Comment se débarrasser des éditeurs de logiciels qui s’incrustent

En principe, les entreprises n’ont pas envie de se débarrasser de leurs éditeurs de logiciels. Mais, quelquefois, les relations deviennent tendues et il est pertinent d’envisager une rupture des relations. Les éditeurs anticipent cette possibilité et déploient des stratégies pour rester dans la place le plus longtemps possible.

Revue des vingt-cinq techniques les plus utilisées… et des moyens de s’en sortir ! Pour un éditeur, le turn over des clients est un phénomène normal. L’essentiel reste de ne pas voir sa base installée s’assécher trop rapidement par rapport au flux de nouveaux clients. Mais la plupart des éditeurs veulent gagner sur les deux tableaux, c’est bien compréhensible : séduire de nouveaux prospects et garder les clients existants. Surtout dans le contexte actuel, marqué par une plus forte maturité des DSI en matière de contrats, de relations fournisseurs et d’exigences sur les ROI, les performances et l’agilité.

Dès lors, pour un éditeur, comment conserver les positions acquises ? Beaucoup jouent la carte de la qualité des solutions, c’est l’approche la plus vertueuse. D’autres sont tentés de s’approcher de la ligne blanche, voire de la franchir. C’est moins glorieux, mais il faut s’y préparer. Plusieurs leviers sont utilisés par les éditeurs : relationnel, technologique, contractuel, commercial, politique ou organisationnel…

La stratégie Al Capone

Le principe consiste à proposer au client une offre « qu’il ne peut refuser ». C’est souvent l’approche retenue par des grands éditeurs d’ERP, qui ont des enjeux financiers importants s’ils perdent un client. Ainsi, l’éditeur pourra proposer un paquet de licences gratuites, en oubliant, bien sûr, de préciser que, sur ces licences, s’appliquera le taux de maintenance (plus de 20 %). Le commercial avant-vente devient alors l’homme de main du boss de l’éditeur : « Cela n’a rien de personnel, j’applique les directives de la Corp. sur la politique de maintenance », pourra-t-il arguer.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Garder à l’esprit que si une offre est trop belle pour être vraie, c’est… qu’elle est trop belle pour être vraie !
  2. Estimer le coût complet à moyen terme d’une solution (avec la maintenance et les coûts indirects, par exemple le recours à un intégrateur ou le recrutement de compétences supplémentaires).
  3. Vérifier que les licences gratuites correspondent à des besoins avérés des utilisateurs.

La stratégie Sun Tzu

Il s’agit de « diviser pour mieux régner ». Pour cela, les combinaisons sont multiples : cela peut concerner les équipes de la DSI, en opposant les partisans de telle approche technologique ou fonctionnelle par rapport à telle autre. Cette stratégie peut également s’appliquer pour opposer la DSI aux métiers, la DSI à la DG, les métiers à la DG, voire tous en même temps. L’éditeur peut préparer un terrain propice pour semer la zizanie en appliquant la stratégie « paillettes », qui consiste à inviter certains, et pas d’autres, à des évènements de prestige.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Favoriser une communication régulière dans la DSI et entre la DSI, les métiers et la direction générale.
  2. Identifier les signaux faibles (rencontres trop fréquentes de l’éditeur avec les métiers, questions de ces derniers sur les solutions Saas ou des évolutions à prévoir pour les solutions existantes…).
  3. Conserver les comptes rendus des réunions avec les métiers pour identifier les changements d’opinion avec le temps.

