Comment reconnaître un fournisseur en déclin

En matière de relations fournisseurs, il est toujours prudent d’anticiper ce qui peut l’être. Hélas, souvent, les ennuis surgissent plus ou moins brusquement alors que certains signaux faibles auraient pu être exploités pour mieux se préparer. Comment reconnaître un fournisseur en déclin avant qu’il ne soit trop tard. Quels sont les critères sont à surveiller ?

 Déclin : « Etat de ce qui diminue de valeur, de grandeur, d’éclat, de puissance. » Cette tendance s’applique aussi aux fournisseurs IT. Anticiper le déclin d’un fournisseur est indispensable, car les conséquences peuvent être graves, voire dramatiques pour les entreprises. Rappelons que, selon les statistiques d’Altares, 851 entreprises du secteur IT ont fait l’objet de défaillances en 2019 (816 en 2018), les deux-tiers ont même été liquidées, les autres étant en procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire. Au premier trimestre 2020, il y a eu 202 défaillances d’éditeurs de logiciels et de sociétés de services (plus de deux par jour). C’est stable sur un an, mais on peut pressentir que la crise sanitaire et économique va accentuer leur nombre en 2020 et au-delà. La proportion de liquidations judiciaires est passée de 68 % en 2019 à près de 75 % au premier trimestre 2020.

On peut ainsi identifier six types de risques, dont une anticipation contribue à atténuer les conséquences dommageables :

– Le risque financier, s’il faut réinvestir avec d’autres fournisseurs pour rester à l’état de l’art.

– Le risque technologique, en cas d’obsolescence significative, faute d’investissement en R&D du fournisseur.

– Le risque fonctionnel, lorsque la solution n’est plus mise à jour, par exemple pour les évolutions réglementaires.

– Le risque pour le DSI, qui peut perdre son poste pour n’avoir pas su anticiper ce qui pouvait l’être.

– Le risque pour l’entreprise, par une désorganisation opérationnelle.

– Le risque systémique, en cas de rupture dans la chaîne de sous-traitance.

Les critères que nous vous proposons doivent toutefois être maniés avec précaution. D’une part parce qu’il faut tenir compte du contexte, d’autre part parce qu’ils interagissent entre eux. Il faut donc privilégier une analyse globale et approfondie avant d’être certains que le fournisseur se positionne dans une spirale descendante. Mais ces quinze éléments agissent comme des signaux d’alerte qui invitent à aller plus loin.

L’accumulation de poussières : le site Web n’est plus mis à jour régulièrement

Selon une étude d’IDG, 79 % des DSI téléchargent au moins un document sur le site d’un fournisseur pendant le processus de décision d’achat. C’est la première source d’informations, avec les livres blancs et les commerciaux. La qualité d’un site Web et le rythme de sa mise à jour sont donc cruciaux pour un fournisseur qui veut séduire un maximum de clients. Il est possible de mesurer le degré de proximité d’un fournisseur avec ses clients, en utilisant par exemple la grille d’analyse des Ratings Best Practices. Selon Gartner, dans leur processus d’achat de solutions, les DSI privilégient les avis d’experts externes et d’analystes, les retours d’expériences, les documentations techniques et les livres blancs. Ils s’informent beaucoup moins via les blogs des fournisseurs.

L’indicateur à surveiller : les dates de mises à jour des derniers documents (cas clients, livres blancs, annonces produits…).

La source à privilégier : la partie actualités du site Web du fournisseur.

La bonne pratique : visiter régulièrement le site Web du fournisseur.

L’écran de fumée : il fait semblant de recruter

C’est une technique classique, mais certains peuvent en abuser pour montrer qu’ils sont dans une phase de croissance : passer des annonces pour des postes qui ne seront jamais pourvus. Dès lors qu’il y a un écart entre la fréquence de cette pratique et la situation de l’entreprise telle quelle est perçue par ailleurs, par exemple en interne, via les commerciaux ou les concurrents, il y a lieu de se méfier. La multiplication des annonces de recrutement peut également être le signe d’un turn-over trop élevé dans les équipes (de commerciaux, de développeurs, de support…).

L’indicateur à surveiller : la fréquence de publication d’une annonce pour un même poste.

La source à privilégier : le réseau de revendeurs, les consultants.

La bonne pratique : créer une alerte Google avec les bons mots-clés.

