Avec la crise, c’est le moment d’être iconoclaste

Pour le DSI du Groupe Hersant Média, la crise favorise l’expérimentation, notamment pour la gestion de projet, avec des méthodes agiles. En privilégiant la culture de l’engagement sur les réductions de coûts.

En quoi la crise actuelle change-t-elle les modes de management de la DSI ?

Eric Micheau Un des effets collatéraux de la crise est d’inciter les DSI à démontrer plus rapidement les effets de leurs actions, dans un modèle davantage itératif. D’où l’intérêt des méthodes de développement agiles. L’avantage essentiel est d’éviter de rentrer dans un formalisme dont l’intérêt n’est pas toujours bien perçu par les utilisateurs, surtout dans les entreprises de services.

Si la crise n’était pas apparue, nous aurions eu davantage de difficultés à proposer une telle démarche. C’est donc le moment d’être iconoclaste, d’essayer. Nous avons par exemple appliqué les méthodes agiles à un projet décisionnel : l’objectif était de réduire d’une heure trente le délai de mise à disposition des chiffres. Les commerciaux disposent ainsi de leurs indicateurs avant de partir. Cela change tout, car ils gagnent une journée en réactivité.

Quel sont les avantages principaux des méthodes agiles ?

Eric Micheau Dans les méthodes agiles, chaque livrable doit se suffire à lui-même et être opérationnel. On peut donc réaliser chacune des étapes sans nécessairement aller jusqu’au bout de l’ensemble de la démarche. Il s’agit d’une approche plus itérative, avec, par exemple, un livrable tous les quinze jours.

Par définition, on tue « l’effet tunnel » puisque l’on en voit la sortie à peine y être entré ! Et pour adopter les méthodes agiles, il faut être soi-même agile. Bien sûr, il faut d’abord convaincre les informaticiens. Les méthodes agiles sont en effet très différentes de celles avec lesquelles ils ont été formés.

Mais j’observe que les informaticiens sont aussi dans cette logique d’essayer des démarches nouvelles, sans pour autant les généraliser à tous les projets.

La crise renforce également la position des directions métiers : dans la mesure où nous disposons de moins de ressources, il faut réaliser des arbitrages et, de fait, le ROI est plus facile à atteindre. En outre, nous sommes amenés à prendre plus de risques, calculés, ce que nous avons fait avec les méthodes agiles ou avec des solutions issues du monde du logiciel libre, mais avec un support assuré.

L’approche du risque est toutefois relative : faire appel à un éditeur de logiciels est également risqué… La crise est ainsi l’occasion de se recentrer sur les valeurs et de se reposer les bonnes questions, notamment sur le sens de ce que l’on réalise et sur la valeur ajoutée que l’on produit.

Nous utilisons un ratio qu’il est difficile de calculer : création de valeur/coûts. Nous devons agir pour que ce ratio s’améliore. C’est une manière de se préparer pour l’après-crise. Autrement dit, il ne s’agit pas de faire des économies qui mettent l’entreprise en mauvaise posture pour la reprise. Toutes les économies se payent au prix fort, un jour ou l’autre. Il faut donc privilégier la flexibilité, avec les méthodes agiles, et la culture de l’engagement.

Comment cela se traduit-il ?

Eric Micheau A la DSI, nous avons bâti un socle de quatorze valeurs, partagées avec les équipes. Par exemple, l’idée que le changement n’est jamais considéré comme une remise en cause de l’histoire. Ce n’est pas parce qu’à un moment donné on change de stratégie ou de méthode que l’on doit se demander pourquoi on procédait autrement auparavant. Il est plus important de partager le sens, d’autant qu’en période de crise, source de pressions, les collaborateurs sont en quête de réassurance.

Autres exemples des valeurs que les équipes de la DSI partagent : « Ne masquons pas les dysfonctionnements pour avancer », ou « De la communication transparente naissent les choix éclairés ». Sur ce point, cela signifie qu’il faut tout dire aux directions métiers afin qu’elles ne découvrent pas les difficultés au fur et à mesure de l’avancement des projets. Nous sommes avant tout porteurs des problématiques de nos clients, avant celles de nos fournisseurs. Prenons une analogie simple : la construction d’une maison.

