Comment Eurotunnel a professionnalisé sa gestion de projets

Croissance externe, exigences de professionnalisation des pratiques, besoins de visibilité et de meilleur pilotage budgétaire ont conduit la DSI d’Eurotunnel à s’équiper d’un outil de gestion de portefeuille de projets.

Avant que la DSI d’Eurotunnel ne s’équipe d’un progiciel de gestion de portefeuille de projets (solution Planview), l’approche était, comme dans beaucoup d’entreprises, plutôt artisanale. « Nous avions des difficultés pour établir une liste exhaustive des projets en cours, se souvient Jean Brunier, DSI d’Eurotunnel. Ces projets étaient lancés de manière informelle, seuls les plus importants d’entre eux faisant l’objet d’une planification unitaire. Nous avions une culture de gestion de projets, mais projet par projet. Il nous manquait une véritable vision macroscopique. »

En finir avec une gestion informelle et une organisation en silos

Ce qui ne pose pas ou peu de problèmes dans une organisation en silos devient vite gênant dès lors qu’un modèle centralisateur, avec des objectifs transversaux, se met en place : « Gérer de manière informelle ne devient alors plus envisageable », confirme Jean Brunier. D’autant que l’entreprise Eurotunnel a considérablement étendu son périmètre, avec notamment la gestion des infrastructures ferroviaires portuaires (Dunkerque, Rouen-Le Havre, Saint-Nazaire…).

Auparavant, la DSI était organisée selon le principe de ressources (chefs de projets, développeurs) constituées par domaine. « Notre modèle historique basé sur une équipe informatique par client ne fonctionnait plus, sauf à augmenter les effectifs de façon proportionnelle, ce qui n’était pas possible, poursuit le DSI d’Eurotunnel. Nous souffrions, au niveau de la DSI, d’un manque de visibilité globale sur les projets, mais la satisfaction des clients internes était relativement bonne, puisque chacun avait sa propre équipe !

Mais à mesure que l’on s’organisait de manière transversale, tant pour les MOE que pour les développeurs, il nous fallait un outil de pilotage, ne serait-ce que pour établir des listes de projets afin d’en recenser le nombre, l’objet et le périmètre. L’un des moyens privilégiés pour satisfaire ce besoin de coordination réside dans l’adoption d’un outil de gestion de portefeuille de projet. Le modèle centralisé que nous avons adopté apporte de la souplesse, mais, en corollaire, demande beaucoup de coordination. »

Des « Engagements Managers » au service des clients internes

La DSI d’Eurotunnel (65 collaborateurs) est aujourd’hui organisée en plusieurs équipes. Cinq responsables de comptes, baptisés « Engagement Managers », et directement rattachés au DSI, sont en charge des relations avec les clients internes. « Chacun s’occupe d’un ou de plusieurs domaines métiers (commercial, exploitation…) ou Corporate (finances, achats…) », précise le DSI. Une autre équipe regroupe les chefs de projets, au nombre de douze, qui sont chargés de mener les projets pour le compte des « Engagement Managers ».

ne troisième équipe réalise les solutions. « La moitié des collaborateurs de cette équipe sont des architectes systèmes, par exemple pour les serveurs et les télécoms, l’autre moitié est composée de développeurs, détaille Jean Brunier. Nous avons également constitué des pôles de compétences centralisés qui travaillent pour tous les « Engagement Managers ».

Ces derniers ont acquis du poids dans l’organisation, ils collaborent avec les métiers pour définir les orientations stratégiques de l’évolution du système d’information en s’appuyant sur les pôles de compétences. Enfin, un « service delivery » a la responsabilité de l’exploitation des serveurs, du support des postes de travail et du help-desk, dans une logique de prestations de services. »

Privilégier une vision macroscopique

Les projets sont divisés globalement en cinq phases : le cadrage, le design (achats, conception, spécifications détaillés), le développement (para­métrage de l’outil ou développement spécifique), les tests et la mise en production, et la phase de stabilisation/amélioration. « C’est un découpage classique dans une DSI et nous mesurons l’état d’avancement des projets sur ces cinq phases. Je suggère de rester à un niveau macroscopique, sur ces cinq phases, avec une ou deux tâches par phase. Chaque mois, avec l’outil Planview, nous regardons où en sont les projets par rapport à ces phases, en comparant les objectifs et les plannings initiaux. Cela permet d’éviter que les projets dérapent, la période cruciale étant la phase de cadrage. »

Il convient de consacrer le temps nécessaire à cette phase cruciale : « Les projets bien préparés sont ceux qui ont le meilleur taux de réussite ! » Pour Jean Brunier, utiliser un outil présente également un avantage décisif pour un DSI : « Cela permet de s’orienter vers un mode collaboratif. Si un retard intervient, on sait le rectifier aussitôt car on sait d’où il provient, les clients internes savent désormais que nous sommes structurés et ils ne peuvent plus accuser la DSI pour des retards dont ils sont en réalité à l’origine : tout le monde a adopté une attitude responsable. »
Vaincre les réticences

