Banques : les dossiers chauds de l’expérience client et de la disruption

Dysfonctionnement de l’expérience client et risques de disruption, telles sont les deux menaces principales auxquelles doivent faire face les banques. En matière d’expérience client, les banques, malgré leurs discours, sont encore à la traîne :

une étude Moneway révèle que 67 % des Français se sentent mal accompagnés par leur banque, que huit sur dix trouvent que leur conseiller n’est pas force de proposition, que 59 % des jeunes de la Génération Z n’ont pas de bonnes relations avec leur banque et que 71 % des Français pensent que leur vie serait meilleure si leur banquier était plus volontaire. Certes, à l’heure où les attentes des consommateurs sont toujours plus nombreuses, « les banques sont mises au défi de proposer à leurs clients une expérience attrayante et cohérente sur tous les canaux : agences, sites Internet et mobiles. Elles doivent également passer d’une approche Open Banking à un état d’esprit Open X, tourné vers la collaboration avec les nouveaux acteurs non traditionnels, afin de proposer des services bancaires qui intègrent l’expérience digitale », explique Anirban Bose, directeur général des services financiers de Capgemini.

Selon le World Retail Banking Report (1) publié par CapGemini et l’Efma (European Financial Management Association), les banques peinent à offrir une expérience client totalement satisfaisante. Les clients font état d’expériences peu positives dans de nombreuses interactions bancaires. Ils citent notamment la demande de prêt ainsi que la résolution des problèmes comme les frictions les plus importantes.

L’Open Banking à la traîne

Ainsi, l’adoption de l’Open Banking, qui permet aux banques d’interagir et de co-créer avec un écosystème de fournisseurs de services via des API, est lente : seul un tiers des dirigeants de banque déclare l’avoir vraiment adopté. Même si l’adoption de l’Open Banking a quelque peu traîné, celui-ci et son évolution vers Open X, système où banques et nouveaux acteurs non traditionnels collaborent afin de proposer des services bancaires qui intègrent les expériences digitales dans d’autres aspects de la vie des clients, constituent, pour les banques, la meilleure solution pour faire face à la concurrence dans le paysage de plus en plus dense et diversifié des services financiers.

« L’Open X représente la manière dont les banques offriront l’expérience client à l’avenir. Si elles ne s’y préparent pas maintenant, elles passeront à côté de nombreuses occasions et perdront des parts de marché », estime Vincent Bastid, secrétaire général de l’Efma. Pour Jean-Marc Gottero, directeur général de Slack France, « la dématérialisation des offres a été une première réponse aux exigences de leurs clients. Cette digitalisation a apporté une richesse : une masse considérable de données, utilisées pour améliorer le service aux usagers. Mais derrière l’approche client, ces changements ont surtout profondément impacté la banque dans ses processus internes, par exemple, l’intelligence artificielle a amené une automatisation des processus, et c’est une tendance en forte progression : selon une étude McKinsey, 85 % des processus en Back Office sont automatisables ! »

Les GAFA, une menace pour les banques traditionnelles

Une étude Sia Partners, publiée en février 2020 (2), a calculé que la France a vu se fermer plusieurs centaines d’agences bancaires entre 2014 et 2018. La rentabilité sous pression et les nouvelles habitudes de consommation accélèrent à la fois la fermeture d’établissements traditionnels et l’émergence de nouveaux formats d’agence. D’après une analyse de CGI (3), la moitié des Français connectés sont multi-bancarisés, c’est à dire qu’ils disposent de comptes, livrets, crédits dans plusieurs établissements (37 % dans deux établissements et 13 % dans trois ou plus).

Parmi ceux-ci, 30 % environ ont au moins un compte dans une banque sans agence bancaire. « Dans le secteur financier, la disruption est bien réelle », assure Pete Redshaw, analyste de Gartner, qui rappelle que 85 % des dirigeants du secteur bancaire estiment que leur business modèles aura évolué à l’horizon 2021, seulement 15 % estimant que rien n’aura changé. Mais qui craignent-ils ? Selon Gartner (4), les menaces viennent, pour 58 % des DG des entreprises financières, des géants du numérique (Google, Amazon, Apple, Facebook, Ebay…) et des start-up (Fintechs), pour 57 %.

Arrivent ensuite, en troisième position, les concurrents (pour 49 %) et les « dragons numériques » chinois (Alibaba, Tencent, Baidu, Xiami). Face à ces risques, les entreprises financières investissent, principalement dans l’intelligence artificielle, la Blockchain, les API et les micro-services.

D’après une étude publiée par Xerfi sur la percée des banques en ligne et des néo-banques, celles-ci totalisaient quelques 10 millions de clients fin 2019 et devraient en cumuler au moins 15 millions à l’horizon 2021. La France compte plus d’une trentaine de banques nouvelle génération dont les banques Mobile First (Hello Bank, C-zam et Orange Bank par exemple) et les néobanques (comme Nickel).

