Architecture d’entreprise : quels modèles opérationnels ?

Le dernier symposium de l’Association française de l’audit et du conseil informatiques (Afai), en juin 2008, a été consacré à l’architecture d’entreprise comme levier d’action pour le système d’information. Les retours d’expériences de l’assureur Axa, de la compagnie aérienne Air France-KLM et du groupe de médias Canal +.

« L’architecture d’entreprise est au service de l’efficacité de l’entreprise », assure éric Boulay, président-directeur général d’Arismore et représentant en France de l’Open Group, consortium indépendant qui regroupe des industriels, des grandes entreprises et des universités. « L’architecture d’entreprise est un ensemble de concepts, de modèles et de démarches au service de la transformation de l’entreprise. C’est un processus d’entreprise pour l’amélioration, la capitalisation et l’optimisation économique. Elle apporte les informations nécessaires à la gouvernance et à la gestion de portefeuille de projets, à l’instruction et la sécurisation des phases d’un projet », ajoute Eric Boulay.

Comment faire ? Eric Boulay suggère de partir des pratiques en place et des projets d’entreprise, de les améliorer en formalisant les processus et les livrables d’architecture et de gouvernance (par exemple en s’inspirant des bonnes pratiques publiées par le Togaf, The Open Group Architecture Framework). Il existe toutefois plusieurs facteurs-clés de succès : « L’organisation, le leadership, le management, l’écoute, le pragmatisme, s’imposer par l’usage et le service rendu », résume éric Boulay.


Axa : priorités aux « Roadmaps »

Chez Axa, l’architecture d’entreprise a pour ambition de dépasser les objectifs de contrôle technique traditionnellement dévolus à l’architecture IT. « Il s’agit de créer des axes de convergence plutôt que de contrôler la divergence », résume Vincent Carlier, responsable de l’architecture d’entreprise pour le groupe Axa. Il s’agit également d’aligner les objectifs des métiers et des systèmes d’information, notamment en plaçant les initiatives technologiques au sein des plans de développement pluriannuels métiers ainsi qu’en « développant les capacités cœur du métier de manière cohérente et concertée », précise Vincent Carlier.

Sur le plan des systèmes d’information, cela se traduit par le maintien de la discipline héritée de la standardisation technique, avec une simplification du parc applicatif, la poursuite de la convergence des solutions et la maîtrise de l’obsolescence et de la standardisation technique. « Il faut aussi rendre visibles les gains financiers liés à l’architecture », ajoute Vincent Carlier. Axa utilise des « Enterprise Architecture Roadmaps » dont l’objectif, selon Vincent Carlier, est de « renforcer la continuité entre les objectifs de développement du métier et ceux de l’IT, avec l’utilisation d’un modèle pivot basé sur les activités métiers et la liaison entre les initiatives stratégiques et les développements informatiques ».

Concrètement, la responsabilité de ces roadmaps a été confiée aux métiers : « en 2006, les plans de développement IT ont été découplés des plans métiers, en 2007, les DSI pilotent les roadmaps et en 2008, les directions générales pilotent les roadmaps », précise Vincent Carlier.

La première étape consiste à établir des « Capabilities Heat Maps » : « par rapport à chaque initiative stratégique (développer de nouveaux segments de clientèle, fidéliser les clients, réduire le complexité des processus…), nous déterminons quel sera le niveau d’investissement business, on sait alors où vont les budgets par rapport aux besoins métiers », explique Vincent Carlier.

L’impact est classé selon son degré d’importance : faible, moyen ou fort. Deuxième étape : les « Applications Heat Maps », pour identifier l’impact sur le parc applicatif : soit les ressources existent déjà, soit elles doivent être améliorées, soit elles doivent être créées. La troisième étape est celle de la « Consolidated Roadmap », une vision sur trois ans, détaille Vincent Carlier : « Elle fait apparaître les liens entre le métier, le modèle et les changements informatiques. » Il s’agit « d’identifier les synergies et les points de contention, ainsi que les opportunités de convergence entre les compagnies (en s’appuyant sur un modèle commun de Business Capabilities).

