénarios (regroupement de projets planifiés sur cinq ans) alignés sur les contraintes budgétaires et les ressources, et évalués en termes de retour sur investissement ont été proposés pour le schéma directeur.
  3. Accompagner le changement et maîtriser la trajectoire. Une fois le schéma directeur élaboré, il est nécessaire de préparer son exécution et d’en définir le pilotage, pour sécuriser les gains attendus.