Pour Samshad Rasulam, auteur de l’étude Xerfi, « la révolution des usages, l’évolution du cadre réglementaire (avec la mise en place de statuts allégés), l’évolution technologique et le niveau des levées de fond par les Fintechs ont favorisé la percée de ces nouveaux acteurs. Une stratégie d’acquisition clients particulièrement agressive et l’afflux de nouveaux entrants ont fait le reste. »
L’offensive des néobanques et des Fintechs

Mais cette intensification de la concurrence dans la banque de détail devrait se solder par une vague de consolidation à moyen terme dans les néobanques. C’est d’autant plus vrai que seules deux de ces banques nouvelle génération ont aujourd’hui atteint l’équilibre financier : Fortunéo (Arkéa Direct Bank) et Allianz Banque. « Les banques traditionnelles vont, peu à peu, devoir s’aligner sur les nouveaux standards (ergonomie, simplicité et facilité d’utilisation, rapidité…) impulsés par les petites nouvelles », ajoute Samshad Rasulam.

Pour l’heure, environ 7 % des Français sont clients de néobanques, mais près de deux-tiers d’entre eux sont attirés par les produits et services de celles-ci. Comme leurs comparses, ces nouvelles venues séduisent par leur attractivité tarifaire avec des offres simplifiées proposées à prix très bas, voire gratuites. Elles ont également pour point commun d’offrir une expérience client totalement revisitée, caractérisée par des interfaces Web et mobiles de qualité, simples et intuitives.

En raison de leur structure et de leur mode opérationnel, les néobanques encourent un certain nombre de risques : fraudes, blanchiment d’argent, financement du terrorisme… Elles sont d’ailleurs davantage exposées que les banques en ligne, qui bénéficient du soutien technique et financier de leurs actionnaires (banques et assurances).

Certaines néobanques n’ayant pas le statut de banque, leurs déposants sont privés de la protection du FGDR (fonds de garantie des dépôts et résolution), qui assure les liquidités à hauteur de 100 000 euros par client en cas de faillite de l’établissement. Certains profitent toutefois d’une protection via leur compte de cantonnement.

Pour atteindre l’équilibre financier, mais aussi financer leur développement, l’élargissement de la gamme de produits est l’un des principaux leviers. C’est en effet une bonne façon d’augmenter les revenus générés par client. Pour accéder à des offres clés en mains en limitant les prises de risque, le recours aux partenariats est souvent privilégié. C’est notamment la solution retenue par N26 pour se positionner sur le crédit à la consommation.

Les frontières entre les banques en ligne, les banques Mobile First et les néobanques sont parfois floues, entre autres du fait d’une convergence des services proposés. Pour ajouter à la confusion, certaines Fintechs du paiement, à l’image de Lydia ou de WireCard, proposent de plus en plus de services identiques à ceux des néobanques. Tout l’enjeu pour ces banques digitales est de se hisser au rang de banque principale, en abandonnant leur statut de banque secondaire.

De quoi marcher sur les plates-bandes des banques traditionnelles. Jouant sur leurs atouts en termes de notoriété et de sécurité, ces dernières n’ont pourtant pas dit leur dernier mot. « C’est le sens du lancement des offres compte courant et carte bancaire à des prix attractifs comme Eko par Crédit Agricole ou encore Enjoy chez Caisse d’Epargne. Dans ces conditions, le contexte concurrentiel va se durcir pour les banques de dernière génération », estime Samshad Rasulam.

Du bon usage des API

Une majorité (55 %) des professionnels de la banque et de la gestion de patrimoine considèrent l’intelligence artificielle, la robotique et l’automatisation comme les tendances les plus significatives pour l’avenir des services financiers. Selon une nouvelle étude sectorielle menée par Avaloq, le spécialiste suisse de la technologie financière, le recours grandissant à des plateformes plus ouvertes et collaboratives (cité par 34 % d’entre eux), ainsi que l’essor des technologies de registre distribué et des crypto-monnaies (26 %), comptent eux aussi parmi les évolutions majeures qui façonneront le futur du secteur à l’échelle mondiale.

Les API, qui permettent aux tiers d’accéder aux systèmes et aux données bancaires dans un environnement contrôlé, catalyseront la création de l’Open X. Si les données clients sont déjà largement partagées et exploitées dans le secteur, les API standardisées ne sont pas monnaie courante. Malgré la complexité des conditions de mise en place et de la réglementation, la standardisation permettra de lutter contre la fraude, d’accroître l’interopérabilité, de réduire le délai de commercialisation et d’améliorer l’évolutivité.

