Christophe Lienhard, DSI de Messier-Bugatti : « Une prestation a toujours une fin et la réversibilité n’est pas négociable. »

Messier-Bugatti, leader mondial des systèmes de freinage (1 500 personnes, 430 millions d’euros de chiffre d’affaires) a choisi l’infogérance dès 1996, dans le cadre d’une politique de centrage sur le cœur de métier. Une politique d’eSourcing comprend cinq étapes : l’identification des besoins de l’entreprise, la définition de la stratégie de sourcing, la gestion de l’acte d’achat, la gestion de la prestation sourcée et l’arrêt de la prestation.

Quelles sont les préalables à une démarche eSourcing ?

Christophe Lienhard  L’identification des besoins de l’entreprise consiste à se poser quatre questions. D’abord, a-t-on une vision claire du besoin de sourcing de l’entreprise ? Il faut ainsi identifier ce que l’on veut : des prestations de conseil, une assistance, un renfort en termes de capacité, une délégation de servies ou une maîtrise d’œuvre.

Il convient de préciser quel est le niveau de compétence attendu pour chaque type de prestation. On distinguera ainsi des pratiques d’expertise, de spécialistes ou seulement des pratiques courantes expérimentées. Ce niveau de compétence doit être associé à des attentes en matière d’engagement de la part du prestataire, par exemple une simple capacité, un engagement de conseil, de moyens, de succès, de résultat ou un engagement de réalisation d’objectifs.

La deuxième question à se poser est la suivante : s’engage-t-on formellement dans la définition du rôle de l’entreprise ? On peut ainsi, pour préciser les niveaux de prestations, le contexte et les ressources, bâtir des matrices de rôles et de responsabilités, sur le modèle RACI (Responsable, Autorité, Consulté, Informé).

Troisième question : a-t-on bien décrit ce qui est attendu ? Cela suppose de distinguer les situations, initiale, en contexte et finale, et de s’appliquer dans la description des résultats avec des objectifs mesurables. Enfin, a-t-on pris le temps de formaliser clairement le besoin ?

L’itération et la validation sont essentielles, de manière à faire partager une même vision dans l’entreprise. Je suggère de se faire assister, notamment pour établir le cahier des charges et gérer les aspects contractuels, souvent complexes pour les non-juristes.

Comment définit-on une stratégie de sourcing ?

Christophe Lienhard  Elle repose sur deux points clés : le choix du prestataire et les conditions d’opérations. Il importe d’abord de savoir si l’on souhaite faire appel à un petit prestataire, un moyen ou à un grand nom. Les critères à prendre en compte concernent le besoin de sécurité, l’assurance du résultat, la couverture du risque ou l’efficacité.

On peut ainsi considérer le prestataire comme un géant plus protecteur, un partenaire égal ou un petit sous-traitant, mais les grands prestataires ne sont pas toujours capables de mobiliser toutes les ressources nécessaires. Ensuite, faut-il choisir un spécialiste ou un généraliste ?

Tout dépend du besoin (pratique courante, expertise ou spécialiste) et du degré de prise de risque en fonction du périmètre couvert par le prestataire. Enfin, un ou plusieurs prestataires peuvent intervenir, par des mécanismes de coopération, ce qui autorise la sous-traitance.

Concernant les conditions d’opérations, les prestations peuvent être réalisées chez le fournisseur, dans l’entreprise, ou dans un cadre mixte, et même à l’international (recours à l’offshore). Sur ce point, il convient d’être vigilant si les données sont sensibles : le prestataire peut générer des risques supplémentaires s’il recourt à l’offshore.

De même, les prestations peuvent être réalisées en mode projet ou en plusieurs phases. D’autres points sont à considérer : les étapes de revue de la mesure des résultats, les processus de recadrage éventuel et le traitement de l’atteinte du résultat : faut-il partager les gains ou privilégier les bonus ? Pour ma part, je préfère cette dernière option, la bonification incitant davantage le prestataire à réussir.

N’oublions pas qu’une prestation est toujours évolutive : il existe toujours des éléments externes non maîtrisables. J’ai vu beaucoup de chefs de projets qui oublient que l’entreprise vit et que ces éléments peuvent arrêter les projets ! Il importe d’intégrer cette composante aux engagements à long terme avec les prestataires.

Lorsque les besoins et les prestataires sont identifiés, comment se déroule l’acte d’achat ?

Christophe Lienhard  La stratégie d’achat repose, de manière classique, sur des appels d’offres, mais il faut bien préciser qui décide, ainsi que les plannings et les différentes étapes. C’est toujours la maîtrise d’ouvrage qui reste maître du processus. Les conditions d’achat doivent être précisées et il est utile de construire une matrice de dépouillement des offres, avec une grille de cotation des prestataires.

