Alignement métiers-système d’information : à quelles conditions ?

Le CIO Symposium, organisé en décembre 2008 à Paris par l’AIS (Association for Information Systems) et le Cigref, a été l’occasion de présenter les derniers travaux sur le rôle des DSI en matière d’alignement et de gouvernance.

Jerry Luftman, du Stevens Institute of Technology, qui a étudié un millier d’entreprises pour déterminer leur niveau de maturité en matière d’alignement entre le système d’information et les métiers, identifie six composantes essentielles qui déterminent ce niveau de maturité : la communication, la mesure de la valeur, la gouvernance, les partenariats, les architectures et les compétences.

Si les entreprises interrogées semblent davantage matures, en termes d’alignement, dans les domaines des architectures et des relations de partenariats, « elles ont encore des points faibles à corriger en matière de compréhension des technologies par les métiers, de métriques IT, d’engagements de services et de mobilité transversale des ressources humaines », note Jerry Luftman.

Un autre facteur influence ce degré de maturité : l’organisation des systèmes d’information, plutôt de manière centralisée, plutôt décentralisée, ou avec une combinaison des deux approches. Les résultats de l’étude menée par Jerry Luftman (voir tableau ci-dessous) montrent que le niveau de maturité de l’alignement entre les systèmes d’information et les métiers est favorisé par une organisation de type « fédérale », combinant une centralisation et une décentralisation des systèmes d’information.

Autre question posée par Jerry Luftman : quelle est l’influence du rattachement hiérarchique des DSI sur la performance de l’entreprise ? « Nous avons observé un corrélation directe entre le niveau de maturité de l’alignement IT et métier et la performance globale de l’entreprise », note Jerry Luftman.

Les ingrédients favorables étant un modèle mixte et un rattachement du DSI soit à la direction générale soit à une direction métier, le modèle totalement décentralisé avec un rattachement du DSI à la direction financière étant, a contrario, un scénario à éviter… Globalement, selon la dernière étude de McKinsey, intitulée « Le potentiel manqué des technologies de l’information », il reste du chemin à faire (voir tableau).

Même les fonctions de base d’un système d’information posent problème : la moitié seulement des personnes interrogées estiment que la fourniture des services de base (postes de travail, messageries…) est « très efficace ». La proportion est encore plus faible (35 %) pour la coopération entre les DSI et les directions métiers pour améliorer les systèmes existants ou proposer des fonctionnalités nouvelles.

Mais le CIO est-il encore (ou pas encore) un CIO ? A cette question, Rik Maes, professeur de management de l’information à l’université d’Amsterdam, répond par la négative. « J’y vois trois raisons, explique-t-il, d’abord la tendance à se focaliser sur l’alignement entre l’IT et le business mais on oublie l’alignement avec la finance, les ressources humaines…

Ensuite, on se concentre sur ce qui est structurel et classifié, autrement dit sur le comment au lieu du quoi. » Enfin, selon Rik Maes, le système d’information est encore perçu comme « impersonnel » alors qu’il fonctionne beaucoup sur les relations humaines. « Je plaide en faveur de la réévaluation de l’information comme principale source d’intérêt pour les DSI, à la place des TIC. Le CIO doit être un équilibriste entre ‘in-former’ l’organisation (= mettre en forme) et l’’inspirer’ (= insuffler l’inspiration) », précise Rik Maes. « Le CIO est le CEO de l’entreprise numérique », résume Renaud de Barbuat, DSI de Thales et vice-président du Cigref.

Avec une bonne dose d’innovation. Mais peut-elle coexister avec la standardisation ? « Oui, assure Jeanne Ross, chercheuse au Center for Information Systems Research au MIT, et le mélange des deux conduit à l’agilité du système d’information : l’innovation a pour objectif d’accélérer la croissance du business, la standardisation d’augmenter la profitabilité, l’agilité conduit, de fait, à la croissance profitable. »

« Nous jonglons en permanence entre l’innovation et la standardisation, les deux coexistent et le challenge est de se différencier des concurrents », précise Bruno Ménard, DSI de Sanofi Aventis et président du Cigref. Hélas, les perspectives concernant les efforts financiers en faveur de l’innovation vont pâtir de la crise, selon McKinsey, pour cause de « prioritisation des investissements, recentrés à la cause de la crise », note le cabinet de conseil.

Cette approche de court terme peut contribuer à fragiliser le rôle des DSI. « Nous devons pourtant être optimistes en ces temps difficiles, et investir maintenant pour partager les connaissances et être prêts pour la reprise », conseille Lynne Markus, professeur de gestion de l’information et des processus à Bentley College, près de Boston. Une injonction contradictoire difficile à gérer…

Un modèle mixte (centralisé-décentralisé) favorise l’alignement métier-SI
Organisation des SI/ rattachement du CIO % des entreprises concernées Niveau de maturité de l’alignement métier-SI
Modèle plutôt centralisé 28 % 2,87
Modèle plutôt décentralisé 23 % 2,64
Modèle fédéral 49 % 3,03
CIO ➙ Dir. générale 70 % 3,26
CIO ➙ Dir. des opérations 7 % 2,97
CIO ➙ Dir. financière 8 % 2,76
CIO ➙ Dir. métier 14 % 3,20
Source : Jerry Luftman, Stevens Institute of Technology : “Strategic alignment maturity: new developments”, CIO Symposium 2008.