Au cœur des sociétés de services

Le marché français des logiciels et services pèse plus de quarante milliards d’euros de chiffre d’affaires et emploie 400 000 salariés, selon les derniers chiffres publiés par Syntec numérique. Ce qui en fait l’un des tout premiers secteurs de l’économie française, d’autant que le recrutement y est dynamique (35 000 recrutements prévus en 2012).

Nés au début des années 1960 de la mise sur le marché des premiers ordinateurs programmables, les métiers du service constituent une saga qui a donné naissance à des groupes d’envergure internationale (Capgemini, Atos, Sopra…). La SSII à la française est également le fruit d’une réglementation particulière et unique dans les grands pays développés. Alors qu’ailleurs se développaient de puissants groupes industriels de services, faisant appel à une main d’œuvre indépendante, la SSII à la française s’est longtemps comportée comme un fournisseur de main d’œuvre pour ses clients.

Entreprises de services et économie numérique – Radiographie des SSII, par Franck Lacombe et Philippe Rosé, Cigref-Nuvis, 240 pages.

Cet ouvrage, publié sous l’égide du Cigref-Réseau de Grandes Entreprises, traite du modèle de développement des SSII françaises, à travers une analyse historique, économique et organisationnelle. Y sont notamment abordés les grandes étapes de développement du secteur, le rôle des ruptures technologiques et l’évolution de la demande des entreprises, la question du niveau de maturité du secteur, l’industrialisation des offres, les modèles économiques, la concentration des acteurs, les stratégies des constructeurs dans les services, ou encore les facteurs différenciateurs, par exemple en termes de cultures d’entreprise, de stratégies commerciales ou de communication…

Le secteur des services regroupe quatre grands métiers : d’abord, la fourniture de ressources, qui sont, selon les auteurs, « « banalisées », c’est-à-dire non différenciables, non rares et non critiques ». Ensuite, les projets clés en main : « Ce mode de relation (que l’on qualifie souvent de « forfait » alors que le vocable forfait est une caractéristique du prix, pas du service et encore moins de l’engagement juridique, mais l’usage est ainsi…) implique une grande liberté pour le prestataire dans le choix des moyens, expliquent les auteurs.

L’avantage indéniable pour le client est que le prestataire peut (et doit) mieux utiliser ses expériences précédentes et réutiliser non seulement des hommes (capitalisation fragile) mais aussi des méthodes, procédures, outils, parties de codes… Cette réutilisation (dont le niveau d’industrialisation marque le niveau de maturité de la SSII) est vitale pour la baisse du prix de vente (avantage client) et l’augmentation de la marge (avantage fournisseur). »

Troisième grand métier du service : l’externalisation. « Les détracteurs de ce type d’engagement (ou de désengagement) affirment que la satisfaction client est souvent mauvaise. C’est vrai, mais était-elle meilleure lorsque l’informatique était exploitée par la DSI, avec une kyrielle de prestataires en régie ? »

Enfin, le quatrième métier est le conseil : « Le vrai, se caractérise par une séniorité plus importante des salariés, par une approche méthodologique et non technique, par une action commerciale complètement différente des autres métiers, par des valeurs des indicateurs de gestion eux aussi différenciées », précisent les auteurs.

Outre des développements sur tous ces aspects, l’ouvrage regroupe des entretiens réalisés avec les figures emblématiques, à commencer par Serge Kampf, fondateur de Capgemini. Celui-ci estime, historiquement : « La principale rupture tient à l’irruption des constructeurs dans le secteur des services. Ils sont passés du statut de partenaire à celui de concurrent, lorsqu’ils ont dû venir chercher dans le service les profits qu’ils ne réalisaient plus dans la vente de matériels. Puis les grands de l’audit se sont également lancés à nos trousses, faisant qu’aujourd’hui nos anciens amis, IBM et Accenture en tête, sont aujourd’hui nos plus farouches adversaires. »

Question stratégie, pour le fondateur de Capgemini : « Le bon manager de SSII est celui qui sait vendre au bon prix ce qu’il a, et pas ce que le client lui demande. L’optimisation du taux d’activité reste l’alpha de notre métier, l’oméga étant la maîtrise des charges de structures. Les nombreuses sociétés que nous avons acquises, ou avons projeté d’acquérir, démontrent à quel point la maîtrise de ces fondamentaux est révélateur des résultats et de la réussite ou non d’une entreprise de notre secteur. »

Pour sa part, Pierre Pasquier, fondateur de Sopra, se souvient : « La création des SSII ressemblait à la conquête de l’Ouest, nous étions vus comme des bêtes bizarres qui voulaient prendre le travail des entreprises. On nous accusait de tous les maux. À chaque changement technologique, il y a eu des créations de SSII et progressivement, le métier a basculé de l’appoint secondaire assimilé à de l’intérim vers un métier noble. »