Pour cela, on se pose les deux questions suivantes : des initiatives stratégiques sont-elles concomitantes sur le même domaine d’activité métier ? Des solutions peuvent-elles être partagées ? » Les modèles opératoires sont la clé de la convergence. La définition des modèles opératoires par Business Capability permet d’identifier les objectifs de partage et de standardisation des processus métiers et des solutions informatiques. « La standardisation ciblée du cœur de l’activité permet l’adoption de solutions d’entreprise préparatoires à la modularité du métier et de l’IT », précise Vincent Carlier.


Canal + : vers une architecture orientée services

« L’action d’urbanisation consiste à concevoir et à faire évoluer le système d’information d’une entreprise. A l’instar d’une ville, il aura son découpage propre en zones, quartiers, îlots. On parle d’urbanisation réussie lorsque celle-ci peut s’adapter et anticiper les différents changements de l’entreprise (stratégiques, organisationnels, métier) », précise Christophe Rémy-Néris, directeur du domaine édition à la DSI de Canal+ France. Canal+ a mis en œuvre une migration de son application « Antenne » vers une architecture de type SOA.

Si l’informatique est toujours incontournable pour garantir le bon fonctionnement de l’entreprise, « les métiers et les techniques se sont complexifiés », estime Christophe Rémy-Néris. Cela entraîne, notamment, plusieurs effets pervers : une relative absence de maîtrise du système d’information, des problèmes de non-qualité, de vulnérabilité, ainsi que des surcoûts en matière d’exploitation et de maintenance. « Les difficultés que nous rencontrons concernent à la fois la communication (entre maîtrises d’œuvre, maîtrises d’ouvrage et production), le développement de nouveaux services, l’identification du périmètre. »

Pour Christophe Rémy-Néris, il convient d’urbaniser le système d’information, et garantir une bonne urbanisation passe par la SOA. Ce schéma a été utilisé à plusieurs reprises : pour vanter les mérites de l’architecture des ERP, pour promouvoir les architectures de type EAI et pour développer des architectures de type services : « Mais un ERP ne remplace pas un outil métier, les briques ne sont que des composants de l’ERP.

De même, l’EAI constitue un moyen, un outil, pas une méthode. Enfin, les services sont prévus pour une application donnée et reposent sur des technologies non ouvertes », constate Christophe Rémy-Néris. En matière d’urbanisation du système d’information, la vision doit être à la fois métier et technique : « La vision métier permet de remettre l’informatique au service du métier et de la réalisation de la stratégie de l’entreprise. La vision technique, pour sa part, a pour objectif de simplifier, de fiabiliser, d’adopter une approche rationalisée et de faciliter l’exploitabilité et la supervision », constate Christophe Rémy-Néris.

Le groupe Canal+ a bâti son système d’information « Antenne » au début des années 1990. En 2000, a été lancé le chantier Antenne V2 et, sept ans plus tard, le chantier Antenne V+, qui sera totalement finalisé entre 2011 et 2014. « Le système Antenne constitue la colonne vertébrale des chaînes de télévision, pour un millier d’utilisateurs et une trentaine de métiers », souligne Christophe Rémy-Néris.

Le système Antenne V1 reposait sur une architecture client/serveur classique sous Windows/SQL. « Le système était conforme aux attentes mais était difficile à faire évoluer, avec des clients Windows saturés, et des packages PL/SQL de plusieurs milliers de lignes, ainsi qu’une absence d’approche de type réutilisation », se souvient Christophe Rémy-Néris.