Ne pas oublier également de se préoccuper des conditions de négociation pour préciser ce qui sera négociable et ce qui ne le sera pas. Dans la négociation contractuelle, il faut inclure l’évaluation du prestataire et un audit pré-contractuel. Celui-ci doit être réalisé avant la signature du contrat et le rapport d’audit sera annexé au contrat.

De même, on ne conseillera jamais assez de ne jamais commencer les prestations avant de signer un contrat. Ni de se méfier des contrats prétendument réutilisables : cette solution de facilité n’est pas toujours adaptée, surtout si c’est le contrat du fournisseur qui est utilisé.

Comment faut-il gérer la prestation ?

Christophe Lienhard  Tout d’abord, c’est la prestation qui doit être mise en avant, pas le prestataire. On ne confond pas ainsi la gestion du résultat et la gestion du prestataire. Les indicateurs de performances et les unités d’œuvre sont bien sûr indispensables mais doivent demeurer en ligne avec le résultat attendu.

Je veille à ce que mes collaborateurs ne se substituent pas aux prestataires et ne travaillent pas pour obtenir le résultat attendu. Chacun reste dans son rôle et son apport professionnel. La menace de pénalités apparaît, dans ce contexte, un peu décalée. Il est préférable de positiver et d’inciter le prestataire à atteindre le résultat, d’autant qu’il pourra obtenir de nouveaux contrats dans le futur. évidemment, si le prestataire n’est pas un vrai professionnel, c’est l’affaire des avocats : ce sont les meilleurs conseils en cas de conflit mais il est souvent inutile d’aller devant un juge : un bon accord vaut mieux, pour toutes les parties, qu’un mauvais procès.

Pendant la période de prestation, si le mode projet est privilégié, il faut suivre rigoureusement et formellement toutes les étapes. Si un mode récurrent est préféré, sachez inventer des phases, en n’oubliant pas que « le long fleuve tranquille » n’existe jamais et que l’environnement vous obligera à changer.

Si le mode récurrent repose sur du long terme, le renouvellement des acteurs est un phénomène normal, à la fois du côté de la maîtrise d’ouvrage et du côté de la maîtrise d’œuvre. L’instabilité des équipes ne doit toutefois pas perturber l’atteinte des résultats. Dans toute opération, il y a des facteurs-clés de succès : il faut les identifier et les exacerber.

Ainsi, une maîtrise d’œuvre reconnue et considérée est plus motivée pour l’entreprise cliente. On évitera par exemple d’installer les prestataires dans des baraquements précaires en dehors des murs de l’entreprise…

Comment gérer la fin d’une prestation ?

Christophe Lienhard  Rappelons d’abord une règle essentielle : une prestation a toujours une fin, la relation avec un fournisseur n’est jamais définitive. Un point fondamental concerne la réversibilité : elle est toujours due, et ne doit jamais être en option. Ce n’est pas négociable !

C’est une obligation professionnelle de la part des prestataires, même si elle doit intervenir en cours de contrat pour quelque motif que ce soit. C’est un enjeu essentiel pour les fournisseurs et il faut bien sûr prévoir ce cas de figure avant de signer le contrat : le prestataire n’abordera probablement pas le sujet de sa propre initiative.

Je conseille de vérifier si votre prestataire a déjà été confronté à des cas des réversibilité et d’étudier dans quelles conditions elle s’est déroulée. Le modèle eSCM est, de ce point vue, une aide et un référentiel pour standardiser le processus de passage d’un prestataire à un autre.

Le modèle eSCM constitue une aide vers davantage de maturité, mais ce n’est pas une méthode standard garantissant la réussite. Je crois aux professionnels… à condition qu’ils soient professionnels !


Qu’est-ce que l’eSourcing ?

L’eSourcing (IT-enabled Sourcing) est le sourcing des services s’appuyant sur les technologies de l’information, par exemple pour les processus métiers (ressources humaines, achats, finance…), les projets de développement, les services d’infogérance (applicative et d’infrastructures), les services de proximité (help-desk, postes de travail…).

L’eSourcing ne doit pas être confondu avec l’e-sourcing (electronic sourcing). Selon Pierre Audoin Consultants, le marché de l’eSourcing pèse environ 8,2 milliards d’euros (en 2007), dont 40 % pour l’infogérance d’infrastructures (grands systèmes, serveurs distribués, postes de travail), 22 % pour l’infogérance d’applications, autant pour la TMA (tierce maintenance applicative) et 16 % pour l’infogérance globale.