Nous pouvons dire à nos clients internes : « Nous pouvons livrer une maison de cent mètres carrés dans un an », mais pas « livrer une maison dans un an ». Il faut se mettre d’accord sur le périmètre car les délais et les coûts s’en trouvent impactés. Cette discussion doit avoir lieu en amont, pour éviter de l’avoir contraint et forcé, lorsqu’il est trop tard ! De même, si le client veut « une chambre de plus », c’est plus cher et plus long à construire : on le précise dès le départ, pas au dernier moment ! Et ce n’est pas au client de deviner qu’il est évident que les coûts et les délais s’en trouvent rallongés. Ce n’est pas son métier…

Vous êtes DSI du Groupe Hersant Média depuis quelques mois seulement, comment avez-vous géré les premiers mois ?

Eric Micheau Un changement d’entreprise, surtout en période de crise, oblige à entrer très vite dans l’action. Les résultats doivent être atteints rapidement. On ne peut se permettre de dire, comme si nous n’étions pas en période de crise : « On verra plus tard… » Je me suis focalisé sur mes collaborateurs directs, en insistant davantage sur la manière d’agir, la méthode, plutôt que sur la finalité de l’action.

C’est un effort pédagogique significatif qui aboutit à partager un minimum de principes, sans être trop rigide. Cette période dure entre trois et six mois. Cela conduit normalement à mieux arbitrer et évite de se reposer tous les jours les mêmes questions. Ensuite, on engage un travail « d’évangélisation », notamment vis-à-vis de ceux qui ont toujours travaillé de la même manière pendant dix ou vingt ans.

L’objectif est de valoriser la DSI comme faisant partie de l’entreprise et non comme un fournisseur facturant ses services.

C’est la garantie que l’on défend au mieux les intérêts de l’entreprise, ce qui n’est pas nécessairement le cas d’un fournisseur qui défend avant tout ses propres intérêts… Pour les entreprises, il y a donc une vraie valeur à disposer d’une DSI interne, notamment pour clarifier les relations, les responsabilités et les engagements de chacun.

Sinon, le risque est que s’instaure un déséquilibre, le succès de l’un s’opposant à l’échec de l’autre. Le métier de DSI est paradoxal : d’un côté, nous devons gérer des problèmes humains, avec la conduite du changement, et, de l’autre, nous gérons des machines qui fonctionnent selon le principe binaire des 0 et des 1. Il n’y a pas beaucoup de métiers qui se caractérisent par un tel écart entre des problématiques humaines et des machines. Indépendamment de la crise, le métier de DSI consiste à trouver un équilibre entre ces deux extrêmes.


Principes des méthodes agiles

La plupart des projets sont gérés avec une approche classique, en cascade ou en « V », basée sur des activités séquentielles : recueil des besoins, définition du produit, développement, test et livraison. L’un des travers de cette approche réside dans la nécessité de tout planifier, d’où leur nom « d’approches prédictives ».

Autre effet pervers : la résistance des acteurs du projet à tout changement, dans le contenu, le périmètre, le processus de développement ou les membres de l’équipe. La rigidité de l’approche en cascade ne permet pas des retours en arrière. Les méthodes agiles, popularisées aux Etats-Unis au début des années 2000, constituent une alternative à ce contexte de rigidité.

Principe : on découpe un projet en plusieurs étapes d’une durée de quelques semaines. Pour chaque itération, une version minimale du projet est développée puis soumise, dans sa version intermédiaire, au client pour validation. Chaque itération est un miniprojet en soi qui comporte toutes les activités de développement, menées en parallèle. Au terme de la dernière itération, on obtient le produit final.

Selon le Manifeste pour le développement logiciel agile, ces méthodes se caractérisent par la mise en avant des individus sur les processus et les outils, des fonctionnalités opérationnelles sur la documentation, de la collaboration sur la contractualisation et sur l’acceptation du changement concernant la conformité aux plans.

Il existe plusieurs méthodes de développement agiles, dont les plus connues sont ASP (Adaptative Software Development), Crystal, DSDM (Dynamic Software Development Method), RAD (Rapid Application Development), Scrum, UP (Unified Process) et XP (eXtreme Programming).

(D’après l’ouvrage de Véronique Messager Rota : Gestion de projet, vers les méthodes agiles, Eyrolles).