Cartographie des tendances sur fond de crise

Observatoire des marchés et des usages du numérique, la cartographie, publiée par Cap Digital, s’appuie sur l’expertise des 1 000 membres du premier collectif d’innovateurs du numérique d’Europe (start-up, PME, laboratoires de recherche, universités, territoires, grands groupes et investisseurs).

Initiée au crépuscule du « monde d’avant » et rédigée en plein confinement, cette cartographie des tendances remet en perspective les orientations majeures qui se dégagent aujourd’hui sur le terrain, là où se crée l’innovation, où s’opère la transformation numérique et où se relèvent les défis de la transition écologique. Elle révèle en outre comment la crise sanitaire a agi comme un levier d’accélération dans l’adoption des usages numériques et de cristallisation de tendances de fond.

Pour Charles Huot, président de Cap Digital, « cette crise a constitué un formidable vecteur d’accélération. Ce qui n’était que tendance ou expérimentation s’est trouvé déployé à l’échelle en quelques jours. Notre agilité, notre capacité à hybrider des outils, à travailler collectivement pour inventer des solutions souvent “out of the box”, nous ont permis de continuer à communiquer, télétravailler, acheter, apprendre, nous distraire etc.

De ce point de vue, et même si notre entrée dans l’ère anthropocène se manifeste à travers cette crise, il s’agit bien d’une sorte de cristallisation d’une longue et complexe période de transformation à laquelle nous assistons. Parmi les marqueurs forts : la résilience, l’hybridation des compétences, l’inclusion, l’innovation responsable et à impact, la souveraineté numérique européenne et la fin d’une croyance aveugle dans un solutionnisme technologique. »

Cet ouvrage aborde plusieurs problématiques telles que la ville durable, les EdTech et la gestion des talents, les industries culturelles et créatives, la santé, le retail, sans oublier les technologies, les données et l’intelligence artificielle.

Ville Durable en temps de pandémie : tout à réinventer ?

Dans le domaine de la ville durable, « notre espace urbain, celui du confinement et du déconfinement, va changer de physionomie : comment se le réapproprier, et mieux associer les citoyens à la fabrique de la ville ? », s’interrogent les auteurs de l’étude. Leurs questions sont regroupées autour de quatre tendances très structurantes : les nouveaux modèles urbains et leur gouvernance, le partage des données et la mise en œuvre de la modélisation urbaine, la renaturation et la biodiversité, les questions de décarbonation de la construction et de rénovation énergétique. Ainsi, l’interaction entre santé publique et urbanisme va changer le visage de la ville, avec la mixité des lieux de vie et l’hybridation des usages de l’espace urbain.

EdTech et gestion des talents : entre convergence et adaptabilité des usages

Au plus fort du confinement, plus de 180 pays avaient fermé leurs écoles, touchant 87,4 % des apprenants, soit plus de 1,5 milliard d’élèves. Le domicile devient ainsi le lieu de convergence entre vie privée, travail et éducation. La cellule familiale se numérise et devient le théâtre de la vie dans toutes ses composantes.

Les EdTech, dont l’usage était encore limité, deviennent des outils indispensables à tous. Avec les plateformes de visioconférences, le lien social et professionnel se recimente. Pour les auteurs, « le numérique envahit la vie quotidienne et met en lumière les nouveaux usages pour répondre aux enjeux de suivi pédagogique, de formation et de travail distanciés dans le monde. »

Industries culturelles et créatives : comment se relever dans une société sans contact ?

Le poids économique de la culture, c’est environ 2,5 % du PIB : une contribution équivalente à celle de l’industrie agroalimentaire, de nombreuses connexions avec d’autres secteurs (tourisme par exemple) et des externalités positives très fortes sur l’identité des territoires. Les industries culturelles sont l’un des secteurs les plus touchés par la crise, avec une perte de chiffre d’affaires estimée entre 8 et 10 milliards d’euros. Et malgré les aides de l’État qui contribuent à amortir le choc, la catastrophe économique annoncée laisse un secteur gravement détérioré, à la recherche de nouveaux axes de reconstruction. Mais des raisons d’espérer existent, dans les usages innovants et originaux qui sont apparus.