Ce changement culturel n’est évidemment pas naturel, et il suppose de déployer des efforts particuliers pour l’accompagnement au changement, notamment pour les équipes impliquées dans la gestion des projets. En effet, le fait de contraindre ces dernières à davantage de formalisme, à élaborer des listes de projets et à établir des fiches détaillées pour chacun d’eux bouscule les habitudes de travail et crée des tâches supplémentaires à effectuer.

« Les collaborateurs comprennent bien évidemment l’intérêt de cette approche, mais il leur faut « entrer dans un moule », car la gestion de portefeuille de projets impose des règles précises de fonctionnement, donc de nouvelles contraintes pour les chefs de projets, qui doivent par exemple s’astreindre à saisir leurs temps selon les activités, souligne Jean Brunier. Pour ceux qui intègrent l’organisation ou qui ont connu ce type d’outils dans leur parcours professionnel, cela ne pose pas de problème ; en revanche, pour ceux qui bénéficiaient d’une réelle autonomie, c’est plus difficile… »

Mieux anticiper les risques de dérive des projets

Le DSI d’Eurotunnel a ainsi créé un poste à temps plein pour la coordination des projets. C’est en fait l’administrateur de la solution Planview qui est en charge de cette coordination et qui s’assure que les fiches projets sont complètes, mises à jour et qui élabore le reporting. « Ce n’est pas un chef de projet à qui incombent ces tâches, mais à une collaboratrice qui s’occupait auparavant des contrats de maintenance et des demandes d’achats », précise Jean Brunier. Des tableaux de bord mensuels sont établis et transmis à la direction générale. « Ces tableaux de bord permettent d’avoir une vue macroscopique de tous les projets et de savoir à tout moment leur stade d’avancement. »

Cette vision est même cruciale dès lors que les projets accusent un certain retard. « Eurotunnel est un acteur majeur du ferroviaire et 400 trains empruntent chaque jour le tunnel sous la Manche, que ce soit des Navettes Eurotunnel, des Eurostar ou des trains de marchandises ; tous ces flux sont gérés avec une exigence de ponctualité, explique Jean Brunier. Dans l’informatique aussi, chez Eurotunnel, le timing est stratégique et l’on fait tout pour gérer et livrer les projets en temps et en heure. »

Un outil de gestion de portefeuille de projet, au-delà du recensement des projets et de leurs caractéristiques, apporte une aide précieuse au chiffrage. « Ce chiffrage est possible projet par projet, client par client, et s’avère aussi utile pour le suivi des sous-traitants qui travaillent sur plusieurs projets et dont la facturation en fonction de leur affectation peut vite devenir un cauchemar ! » Outre le chiffrage des projets passés ou en cours de développement, un outil de gestion de portefeuille de projets aide à établir des prévisions.

« Le « Graal », pour un DSI, consiste à obtenir un vrai plan de charge réaliste pour chaque équipe et chaque collaborateur, selon les tâches de chacun, de manière à sécuriser les dates de livraison des projets, assure Jean Brunier. L’outil Planview permet de le faire. » Et ce n’est pas une mince affaire dans la mesure où l’activité des collaborateurs est polluée par la maintenance et les activités non planifiées qui viennent retarder la réalisation du plan de charge.

Des prévisions budgétaires plus fiables

À un niveau global, un outil de gestion de portefeuille de projets fiabilise les prévisions budgétaires, processus qui est en cours d’implémentation chez Eurotunnel, avec le module EPM (Enterprise Portfolio Management) de Planview. « Les Engagement Managers préparent les budgets avec leurs clients et, projet par projet, évaluent les besoins (nombre de jours-hommes, ressources externes, matériels, licences logicielles…), détaille Jean Brunier. À chaque projet est attaché un tableau financier et nous obtenons ainsi une vision macroscopique. »

Les jours-hommes sont ainsi valorisés par profil, ce qui permet de calculer les besoins en ressources humaines, par profil et dans le temps. L’astuce est évidemment de réaliser des estimations en les basant sur des éléments tangibles. « Les prévisions, c’est un exercice que l’on sait faire, grâce à notre expérience, car nous avons l’habitude d’estimer des charges, mais il est quelquefois difficile de justifier les chiffres, note Jean Brunier.