La prévision presqu’autoréalisatrice : il achète des commentaires élogieux d’analystes

On voir régulièrement fleurir des études ou des notes d’analystes issus de cabinets peu ou pas connus pour vanter tel positionnement innovant d’un fournisseur, sa capacité à répondre aux besoins de ses clients, la qualité de ses produits « unanimement plébiscitée »… C’est assez facile d’acheter ce genre de prestation, pour peu qu’on ait le budget nécessaire bien sûr. La plupart des cabinets d’analystes deviennent très accommodants face à un chèque conséquent. Tout comme les groupes de presse se gardent généralement de toute critique négative vis-à-vis de leurs plus gros annonceurs.

L’indicateur à surveiller : les noms et la réputation des cabinets d’analystes.

La source à privilégier : les études mentionnant le fournisseur et le type de commentaires associés.

La bonne pratique : repérer les commentaires et le vocabulaire trop élogieux dans les études.

Le recentrage technique : il ne communique plus sur ses clients et n’organise plus d’événements

L’un des critères de mesure de la proximité d’un fournisseur avec ses clients réside dans la mise en avant des clients par rapport aux communications très centrées sur la technique. On constate encore que beaucoup de fournisseurs se focalisent sur les caractéristiques de leurs produits, mais oublient de parler de leurs clients. Il faut un équilibre entre ces deux univers de communication. L’un des signes du déclin est la forte diminution de la part des clients dans la communication, par contraste avec ce qui se pratiquait auparavant, cela indique que les clients rechignent à faire part de leur témoignage, peut-être parce que leur degré de satisfaction a diminué.

L’indicateur à surveiller : le nombre de nouvelles références clients.

La source à privilégier : la partie « clients » du site Web.

La bonne pratique : s’abonner aux newsletters du fournisseur.

La paresse éditoriale : les contenus s’appauvrissent

La tentation est grande, en période de crise, de recycler les contenus qui existent déjà, pour en prolonger la durée de vie. Cela peut être le signe d’une stratégie réfléchie et cohérente, mais aussi un indice de restrictions budgétaires. On voit ainsi des éditeurs diffuser, en 2020, des contenus présentant des chiffres d’études de marché qui datent de plusieurs années sans que personne ne se pose la question de leur pertinence, ce qui peut être contre-productif. Il en est de même des blogs, que beaucoup de fournisseurs ont lancé, mais qu’ils peinent à mettre à jour avec une bonne régularité.

L’indicateur à surveiller : la diversité des contenus (livres blancs, cas clients, points de vue d’expert, fiches produits, blogs…).

La source à privilégier : la date de publication d’un contenu (pour les livres blancs ou les études, c’est généralement écrit en petits caractères à la fin du document).

La bonne pratique : repérer la fréquence de mise à jour du blog du fournisseur. En général, elle diminue avec le temps.

Le coup de frein technologique : la publication des roadmaps se raréfie

En principe, un éditeur publie régulièrement la roadmap de ses solutions, de manière à fournir une visibilité à ses clients sur sa vision, ses investissements et son approche en terme d’innovation. Lorsque le délai entre deux roadmaps s’allonge, cela peut être le signe d’un relâchement dans les investissements de recherche et développement

L’indicateur à surveiller : l’écart moyen entre deux releases de logiciels.

La source à privilégier : les commerciaux.

La bonne pratique : interroger régulièrement les commerciaux sur les perspectives à moyen terme. Attention aux réponses évasives…

La valse des interlocuteurs : le turnover des commerciaux et des consultants augmente

Le fait de pressurer les équipes commerciales avec des objectifs financiers trop ambitieux conduit généralement à des démissions en chaîne, ainsi que des conditions salariales déséquilibrées par rapport au marché ou à la concurrence. Le taux de renouvellement rapide est le signe d’un malaise et d’un manque de confiance dans la pérennité du modèle. De même, un changement trop fréquent de consultants sur une mission, non justifié par des considérations de compétences ou des évolutions de besoins, peut traduire des difficultés.

L’indicateur à surveiller : le nombre moyen d’interlocuteurs pour un même fournisseur.

La source à privilégier : les collègues en interne, les clubs utilisateurs.

La bonne pratique : questionner régulièrement les commerciaux ou les consultants sur leur moral et leur engagement vis-à-vis de leur employeur.

La perte de confiance : les dirigeants vendent une partie de leurs actions

Cette information concerne les entreprises cotées en bourse et, pour les fournisseurs américains, elle est relativement facile à obtenir, avec la base de données Edgar de la SEC (Securities & Exhange Commission). Lorsqu’un dirigeant se désengage, c’est le signe de changements à venir, par exemple cession d’actifs, acquisition, ou perspectives de résultats trimestriels plus mauvais que prévu.