Le besoin d’évolution est né d’exigences de modularité. « Il nous fallait également une application multilingue pour déployer à l’international », ajoute Christophe Rémy-Néris. D’où une refonte globale (conception, réalisation, recette, déploiement). La décision fut prise en 1999 pour un déploiement en France en 2003, après des déploiements intermédiaires en Pologne, en Scandinavie et au Benelux. Antenne V2, développée en interne, était conçue pour répondre aux besoins d’une dizaine de canaux, elle a en réalité été déployée pour près de 70 canaux en France.

Et cette version souffrait d’un certain nombre de difficultés : « Le déploiement initial, réalisé en trois ans, a ralenti les évolutions métiers, repoussées au nouveau système », regrette Christophe Rémy-Néris. Par ailleurs, existaient des risques techniques et fonctionnels : une migration des chaînes en mode « big bang », pas de retour en arrière possible et « pas vraiment de test grandeur nature possible pour vérifier la tenue en charge du système. Avec le recul, il fallait être un peu  » tête brûlée  » pour se lancer dans pareille aventure », se souvient Christophe Rémy-Néris.

En outre, du fait de l’accroissement du nombre de canaux à gérer, le système est devenu extrêmement critique d’un point de vue business car très imbriqué avec les contraintes de diffusion des contenus sur les différentes chaînes. Antenne V+ est née du besoin de migrer vers les standards du marché, de contrôler les risques et « de ne pas pénaliser le métier qui, lui, continue à évoluer », précise Christophe Rémy-Néris, pour qui « grâce au fait que le précédent système était orienté services, la SOA permet de faire plus facilement cohabiter les briques fonctionnelles… On a ainsi la possibilité de ne récrire que ce qui est indispensable et justifiable. »

De fait, les briques sont testées indépendamment, l’ancienne application reste opérationnelle, la montée en charge est progressive et les traitements métiers restent inchangés. Alors que Antenne V2 a nécessité une mise en place de trois ans, Antenne V+ a été mise en place en un peu moins de douze mois, ce qui a considérablement diminué les risques liés à « l’effet tunnel ».

La différence entre les deux générations s’exprime également sur le plan financier. « Alors que V2 a nécessité un investissement massif sur trois ans, d’où un risque financier important en cas d’échec, V+ se caractérise par des projets à taille humaine et donc avec un risque financier faible, des fonctions nouvelles dont le ROI peut être validé rapidement. Donc, un investissement à vitesse variable, piloté par l’entreprise en fonction de ses moyens et de ses priorités », souligne Christophe Rémy-Néris. Pour ce dernier, la SOA favorise une bonne organisation des tests : « Le couplage faible diminue les problèmes de régression fonctionnelle. »


Air France-KLM investit dans les « Information Managers »

Si Air France-KLM forme un seul groupe, il coexiste encore deux organisations IT. La première, chez Air France, forte d’un budget de 500 millions d’euros et de 2 200 collaborateurs ; la seconde, chez KLM, dotée d’un budget de 360 millions d’euros et de 1 250 collaborateurs. « Il y a deux DSI, deux ensembles de métiers, mais une vision commune », précise Jean-Christophe Lalanne, directeur stratégie, architecture, technologie, sécurité, à la DGSI d’Air France, et président du Cercle Cigref « Architecture d’entreprise ».

De fait, l’organisation des relations entre l’IT et les métiers pose la question fondamentale de la gestion de la demande. Entre les deux DSI, le groupe dispose d’un « Group CIO Office », dont le rôle est de « faire travailler ensemble les deux DSI et de gérer la demande », souligne Jean-Christophe Lalanne. Dix fois par an, un comité d’investissement projets (Project Investment Comitee) se réunit pour décider de la suite à donner aux demandes, après avoir étudié les business cases. Ce PIC a un équivalent chez KLM, le BIC (Business Investment Comitee). Il se saisit des projets, communs ou spécifiques et étudie le business case validé au niveau des métiers.

