Comment manager dans l’incertitude

La complexité a besoin de nouveaux modèles de leaders et d’organisations. À mesure que la crise devient durable, cette affirmation des deux auteurs de cet ouvrage, Laurent Combalbert (fondateur du cabinet Ulysceo) et Éric Delbecque (chef du département Sécurité économique de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice) émerge comme une évidence.

Car, soulignent-ils, « la crise, au sens traditionnel du mot, est morte ». D’où leur suggestion de « tout repenser », surtout lorsque le progrès technologique accentue la complexité.

Les auteurs pointent tout d’abord ce qu’ils appellent « l’overdose d’informations » : « La société de l’information incite à penser que chacun d’entre nous bénéfice en temps réel de toutes les données et analyses imaginables capables de mettre à sa portée immédiate l’explication de l’ensemble des événements qui se produisent. Mais ce sentiment « de savoir » relève de l’illusion. »

La surinformation est donc un piège qui conduit souvent à des addictions et à l’overdose : « Plus on augmente son accoutumance à « l’info », moins on distingue les dynamiques qui structurent le monde », assurent les auteurs. Ce qui aboutit à des visions simplifiées de la réalité, renforcées par le rôle des médias et du Web.

Le leadership de l’incertitude ou la renaissance des organisations, par Éric Delbecque et Laurent Combalbert, Editions Vuibert, 288 pages.

Dans la mesure où la crise, marquée par les notions de « déferlement, de dérèglement et de rupture », s’installe, « il est vain d’espérer un retour à la normale dans un monde où la norme n’existe plus ». C’est donc aujourd’hui l’exceptionnel qui devient la norme.

Dès lors, le management devient le « management opérationnel des circonstances exceptionnelles et conflictuelles » (MOCEC). Il faut avant tout se préserver des différents « facteurs critiques d’échecs » listés par les auteurs : le stress, l’analogisme (recours abusif aux modèles du passé), la justification a priori d’une solution, la « décision magique » (postulat qu’il n’existe qu’une seule bonne réponse), le refus d’identifier ses erreurs ou de remettre en cause le système, le défaitisme, l’activisme (multiplication des initiatives brouillons), ou encore « décider pour décider » (prendre une décision uniquement pour le plaisir).

Il existe, en revanche, des nouveaux facteurs critiques de succès : l’agilité, l’ouverture d’esprit, la curiosité, l’approche interculturelle, l’acceptation de l’incertitude, la prise de conscience des limites de la rationalisation, la valorisation de l’intuition, la capacité d’improvisation, l’action en réseaux.

Ce MOCEC repose sur deux piliers. D’une part, l’intelligence situationnelle (détecter les signaux faibles, surveiller l’environnement…) D’autre part, les stratégies d’influence : « Ensemble des outils et actions visant à dissuader les différents décideurs de rendre publique telle prise de position susceptible d’influencer négativement ou positivement la stratégie, les résultats ou le développement d’une organisation. »

On s’en doute, cette approche remet en cause le modèle de l’autorité dans les organisations. Les auteurs détaillent les différents modèles historiques : « Le XXe siècle fut celui des organisations froides et gigantesques, (qui) faillirent même triompher de l’individu (…) avec leurs capacités à stériliser les énergies humaines. »

Aujourd’hui, on est arrivé à une situation paradoxale : « Les organisations tentent de concilier ce qui peut difficilement l’être, à savoir le prestige et le devoir du leader avec l’absence de responsabilités de celui qui prétend « gérer » des « ressources humaines » autonomes, dans le cadre d’un système anonyme qu’il n’est pas de son ressort de réformer. On exige en fait de chacun qu’il soit tour à tour un général et un bon petit soldat. »

Pour les auteurs, « un tel système n’est pas tenable sur la longue durée : le statut ne fabrique plus le « Chef » et ne le protège pas davantage : plus que jamais, ce sont ses qualités personnelles qui sont sollicitées et qui l’autoriseront à être reconnu comme tel ! »

Une nouvelle conception du leadership et du management s’appuie sur plusieurs caractéristiques : « Le leader d’aujourd’hui doit être un stratège car le management des circonstances exceptionnelles l’exigent », avancent les auteurs. Avec, bien sûr, des capacités de synthèse, relationnelles, de communication, et une aptitude à entrer en permanence dans une perspective d’intelligence stratégique (lier des données éparses pour orienter l’action dans un milieu conflictuel).

L’un des obstacles majeurs reste le temps, ressource dont les managers disposent le moins. Il faut donc « renouer avec le temps long », suggèrent les auteurs. Le deuxième obstacle concerne la prise en compte des émotions individuelles dans la prise de décision. Pour caractériser les qualités du leader, les auteurs proposent une matrice, baptisée Dionisos pour : décryptage, intuition, ouverture, négociation, innovation, stratégie, opportunité, sens.