La stratégie du savant fou

C’est bien connu, les développeurs et les équipes de R&D des éditeurs peuvent avoir une imagination débridée. La stratégie consiste à complexifier les solutions, y compris avec des fonctionnalités inutiles ou avec des technologies maîtrisées par une minorité de développeurs. Cela présente trois avantages : d’abord, plus on couvre de fonctionnalités, plus on touche d’utilisateurs, et donc la probabilité qu’ils ne veuillent pas changer est maximisée. Ensuite, complexifier les solutions les rend difficiles à « désintégrer » du système d’information, sans provoquer quelques dégâts (qui font réfléchir à deux fois avant de passer à l’action). Enfin, il devient problématique de « redescendre de version » sans risques pour les données, surtout si des développements spécifiques sont venus opportunément compléter le dispositif. C’est le contexte que l’on retrouve avec les ERP : ils couvrent toutes les fonctions de l’entreprise, il est difficile d’enlever certaines briques sans casser l’ensemble et les développements spécifiques, quasiment systématiques, empêchent le recours à des solutions alternatives à moindre coût.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Analyser la roadmap de l’éditeur, si elle existe !
  2. Préférer des solutions moins lourdes pour gagner en agilité, mais il faut y penser en amont.
  3. Analyser les aspects techniques et fonctionnels pour quantifier le degré de complexité et la capacité des équipes de la DSI à maîtriser la solution. En tirer les conséquences…

La stratégie de l’homme politique

Dans ce cas, l’éditeur ne va pas hésiter à faire des promesses dont il saura qu’elles ne seront jamais tenues. Par exemple, sur les performances prévisibles d’un upgrade, sur la réduction des coûts à l’issue d’une migration ou sur la facilité d’intégration d’une solution avec une autre. Il faut, bien sûr, préparer les arguments lorsque le client s’aperçoit que les promesses ne sont pas tenues. Mais souvent, il suffit de formuler d’autres engagements : ils ne seront pas tenus non plus, mais le facteur temps aura produit son effet. Quelques mois gagnés sont toujours utiles pour un éditeur.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Obliger l’éditeur à formuler ses engagements par écrit et préciser que les engagements devront être tenus, même en cas de rachat de l’éditeur par l’un de ses concurrents, situation de plus en plus fréquente.
  2. Se méfier des engagements pris individuellement par un consultant avant-vente : c’est l’éditeur qui s’engage, pas l’un de ses collaborateurs.
  3. Prévoir des contreparties en cas d’arrêt de la commercialisation de la solution concernée.

La stratégie Kââ

Inspirée du serpent du Livre de la Jungle (aucun rapport avec l’autobiographie d’un DSI), cette stratégie consiste à toujours inspirer confiance, par exemple en réaffirmant la notoriété de la solution, en produisant des rapports d’analystes, connus ou moins connus, qui ont placé l’éditeur dans un carré magique ou l’ont distingué par rapport à ses concurrents, ou encore des articles élogieux parus dans la presse (qui ne précisent évidemment pas que l’auteur de l’article a été invité tous frais payés aux États-Unis pour découvrir stratégie, roadmap et bonnes paroles de la direction marketing…). Tous les cabinets d’analystes ont créé des lignes de produits pour répondre à cet objectif de réassurance des clients.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Intégrer le fait que les rapports d’analystes sont souvent biaisés et payés par leurs clients éditeurs.
  2. Se méfier des analystes inconnus ou des experts qui sortent de nulle part.
  3. Repérer si la fréquence de mots élogieux (leader, visionnaire, unique…) est trop importante dans les écrits des analystes, c’est le signe d’une volonté de dissimulation de certains aspects de la solution ou de la stratégie de l’éditeur.

La stratégie de l’alpiniste

Tout comme l’alpiniste qui ne pense pas à descendre de la montagne avant d’avoir atteint le sommet, l’éditeur va multiplier les upgrades de sa solution. Toujours pour la bonne cause, avec de nouvelles fonctionnalités, des interfaces relookées (pas trop, car il faut en conserver pour les prochains upgrades). Plus on monte en upgrades, qui peuvent bien sûr se justifier et être utiles, plus il est difficile de redescendre et de changer d’éditeur, surtout si ce dernier a été moins rapide pour moderniser sa solution.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Analyser la roadmap de l’éditeur, si elle existe !
  2. Ne pas implémenter systématiquement toutes les versions d’une solution logicielle.
  3. Privilégier le mode SaaS, plus souple et souvent moins coûteux.