Des projets qui doivent s’inscrire dans les architectures d’entreprises et les architectures techniques. « Lorsqu’un projet est commun aux deux compagnies, soit au total une quinzaine de mégaprojets, une d’entre elles en est responsable, précise Jean-Christophe Lalanne. Il y a observation du plan d’architecture, on doit prouver que le projet se situe dans l’architecture d’entreprise et technique ». Un « architecture comitee » se charge de « délivrer les permis de construire » en conformité avec l’architecture. « Ce comité est important, il donne la permission d’investir en fonction de critères qui ne sont pas que business cases », précise Jean-Christophe Lalanne.

Le groupe considère ainsi trois niveaux de gouvernance : les métiers, l’IT et les IMO (Information Management Offices), dont le rôle est fondamental. Au total, il existe un millier d’Information Managers, dont 600 chez Air France. « Il s’agit d’un investissement important fait par les métiers », insiste Jean-Christophe Lalanne. Le management du portefeuille de projets est sous-tendu par une vision à trois ans, qui définit notamment les roadmaps d’architecture d’entreprise et d’infrastructures, référentiels groupe à partir desquels sont déclinés les projets.

« Le portefeuille de projets est en responsabilité partagée entre les IMO et le CIO Office », précise Jean-Christophe Lalanne. Il existe ainsi un ensemble de règles partagées : « ce sont les IMO qui sont responsables des besoins métiers et c’est l’IT qui est responsable de la solution technique. Autrement dit le « What » (pourquoi) relève des métiers, et le « How » (comment) relève de l’IT, mais chacun a le droit de s’intéresser au domaine de l’autre, » souligne Jean-Christophe Lalanne. De fait, le portefeuille de projets est une responsabilité partagée entre les métiers, à travers les IMO, et l’IT, à travers le CIO Office.

Les missions du CIO Office chez Air France
Champs d’action Domaines couverts
Architecture d’entreprise Architecture des infrastructures et des applications, roadmap technologique, innovation…
Sécurité Politiques de sécurité, gestion des risques, CISO (Corporate Information Security Officer)…
Finance et stratégie Gouvernance financière, stratégie de pricing, performance IT…
Développement des IMO
(Information Management Offices)
Management du portefeuille (innovation/continuité), alignement métiers, support et management de la communauté des IM (Information Managers)….
Management de projets Reporting et audits, assurance qualité, benchmarking…
IMO pour l’IT Design et optimisation des processus IT, partage de best practices…
Source : Air France.

 

Les quatre modèles opérationnels de l’architecture d’entreprise
Degré d’intégration des processus métiers Élevé Coordination

  • Modèle business : chaque entité métier doit connaître l’activité de chacune des autres.
  • Rôle de la DSI : permettre l’accès aux données partagées, à travers des interfaces standards.
Unification

  • Modèle business : un seul business avec des processus standards globaux et des accès
    globaux à l’information.
  • Rôle de la DSI : des processus standards pour
    les systèmes d’entreprise avec des accès
    globaux aux données.
Faible Diversification

  • Modèle business : des entités business
    indépendantes avec différents clients et
    expertises.
  • Rôle de la DSI : fournir des économies d’échelle sans remettre en cause l’indépendance des entités métiers.
Réplication

  • Modèle business : des entités métiers
    indépendantes mais similaires.
  • Rôle de la DSI : fournir une infrastructure standard et des composants applicatifs pour garantir l’efficacité globale de l’organisation.
Faible Élevé
Source : Enterprise Architecture as Strategy: Creating a Foundation for Business Execution, J. Ross, P. Weill, and D. Robertson, Harvard Business School Press, Juin 2006.

Architecture d’entreprise : une définition

L’architecture d’entreprise est l’organisation logique des processus business et des infrastructures IT qui reflète les besoins d’intégration et de standardisation du modèle opérationnel d’une entreprise, celui-ci étant du niveau désiré d’intégration et de standardisation pour délivrer les produits et le services aux clients.

Source : Center for Information Systems Research.