Capital-risqueur : un nouveau métier pour les DSI

Le DSI doit changer : tous ceux qui exercent ce métier en sont certainement convaincus. L’une des idées actuellement plébiscitées par les grands cabinets de conseil, Deloitte et McKinsey en tête, consiste à inciter les DSI à adopter une posture proche de celle des capitaux-risqueurs.

Dans sa dernière étude (Tech Trends-Inspiring Disruption), le cabinet de conseil Deloitte explique que « pour accompagner les métiers dans leur évolution et innover, le DSI peut s’inspirer du capital-risqueur. Il doit gérer son portefeuille d’actifs SI en évaluant la création de valeur, le risque et le retour sur investissement. Cette approche se traduit de plus en plus par la conclusion de partenariats ou l’investissement dans des startups innovantes. »

Pour Sébastien Ropartz, associé conseil responsable Technology Advisory chez Deloitte, « à l’image du capital-risqueur, il est très important que le DSI d’aujourd’hui optimise son portefeuille d’investissements et réalise des paris technologiques, afin de donner à son entreprise les clés pour se démarquer de la concurrence. Il doit aussi « sourcer » les compétences au meilleur endroit et utiliser les technologies les plus innovantes, notamment par le biais d’incubateurs internes ou externes. Enfin, il faut qu’il orchestre le SI de façon à garantir la cohérence et l’agilité entre patrimoine SI et innovations. »

Les consultant de McKinsey ont, eux aussi, mis en avant cette idée, à l’heure où les entreprises sont de plus en plus « orientées données ». Pour McKinsey, le DSI assume quatre fonctions critiques : être un business leader (accompagner la transformation de l’entreprise), assembler les technologies et les solutions, fidéliser et motiver les talents, et agir comme un « venture capitalist », c’est-à-dire « montrer ce qui est possible ou non aux clients internes, en promouvant les idées les plus prometteuses », en particulier dans les domaines du big data et du décisionnel.

Identifier les idées porteuses

La posture de capital-risqueur plébiscitée par les consultants se décline en trois missions essentielles. D’abord, le DSI doit identifier les idées les plus prometteuses, à l’image des capitaux-risqueurs qui sélectionnent les startups dans lesquelles ils vont investir. Certes, les DSI agissent aujourd’hui de cette manière, mais, souligne McKinsey, « il s’agit désormais de renforcer les liens avec l’écosystème, les réseaux de startups et les fournisseurs. » C’est également un moyen d’influencer l’évolution des technologies pour mieux les aligner avec les besoins des entreprises. Ensuite, le DSI capital-risqueur a une mission d’incubation et d’accélération des idées, ce qui peut se réaliser en interne, dans les grands groupes, mais également en favorisant les proof of concept avec des startups. Enfin, la troisième mission identifiée par McKinsey consiste à faciliter le passage de l’idée à la mise en production, avec des projets pilotes.

« Penser comme un capital-risqueur », ainsi que le suggèrent les consultants de Deloitte, devient indispensable : les DSI se sont historiquement focalisés sur des modèles à faibles risques : acheter des technologies matures chez les grands fournisseurs, gérer au mieux le budget, contrôler les coûts et assurer la disponibilité du SI avec un minimum d’efficience… Aujourd’hui, explique Deloitte, « les DSI font face à des ruptures telles que le crowdsourcing, la mobilité, le big data, la cyber-sécurité qui font passer les systèmes d’information d’un monde peu risqué à un monde très risqué, avec des problèmes inconnus. »

D’où une inadéquation des outils et des modèles de management des systèmes d’information. En effet, dans beaucoup de domaines, on ne sait pas identifier clairement qui seront les gagnants de demain. Cela a des conséquences en termes d’anticipation des roadmaps des fournisseurs et de dépendance à l’égard de leurs solutions, d’adéquation des compétences, de perturbations liées aux fusions-acquisition, d’efforts pour identifier les fournisseurs émergents les plus pertinents et les besoins critiques pour les métiers…