La stratégie Copains d’avant

Cette approche consiste à travailler l’empathie avec les équipes du client, en partant du principe qu’il est plus difficile de se séparer d’un prestataire qui a su jouer avec la fibre amicale, surtout s’il explique que, du fait du poids de son client dans son chiffre d’affaires, il risque la faillite en cas de rupture des relations commerciales.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Sensibiliser les équipes de la DSI aux risques d’être trop proches d’un éditeur.
  2. Ne pas accepter toutes les invitations si elles ne sont pas nécessaires pour acquérir de l’information utile.
  3. Connaître les principales techniques de manipulation et d’influence sur les individus.

La stratégie du camelot

Il s’agit de pousser à la consommation, par exemple en cherchant à étendre la base d’utilisateurs ou de licences vendues « à prix d’ami ». Cette approche peut se concrétiser par un débordement de la DSI pour établir des contacts directs avec les directions métier, pas toujours au fait des conséquences financières d’un ajout de nombre d’utilisateurs.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Contrôler autant que possible le Shadow IT dans l’organisation.
  2. Formaliser une politique de BYOD (Bring your own device), porte d’entrée à des solutions logicielles hétérogènes.
  3. N’acquérir des solutions que si elles correspondent à des besoins avérés des utilisateurs.

La stratégie Narcos

Elle s’apparente à l’approche privilégiée par les vendeurs de substances illicites ou l’industrie du tabac : créer une dépendance fonctionnelle de sorte que le coût de sortie pour l’utilisateur, au-delà des aspects financiers, soit aussi émotionnel, dans le sens où il aura l’impression de perdre une partie de ce qui contribue à lui faciliter le travail. Bien évidemment, ces fonctionnalités sont utiles, indispensables même, c’est bien pour cela qu’il est intéressant, pour un éditeur, de les multiplier. Certes, dans la mesure où les utilisateurs sont satisfaits, le risque que l’éditeur soit sorti par son client est faible. Mais un changement de DSI, une fusion ou un revirement stratégique peuvent créer une zone d’incertitude pour l’éditeur, qu’il peut anticiper à son profit.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Étudier les usages réels des solutions dans l’entreprise.
  2. Imposer à l’éditeur la gratuité de certaines fonctionnalités qu’il aurait tendance à facturer.
  3. Ne pas implémenter systématiquement chaque nouvelle version de la solution.

La stratégie du fayot

En cas d’arbitrage défavorable, de la part d’un DSI, un éditeur peut se retourner vers les échelons hiérarchiques supérieurs. Il faut bien sûr avoir préparé le terrain. Le fait, pour un éditeur, d’envoyer un courrier vengeur à la direction générale de son client, en se plaignant des agissements du DSI, existe. Ce fut une pratique initiée par les constructeurs de matériels dès lors qu’un DSI avait des velléités de passer à la concurrence. La tentation d’une telle pratique est liée aux enjeux financiers : la perspective de perdre plusieurs millions d’euros rend cette approche réalisable. Quitte à perdre le client, autant actionner tous les leviers. Heureusement, les directions générales tombent rarement dans ce piège, sauf si elles cherchent une mauvaise raison pour se débarrasser de leur DSI.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Informer la direction générale (et les directions métier) de l’existence de telles pratiques de la part des fournisseurs.
  2. Préparer en amont un solide argumentaire et un dossier complet pour défendre la position et les choix de la DSI.
  3. Envisager des mesures de représailles contre l’éditeur (interdiction de communiquer sur le retour d’expérience, « bad buzz » auprès d’autres DSI, boycott…).