L’indicateur à surveiller : les déclarations obligatoires pour les sociétés cotées, plus faciles à obtenir pour les fournisseurs américains.

La source à privilégier : la base de données Edgar de la SEC (www.sec.gov) et les documents 10-Q.

La bonne pratique : vérifier à chaque échéance trimestrielle les mouvements de titres (surtout les ventes, qui traduisent une perte de confiance).

La priorité au court terme : les opérations de discount se multiplient

Comme pour tout commerce, la période des soldes peut se révéler une bonne affaire, mais si elle se systématise, c’est que la priorité est donnée au court terme. Autrement dit à l’embellissement des comptes du prochain trimestre pour remplir les objectifs qui sont difficiles à atteindre.

L’indicateur à surveiller : les remises consenties au-delà du raisonnable.

La source à privilégier : les remises faites à d’autres DSI pour des solutions ou des prestations similaires.

La bonne pratique : toujours se souvenir de l’adage : « Quand c’est trop beau pour être vrai, c’est que c’est trop beau pour être vrai. »

La réduction des coûts : la qualité du support diminue

Dans les stratégies de réduction de coûts des éditeurs de logiciels, ceux liés au support ont deux avantages : d’une part, ils ne concernent a priori que les clients qui ont déjà signés, donc déjà captifs. D’autre part, ce sont des coûts relativement invisibles pour l’extérieur, notamment pour les prospects, souvent plus focalisés sur les fonctionnalités d’une solution logicielle.

L’indicateur à surveiller : le délai de réponse après l’émission d’un ticket.

La source à privilégier : les utilisateurs ou les collaborateurs de la DSI.

La bonne pratique : calculer un temps moyen de réponse adapté à l’entreprise et le comparer au taux moyen indiqué par le fournisseur (s’il existe).

Les stratégies personnelles opportunistes : le Top management change fréquemment

Quel que soit le secteur, lorsque le management change trop fréquemment, c’est le signe qu’au moins trois problèmes sont sous-jacents. D’abord, des divergences de vues sur la stratégie. Elles rejailliront inévitablement sur les clients, surtout si un revirement dans ce domaine conduit à l’abandon de lignes de produits ou de compétences. Ensuite, c’est le signe que le fournisseur sera peut-être absorbé par un autre. Cela aboutit généralement à une démotivation des équipes (commerciales, de consulting, du support, de développement…) et des partenaires (revendeurs, intégrateurs…), contexte qui n’est jamais favorable pour les clients.

Enfin, cela peut être le signe que la direction générale pratique des stratégies personnelles opportunistes : autrement dit, ce sont des profils de dirigeants qui utilisent leur réseau et leur CV pour occuper des postes où ils pourront « gagner plus sans travailler plus ». Ils peuvent un jour vendre des logiciels financiers, pour le lendemain aller dans une start-up B2C puis revenir diriger un éditeur de logiciels dans un autre domaine. On les reconnaît à leur parfaite maîtrise de la langue de bois. Ils changent de poste lorsque ceux qui les ont recrutés (pour leur CV ou soi-disant réseau, ou en faisant confiance à un cabinet de chasseur de têtes pressé de recommander des candidats sans trop pousser ses investigations) s’aperçoivent qu’ils se sont fait duper. Heureusement, ces profils sont peu nombreux, mais ils peuvent facilement désorganiser un fournisseur par la démotivation des équipes, des stratégies qui changent régulièrement, voire des pratiques commerciales agressives pour remplir les objectifs.

L’indicateur à surveiller : le nombre de DG différents sur une période d’aux moins cinq ans.

La source à privilégier : les médias, les sites Web des fournisseurs.

La bonne pratique : vérifier les profils Linkedin pour analyser l’historique professionnel des dirigeants : un changement de poste tous les 12-18 mois, voire moins, doit alerter.

La comm’ pour la comm’ : occuper le terrain médiatique

Tout comme l’absence ou la raréfaction de la communication, la sur-communication peut être le signe qu’un fournisseur est en déclin. Tout comme un nageur en détresse s’agite avant de couler pour attirer l’attention. La sur-communication se traduit, par exemple, par la multiplication de campagnes d’e-mailing sur des sujets sans beaucoup d’intérêt ou par une présence tous azimuts sur les réseaux sociaux, mais, là encore, avec une stratégie non ciblée.

L’indicateur à surveiller : le nombre de communications reçues.

La source à privilégier : les newsletters, les comptes Twitter, les pages Linkedin.

La bonne pratique : identifier le changement de thématiques, par exemple lorsque le fournisseur communique moins sur ses clients et davantage sur ses problématiques internes.