Par où commencer ?
Bonnes pratiques Les principales questions à se poser
Améliorez la connaissance de votre portefeuille : faites l’inventaire des actifs internes ou externes de la DSI
  • Quelles sont les technologies déployées dans l’entreprise ?
  • Quels sont les projets en cours ou prévus ?
  • Quel est le degré de dépendance à l’égard des fournisseurs ?
  • Où sont localisés les actifs et quelle est leur contribution à la création de valeur ?
Valorisez votre portefeuille : évaluez les risques, la valeur et l’importance stratégique de chaque actif
  • La part de la maintenance est-elle adaptée aux enjeux des projets ?
  • Quelle est la mesure des écarts à combler ?
Prenez des risques intelligemment et arrêtez les investissements qui ne délivrent pas de résultats
  • Quels sont les applications et les projets qui sous-performent ?
  • Quels sont les bilans financiers des investissements IT ?
  • Quelles sont les causes d’échec ?
Passez les technologies au crible et impliquez les métiers dans vos choix d’investissement
  • Qui sont les leaders et les fournisseurs les plus fragiles, les moins innovants ou en déclin ?
  • Comment organiser/amЋliorer la veille technologique et commerciale ?
Dénichez les talents où qu’ils soient : étudiez les partenariats avec d’autres sociétés
  • Quelle est la cartographie des compétences et est-elle adaptée ?
  • Où peut-on trouver les talents utiles à moyen et long terme ?
  • Quels efforts de formation faut-il consentir ?
Source : Deloitte, Best Practices SI.

L’idée d’inciter les DSI à adopter des réflexes de capital-risqueur est plutôt pertinente. On peut y voir au moins six avantages :

  • S’intéresser aux startups constitue une bonne alternative à la lenteur de l’innovation des grands fournisseurs qui, malgré leur discours, sont peu agiles lorsqu’il faut faire évoluer leurs offres pour mieux coller au marché.
  • Le DSI peut renforcer son rôle d’apporteur d’idées aux métiers et compenser le réflexe de ces derniers à gober un peu trop facilement le discours commercial des fournisseurs, qu’ils soient startup ou « leader sur leur marché ».
  • Cela permet au moins de se poser les bonnes questions en matière de pertinence des investissements dans telle technologie, de mesure du degré de dépendance à l’égard des fournisseurs, d’analyse économique des projets…
  • Identifier les signaux faibles, en particulier lorsque des startups introduisent des technologies ou des modèles de rupture.
  • Repositionner le DSI sur le terrain de l’innovation, en particulier pour contrebalancer les discours souvent lénifiants sur l’entreprise numérique, dont on a l’impression qu’elle est en dehors du système d’information.
  • Clarifier la transformation du SI avec une vision cohérente de ses forces, de ses faiblesses, de ses leviers prioritaires et opportunités de création de valeur.

Transformer le DSI en capital-risqueur nécessite toutefois des prérequis. Il faut en premier lieu des ressources, soit financières, soit en temps, ce qui n’est pas facile, compte tenu des tensions sur les budgets et des contraintes d’emploi du temps des DSI. Il faut également que la culture d’entreprise favorise l’innovation. D’autant que, dans le terme capital-risqueur, le point important est évidemment le risque : autrement dit, la probabilité de se tromper est loin d’être nulle et cela peut briser des carrières… Enfin, il convient de ne pas copier-coller les techniques des capitaux-risqueurs. À l’image de nombreux analystes financiers qui, dans les années 2000 et encore aujourd’hui, se sont fait balader par les entreprises IT qu’ils suivaient (certaines SSII étaient des spécialistes de l’exercice…), les capitaux-risqueurs, emportés par les modes et leur élan qu’ils prennent pour un mélange de clairvoyance, de perspicacité et de discernement, peuvent passer à côté des vrais sujets…