Si les banques et les Fintechs affirment comprendre l’importance de la collaboration, la confidentialité et la sécurité restent au centre de leurs préoccupations. Interrogées sur leurs appréhensions vis-à-vis de l’Open Banking, les banques ont majoritairement pointé du doigt la sécurité des données (76 %), le respect de la vie privée des clients (76 %) et la perte de contrôle des données clients (63 %), souligne l’étude World Fintech, publiée par CapGemini et l’Efma.

« Dans l’histoire de la banque, 2019 restera comme l’année où les néobanques ont dépassé les banques en ligne de première génération en nombre de clients français », estiment les auteurs d’une étude publiée par l’agence de notation D-Rating. A fin 2019, onze néobanques (Anytime, C-Zam, Lydia, Ma French Bank, Monese, Morning Bank, N26, Nickel, Orange Bank, Qonto, Revolut) totalisaient 6,1 millions de clients (+ 43 % en un an), contre 5,5 millions (+ 15 %) pour les sept principales banques en ligne (Axa Bank, BforBank, Boursorama, Fortuneo, Hello Bank!, ING Direct, Monabanq).

Selon D-Rating, les banques traditionnelles font face à des concurrents qui adoptent des politiques tarifaires souvent très agressives, et évoluent dans un contexte marqué par le décloisonnement des métiers bancaires via l’Open Banking et le maintien des taux d’intérêt à un niveau historiquement bas : d’où un impact sur les marges, de plus en plus dégradées. « Les principales banques de réseau se mettent progressivement au niveau des banques en ligne de première génération et des néobanques pour la qualité des parcours clients offerts par leurs sites et applications. La multiplication des services de la « banque du quotidien » accessibles en ligne doit contribuer à la fidélisation des clients et à l’amélioration des coûts de gestion.

Et la digitalisation progressive d’offres plus complètes leur apporte un élément de valeur ajoutée par rapport à leurs nouveaux compétiteurs », précisent les experts de D-Rating. L’augmentation de la proportion du nombre d’enseignes auprès desquelles l’ouverture d’un compte peut se faire selon un parcours totalement digitalisé représente un bon exemple de ce focus sur l’expérience client : elle a gagné 30 points en deux ans, pour atteindre 68 % à la fin 2019.


(1) World Retail Banking Report 2019, CapGemini Institute, Efma. www.worldretailbankingreport.com.
(2) Évolution du réseau bancaire en France, SIA Partners, 2020.
(3) Hybridation digital/humain, plateformisation, diversifi­cation : usages, opinions et attentes des Français vis-à-vis des nouveaux modèles bancaires, CGI, Next Content, février 2020.
(4) Disruptive technologies and trends in financial services, Gartner Symposium 2019.


Une vigilance sur la sécurité du SI

Selon une étude de BitGlass, seulement 6 % des failles recensées en 2019 ont touché des sociétés financières. Pourtant, la quantité de données exposées par ces failles est largement supérieure à celle des autres secteurs. Ainsi, en 2019, plus de 60 % des fuites de données proviennent d’entreprises du secteur de la finance. Les banques et les institutions financières sont tenues de protéger les fonds et les informations financières sensibles de leurs clients en observant des normes de sécurité exigeantes. Selon Toufic Daaboul, Senior Security Executive chez Verizon, quatre actions doivent être privilégiées :

  • La prévention de l’hameçonnage : organiser de fréquentes formations pour les salariés, afin qu’ils puissent reconnaître et éviter les escroqueries à base d’hameçonnage, en leur fournissant une méthode leur permettant de signaler facilement les tentatives. La plupart des e-mails d’hameçonnage se révèlent fructueux durant la première heure, c’est pourquoi un bon système de signalement peut éviter de futurs clics en prévenant dès que possible l’ensemble de l’entreprise. Outre leurs collaborateurs, les banques peuvent sensibiliser leurs clients à la prévalence et au danger de l’hameçonnage.
  • L’authentification à deux facteurs : les entreprises financières doivent employer une authentification à deux facteurs sur les applications accessibles par les clients, ainsi que sur les comptes e-mail cloud. Grâce à ce système, les pirates ayant obtenu des identifiants de connexion ne parviennent pas à accéder au système, car des informations supplémentaires sont exigées.
  • La surveillance des accès aux systèmes : pour éviter et détecter les abus de privilèges, les banques doivent surveiller et journaliser les accès des employés aux données financières sensibles, de manière à détecter les transactions frauduleuses.
  • La surveillance et la protection contre les programmes malveillants : il s’agit de déceler les comportements suspicieux indiquant une attaque DoS ou par botnet, ou la présence de malware.

L’Open X, au-delà de l’Open Banking

L’avènement de l’Open X est catalysé par quatre chan­gements fondamentaux : l’abandon d’un modèle axé sur les produits en faveur d’une approche centrée sur l’expérience client, l’évolution des données en tant qu’actif stratégique, la priorité désormais accordée à un accès partagé plutôt qu’à la propriété et l’accent mis sur le partenariat plutôt que sur l’acquisition ou la création de nouvelles solutions en matière d’innovation.