La stratégie de la langue de vipère

C’est la stratégie popularisée par les fournisseurs de produits de sécurité, résumée par l’acronyme FUD (fear, uncertainty, doubt) : provoquer la peur, faire naître l’incertitude et instiller le doute. Cette stratégie va donc consister à dénigrer les concurrents. Pour réussir, plusieurs éléments peuvent être utilisés : mettre en exergue un échec chez un client, laisser entendre que le turnover des commerciaux avant-vente du concurrent est tel qu’il ne faut compter sur personne, affirmer que les performances de la solution ne seront jamais à la hauteur ou que la technologie est dépassée, décrier le modèle de tarification, laisser courir la rumeur que le concurrent va se faire racheter, montrer qu’il est mal placé dans les classements des analystes…

Trois idées pour s’en sortir

  1. Vérifier systématiquement toutes les informations relayées par l’éditeur.
  2. Consulter les concurrents pour entendre leurs arguments, ou des analystes indépendants.
  3. S’informer sur les retours d’expérience d’autres DSI, par exemple dans le cadre de clubs utilisateurs (lorsqu’ils ne sont pas noyautés par les éditeurs…).

La stratégie du coffre-fort

On trouve cette approche dans les cas où des développements spécifiques sont réalisés par les équipes de l’éditeur (ou un intégrateur partenaire qu’il a conseillé). Verrouiller le client consiste à ne pas communiquer tout ou partie du code, de sorte que les équipes internes ne puissent intervenir pour reprendre la main sur l’application. Sauf si le DSI a pris soin de faire figurer dans le contrat que c’est lui qui a la propriété de l’ensemble du code (et pas seulement d’une partie). C’est, hélas, une clause qui est souvent oubliée faute d’anticipation des difficultés, surtout lorsque les relations entre l’éditeur et son client sont excellentes.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Prévoir, au niveau contractuel, le transfert de propriété intellectuelle, en cas de développements spécifiques.
  2. Vérifier les compétences de l’intégrateur, surtout si celui-ci est fortement suggéré, voire imposé, par l’éditeur.
  3. Anticiper les difficultés, par exemple en cas d’arrêt de commercialisation et de maintenance de la solution. Un plan B, chiffré, est toujours utile.

La stratégie de l’avocat

Cette stratégie se traduit par une complexification, justifiée ou non, des clauses contractuelles. Pour cela, plusieurs techniques sont utilisables :

  • Allonger la taille du contrat : il est plus difficile de se plonger dans un document de plusieurs dizaines, voire centaines de pages, que dans un document plus léger.
  • Jouer sur le jargon juridique, de sorte que le client ne peut comprendre ce qu’il signe qu’en faisant appel à un juriste. Pour une PME, c’est plus difficile et coûteux.
  • Renvoyer à des conditions générales sous forme d’une adresse URL intégrée dans le contrat de licence : l’astuce consiste, sans changer le contrat initial, à modifier les conditions générales sur le site Web. C’est une technique très prisée par les éditeurs d’ERP pour verrouiller leurs clients.
  • Multiplier les avenants, afin que l’on ne sache plus quel document est à jour.
  • Proposer un seul contrat concernant plusieurs solutions : vouloir abandonner l’une d’entre elles et en conserver d’autres devient un casse-tête et la remise en cause du contrat global conduit à une renégociation pas toujours favorable au client, même si tout est question de rapport de forces et de capacité de négociation entre les parties.

Par ailleurs, l’éditeur aura tendance à refuser les contrats-cadre, par exemple avec des entreprises multinationales, car cela le contraint dans sa politique commerciale : il est préférable, pour l’éditeur, de conserver sa liberté de démarcher chaque entité séparément sans que s’appliquent des conditions, par définition plus favorables au client, négociées pour les achats au niveau mondial ou pour un ensemble de filiales.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Consulter systématiquement des avocats spécialisés en droit des nouvelles technologies à chaque changement contractuel. Les éditeurs n’aiment pas que les professionnels du droit se mêlent de leurs affaires…
  2. Refuser tout changement qui ne correspond pas à une demande expresse et exiger des justifications de la part de l’éditeur.
  3. Imposer des contrats-cadre, lorsque cela est possible et pertinent, de manière à verrouiller une partie de la marge de manœuvre du fournisseur en matière contractuelle.