L’outil permet de préciser les estimations, de les affiner avec le temps et, en outre, nous aide pour le futur afin que l’on se souvienne des critères ou indicateurs que nous avions retenus pour les chiffrages, ce qui est plus difficile lorsque l’on se repose uniquement sur la mémoire humaine. »

On le voit, l’utilisation d’un outil de gestion de portefeuille de projets s’avère très structurant pour l’organisation et les équipes. Le préalable est donc d’être capable de bien modéliser les processus de gestion des projets. « Un outil de gestion de portefeuille de projets va imposer des règles qui s’appliqueront à tous les projets et à tous les collaborateurs, explique Jean Brunier. Il faudra vivre avec, au quotidien, et si, à première vue, on croit perdre un peu de souplesse et de réactivité, en fait, on gagne en efficacité en ayant bien cadré les travaux des uns et des autres. »

Le risque étant qu’en ne faisant rien côté outillage, « on conserve, certes, une certaine souplesse mais, à terme, on ne sait plus qui est responsable de quoi, on perd en visibilité et, surtout, le DSI n’a pas la vision globale qui lui est nécessaire pour superviser et rendre compte à tout moment des progrès de ses équipes, c’est très risqué pour sa carrière… », soutient Jean Brunier. Sans parler des surcoûts et d’une inefficience chronique dans la gestion de projets.

Couvrir toutes les facettes de la gestion de projet

De fait, un outil de gestion de portefeuille de projets doit couvrir la totalité de l’activité. « Tous les DSI disposent de procédures plus ou moins formalisées de gestion de projets, mais si l’on souhaite les industrialiser, tous les projets doivent être intégrés dans l’outil : si on ne planifie par exemple que 20 % des projets, cela ne sert à rien, le plan de charge des équipes ne sera complet que si 100 % des opérations sont prises en compte », assure Jean Brunier.

Il ne faut donc pas se tromper dans le choix de l’outil. Quels critères faut-il privilégier ? « D’abord, l’interface utilisateur, c’est ce qui a orienté notre choix, conseille Jean Brunier. Il faut, selon moi, privilégier un outil convivial et agréable à utiliser pour tous les collaborateurs, notamment parce qu’un changement de méthode se passe mieux lorsque l’util est accepté par tous. » Ensuite, la capacité d’intégrer les règles de gestion des projets est déterminante : « Il est important que l’outil vienne s’adapter aux règles préexistantes, car un changement ne doit pas impliquer systématiquement de tout changer », rappelle le DSI.

Tout en conservant une certaine souplesse : « Si l’organisation change et que les façons de travailler évoluent, l’outil doit pourvoir refléter ces évolutions. Il faut toujours être capable de répondre à la question récurrente des clients internes : « J’ai une nouvelle priorité business, quels projets doit-on décaler pour pouvoir la mettre en œuvre rapidement ? » Un outil de gestion de portefeuille de projets permet de répondre à cette question importante pour les métiers. » Il reste à résoudre le casse-tête de l’élaboration des plans de charge pour les équipes projets.

« Si l’on demande à ses collaborateurs quel sera leur plan de charge à un horizon de six mois, on constatera probablement que le premier mois, la charge atteindra 300 % des capacités, mais qu’elle diminue progressivement pour être quasiment nulle à m+6 », note Jean Brunier.

Elaborer des plans de charges pour lisser l’activité

Ce constat est lié au fait qu’il est très difficile d’évaluer a priori les activités à venir et leur répartition dans le temps. Que faire ? « À l’image de l’arasement d’un tas de sable, il faut transformer les bosses en une surface plane, le but étant de mobiliser les équipes de manière régulière », ajoute Jean Brunier. Comment faire ? « L’objectif étant de parvenir à un lissage optimal, il faut arbitrer, ce qui suppose, au préalable, de disposer d’une liste exhaustive et claire des projets, conseille Jean Brunier, et de collaborer avec les clients internes pour définir les priorités. » Concrètement, il faut partir de la saisie du « réalisé », puis planifier au mieux l’activité pour les projets en cours afin d’aboutir à une planification budgétaire.

Chez Eurotunnel, ce sont les Engagement Managers qui assument cette mission, avec l’outil Planview. « On ne pourrait d’ailleurs plus s’en passer, assure Jean Brunier, surtout compte tenu de l’évolution de notre organisation, avec des ressources partagées qu’il faut planifier et réserver dans le temps… »


Les principales fonctionnalités d’un outil de gestion de portefeuille de projets

Processus d’éligibilité au portefeuille :

  • analyse des coûts, des charges et des délais
  • gestion des priorités des demandes
  • analyse de valeur
  • définition et suivi des principes directeurs de la gestion de projets…

Processus de suivi de projet :

  • animation des instances de suivi de projet
  • suivi des risques et des actions
  • reporting et tableaux de bord
  • planification et suivi des charges
  • gestion documentaire partagée
  • gestion financière…

Source : Digitalonomics.