Adopter l’Open X implique pour les banques de changer leur approche des fondamentaux de leur activité. Le World Retail Banking Report préconise de ne plus se concentrer sur les seuls produits, mais plutôt sur l’offre d’une expérience client générale de qualité. Elles doivent aborder ce nouveau marché partagé dans une optique de partenariat, au lieu de se focaliser sur leurs propres innovations isolées et internes.

L’Open X Readiness Index (Indice de Préparation à l’Open X) constitue une méthode qui permet de mesurer la capacité d’une banque à collaborer sur les quatre piliers que sont les ressources humaines, la finance, le commerce et la technologie. Le World Retail Banking Report invite également les banques à ne pas réduire leurs stratégies aux seuls besoins de mise en conformité, mais à adopter une approche fondée sur l’exploitation des données. « Le réel challenge auquel les DSI de banques font face est celui de concevoir le SI tel une API. Non dans un système binaire Banques / Fintechs, mais dans une dynamique d’échanges de données avec une multitude d’acteurs économiques ayant à leur tour accepté d’ouvrir leur SI à l’institution financière, afin que celle-ci s’y intègre, à l’instar d’un service interne », souligne Sami Slim, Deputy Director de Telehouse France, pour qui « L’Open Banking a vocation à produire de la valeur à partir de la donnée. Or, si cette valeur attire pour l’instant principalement les Fintechs développées sur ce principe, elle est surtout fondamentale pour construire de nouveaux modes de vente de services auprès des clients, actuels et prochains, des banques. Mais pour le comprendre, il faut s’extraire des vieux schémas pyramidaux. »


Transformation digitale des banques : les cinq facteurs-clés de succès

L’agence de notation D-Rating a identifié cinq facteurs-clés qui devront être intégrés dès 2020 dans les plans de transformation poursuivis par les groupes bancaires :

  • Le lancement commercial de la 5G, qui sera effectif avant la fin de l’année dans cinq à dix métropoles françaises et va accentuer le basculement des usages vers le « Mobile Only », contraignant les banques à poursuivre l’optimisation de l’expérience proposée sur smartphones ou tablettes. En 2019, 19 % des sites Web étudiés par D-Rating n’étaient pas complètement responsives et, à ce titre, incapables de gérer dans des conditions satisfaisantes une connexion en mobilité.
  • Les progrès enregistrés dans le domaine de l’intelligence artificielle faciliteront la personnalisation du service proposé, ainsi que l’automatisation de certains outils ou process de communication avec les clients. En 2019, déjà, la mise en place de chatbots permet aux banques de répondre de façon pertinente et en moins d’une minute à près d’un message sur cinq (4 % en 2017).
  • Le développement rapide de l’usage des assistants vocaux sur les smartphones et tablettes fera rapidement de la capacité de pilotage des sites et applications par la voix un « must have ». Il offre aussi aux banques la possibilité de se distinguer dans l’accessibilité offerte aux personnes malvoyantes ou à celles maîtrisant difficilement l’écriture.
  • L’intégration de nouveaux modes d’authen­tification (fingerprinting, reconnaissance vocale, reconnaissance oculaire…) permettra d’améliorer la sécurité offerte aux clients sans faire peser de nouvelles contraintes en terme d’expérience utilisateur.
  • Les politiques publiques en faveur du développement durable constitueront une incitation supplémentaire à la dématérialisation de la relation avec les clients et à la mise en place de solutions d’archivage complémentaires (cloud sécurisé…).

Chiffres-clés

  • 38 % des Français portent un regard positif sur le degré d’innovation du marché des banques et des assurances. Ils sont ouverts à l’idée que leur banque ou assureur leur propose de nouveaux services, même non financiers.
  • 2038 à 2051, c’est l’horizon prévu pour l’extinction du métier d’employé de banque et d’assurances.
  • 53 % des entreprises des secteurs banque/assurance/services financiers externalisent leur service client totalement ou en partie, ce qui en fait le secteur qui infogère le plus.
  • 67 % des banques avec des actifs d’au moins 100 milliards de dollars sont en train de mettre en œuvre la Blockchain.
  • 50 % des banques de détail espèrent que leurs investissements dans le digital porteront leurs fruits en 2020 et au-delà.
  • 1 banque française sur 4 considère le cloud comme un axe prioritaire pour soutenir sa stratégie de transformation.
  • 50 % des banques auront porté au moins 20 % de leurs environnements métiers critiques vers une plateforme cloud à l’horizon 2024, essentiellement pour améliorer les niveaux de services, raccourcir le Time to Market et réduire les coûts.

Sources : IDC, Easiware, Deloitte, Efma, Infosys, VMware, Sapiens.