La crise impose une remise à plat des systèmes de santé

Plus que dans tout autre secteur, la crise sanitaire mondiale a agi comme un cristallisateur inédit et inégalé pour l’innovation numérique en santé. Si la lutte contre l’épidémie a catalysé significativement des mutations profondes des technologies et des usages, elle a aussi révélé des défis bien connus des acteurs du secteur sous une lumière plus criante. Tout l’enjeu est désormais de tirer les bons enseignements pour permettre de sortir «par le haut» de cette séquence brutale mais créative.

Selon les auteurs, rationalisation, structuration, valorisation de la donnée et évaluation de l’impact in real life apparaissent comme autant de pistes à suivre pour (re)structurer la chaîne de l’innovation numérique en santé de bout en bout. Les données de santé : on entre maintenant au cœur des vraies enjeux. Ainsi, il importe de capitaliser sur le boom de la téléconsultation pour changer d’échelle, sur la data science comme clé de voûte de l’innovation à impact et de considérer que les données de santé constituent un trésor national mondialement convoité.

Technologies, data et IA : la numérisation à marche forcée

En cette période inédite, le numérique a joué un rôle essentiel afin de maintenir un lien virtuel, social et professionnel par l’adoption d’outils numériques qui auraient mis des mois à se déployer. Que restera-t-il des plateformes de données montées dans l’urgence, des solutions rapidement assemblées à partir des technologies que nous avions sous la main pour permettre la continuité de service dans les entreprises ou les commerces, pour accélérer la lutte contre l’épidémie ? L’analyse reste à faire.

Cependant on se souviendra sans doute que le solutionnisme technologique qui imprégnait souvent la prospective technologique n’est plus de mise : ce sont bien les individus, les chercheurs, les entrepreneurs, les médecins, qui ont su contourner les pesanteurs, adapter les algorithmes, ouvrir les données. « Remettre l’humain dans la technologie» est passé du statut de mantra à la réalité, la nécessité d’hybrider tout et à tous les niveaux, de travailler en transversalité, est clairement apparue comme vitale. Gageons qu’il en restera quelque chose. » Pour les auteurs, « le numérique, en temps de crise, est un formidable accélérateur de transformation, avec un effet de cliquet probable sur certains usages socialement ou économiquement bénéfiques. »

L’analyse des thématiques des projets de recherche accompagnés par Cap Digital permet d’avoir une vision sinon exhaustive, du moins assez complète des enjeux technologiques tels que perçus par notre écosystème. Dans le développement des technologies pour la confiance, l’explicabilité des algorithmes de machine learning, l’anonymisation des données, le chiffrage homomorphe, la détection de fraude en apport nul de connaissance, la confidentialité différentielle (fouille de données sans exposition des données sensibles), la tokenisation et les smart contracts multi-protocoles sont les principales thématiques abordées.

Pour ce qui concerne l’IA, les projets reflètent la variété des usages ciblés : la reconnaissance d’images avec apprentissage profond et frugal en données, le traitement automatique du langage naturel, le concept d’Intelligence as a service. Les sujets clés des interfaces homme-machine s’articulent autour de la détection des sentiments, des bots, de la réalité virtuelle, mixte et augmentée. Enfin les questions de cloud souverain sont également abordées, notamment pour les services essentiels.

Retail et défis de l’ère servicielle : des nouveaux modèles engagés et agiles

Imprévisibilité : c’est bien le grand enseignement de la crise pour le secteur du retail. Depuis des années, l’humain est considéré comme la clé du commerce physique. Or, la crise et le confinement ont chamboulé ces « marqueurs » : le lien social, la communauté, le magasin comme lieu d’échange au travers de l’interaction humaine. « Allons-nous entrer dans une ère de distanciation et de virtualisation de l’échange ? Ou allons-nous vers plus de sens commun en prônant un engagement pour les générations futures, alors même que l’idée de progrès ne semble plus faire rêver ? », se demandent les auteurs, pour qui « la « pause » économique imposée par le confinement offre aux acteurs du retail l’occasion de remettre à plat ce qui est utile à notre société en réinventant les modèles du secteur. »

Selon eux, « deux moments de consommation deviennent la norme : la réponse au besoin d’un produit sera assurée par le Web et la réponse au besoin d’émotion sera assurée par le lieu physique qui devra, grâce à la technologie, apporter une valeur ajoutée au parcours client (informations complémentaires, personnalisation…) et gommer les irritants (paiement, livraison). »

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Cartographie des tendances, Cap Digital, édition 2020/2021, 72 pages.