La fuite en avant : les audits de licences se multiplient

C’est un grand classique : quand un éditeur de logiciels peine à séduire suffisamment de nouveaux clients, il est tenté d’essorer sa base installée, par exemple en augmentant de façon démesurée ses coûts de maintenance ou, de manière plus agressive, en industrialisant les audits de licences, surtout si des acquisitions successives ont diversifié ses bases installées. Il est bien sûr dans son droit, mais tout est dans la manière de procéder. Ces pratiques se font relativement moins agressives, mais, avec la crise actuelle, cela peut redevenir d’actualité pour les éditeurs les plus fragilisés.

L’indicateur à surveiller : la fréquence des audits et les montants de régularisation exigés, avant négociation.

Les sources à privilégier : les clubs utilisateurs, le réseau de DSI.

La bonne pratique : élaborer une stratégie spécifique pour gérer les audits de licences.

Le manque de carburant : les résultats financiers se dégradent

C’est l’indicateur le plus visible, surtout pour les fournisseurs cotés en bourse : la dégradation régulière des résultats financiers, qui ne s’expliquent pas ou peu par des éléments objectifs (par exemple un effort accru en R&D, une acquisition stratégique qui fait sens pour les clients, un événement imprévisible…).

L’indicateur à surveiller : les évolutions du chiffre d’affaires et de la rentabilité.

La source à privilégier : les sites boursiers ou www.societe.com (qui indique aussi des ratings financiers et les événements juridiques marquants des entreprises). Il existe également des solutions payantes (donc très complètes) de notation des fournisseurs (par exemple Intuiz d’Altares Dun&Bradstreet).

La bonne pratique : aller au-delà des simples éléments financiers et  consulter régulièrement les documents de référence (pour les sociétés cotées en bourse).​

Les critères pour mesurer la proximité client d’un fournisseur
Critère Poids/100 Justification
 Site Web en français  8  Démontre une présence locale significative
 Mentions légales  1 L’identification de la structure juridique en France est indispensable pour le suivi des relations contractuelles
 Référencement naturel sur le nom  1 Révèle la notoriété de l’éditeur
 Rubrique actualités/presse 5 Traduit l’activité de l’éditeur et sa stratégie
 Mise à jour régulière  3 Les sites non mis à jour doivent inciter à la prudence
 Newsletter  2 Utile pour connaître les nouveautés produits et les nouveaux clients
 Revue de presse 1  Montre que l’éditeur communique de façon régulière
 Fiches produits  5  Indispensable pour avoir un aperçu des solutions
 Où acheter ?  2  Permet de valoriser le réseau de distribution
 Contact France  4  Facilite le premier contact commercial
 Interaction tchat  4  Une fonctionnalité de plus en plus proposée par les éditeurs, utile pour éclaircir certains points avant d’aller plus loin
 Présence sur les réseaux sociaux  2 Témoigne d’un dynamisme commercial
 Publication de livres blancs  5  Démontre la connaissance des technologies et/ou des problématiques métiers
 Contenus sur des blogs  4  Mise en avant des expertises de l’éditeur et de ses équipes
Organisation de Webinars-Webcasts  4  Utile pour approfondir les fonctionnalités d’une solution
Organisation d’événements  6  Traduit la volonté de renforcer les liens avec la communauté des décideurs IT
Publication de contenus métiers  8  Accentue le positionnement de l’éditeur face à des besoins métiers spécifiques
Points de vue d’analystes  4 Ils confortent la légitimité de l’éditeur
Actualités sur les clients  4  Montre la capacité de l’éditeur à faire témoigner ses clients, a priori satisfaits des solutions mises en œuvre
Références clients  8 Révèle que la solution atteint un certain degré de maturité sur le marché
Cas clients détaillés  10  Les études de cas sont incontournables pour valoriser la solution, selon le principe que ce sont les clients qui en parlent le mieux
Cas clients accessibles sans formulaire  1  Créer une série d’obstacles pour accéder à l’information (création de compte, formulaire trop détaillé…) fruste l’internaute et peut se révéler contre-productif pour l’éditeur
Existence d’un club utilisateurs 8 Atteste qu’une communauté de clients existe, ce qui rassure les prospects
Les notes pondérées, selon les trois catégories, sont transformées en lettres, selon la grille suivante : A (8 à 10) ; B+ (7 à 7,9) ; B (6 à 6,9) ; C+ (5 à 5,9) ; C (4 à 4,9) ; D+ (3 à 3,9) ; D (moins de 3).