La stratégie des paillettes

Il s’agit de créer une situation dans laquelle le client (le DSI ou ses collaborateurs stratégiques pour l’éditeur) est redevable, mais de manière douce. Par exemple, avec des invitations à des soirées prestigieuses, des événements sportifs, des spectacles ou des dîners dans les plus grands restaurants, sous couvert, bien sûr, d’une caution comme un cabinet d’analyste ou un site Web IT qui en a fait son fonds de commerce. Vu le nombre d’événements, de soirées, de dîners et de voyages outre-Atlantique (pour la bonne cause : visiter les labos de R&D) proposés par les éditeurs, cette approche est très courante… et très prisée par certains DSI !

Trois idées pour s’en sortir

  1. Interdire aux équipes de la DSI de répondre favorablement aux invitations des éditeurs sans autorisation du DSI, qui doit, bien sûr, montrer l’exemple.
  2. Privilégier les événements qui amènent du contenu utile, ce qui exclut de fait 90 % d’entre eux.
  3. Effectuer un calcul simple, si une certaine liberté est accordée aux équipes : temps passé chez les fournisseurs x coût salarial moyen par personne, à mettre en regard du bénéfice pour l’entreprise.

La stratégie de la montre

Elle consiste à faire traîner en longueur dès qu’une décision doit être prise. Pour un éditeur qui pressent que son client va remettre en cause la relation commerciale de façon plus ou moins irréversible, chaque mois, voire chaque semaine, gagnée peut être considéré comme une victoire. Pour cela, tous les prétextes sont bons : agendas surchargés, personnes indisponibles, documents introuvables, autorisations nécessaires, déclenchement d’un audit de licences. À noter que cette stratégie peut aussi être utilisée par les DSI, pour des éditeurs trop agressifs commercialement ou qui multiplient les audits de licences sans justification autre que commerciale (cas le plus fréquent, en particulier chez les éditeurs d’ERP).

Trois idées pour s’en sortir

  1. Fixer des délais de réponse lorsque des questions sont posées à l’éditeur, à défaut le silence de celui-ci vaut acceptation (à préciser au niveau contractuel).
  2. Ne pas hésiter à « escalader » hiérarchiquement en cas de mauvaise volonté des commerciaux, des consultants ou des managers de comptes.
  3. Pousser l’éditeur à s’engager et… tout écrire dans les comptes rendus !

La stratégie du ping-pong

Elle se traduit par le rejet des responsabilités sur un tiers. En cas de problème, par exemple de performance ou de qualité, l’éditeur accusera les équipes de la DSI de ne pas avoir accompli tout ce qu’elles devaient faire pour informer ou remédier à la situation. L’idéal est lorsqu’un intégrateur est dans la boucle. Le rejet des responsabilités est plus complexe à démêler et la situation floue dure plus longtemps.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Définir les responsabilités entre l’éditeur, l’intégrateur et l’entreprise.
  2. Documenter tout le cycle de vie d’application.
  3. Responsabiliser, si besoin, les DG des éditeurs et des intégrateurs sur leurs obligations (contractuelles, opérationnelles, commer­ciales…).

La stratégie de la guerre froide

Elle est complémentaire de la précédente et consiste pour un éditeur, dès lors qu’un intégrateur est intervenu, à s’allier avec son client, pour faire bloc contre l’intégrateur, qui se trouvera engagé dans un combat inégal à un contre deux. Le « bon » éditeur contre le « méchant » intégrateur fonctionne souvent, car c’est dans la gestion de projet que les risques de dérapages sont les plus fréquents lorsque la qualité de la solution logicielle n’est pas en cause.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Déceler les signes qui montrent des divergences entre l’éditeur et l’intégrateur.
  2. Ne pas se contenter d’un seul discours : une confrontation/concertation des parties s’impose.
  3. Rechercher une « sortie par le haut » pour limiter les risques sur le système d’information.

La stratégie de Yalta

C’est le pendant de la stratégie de la guerre froide : elle consiste, pour un éditeur, à s’allier avec l’intégrateur contre le client. L’objectif est de continuer à se partager le gâteau, surtout s’il est gros, rentable et difficile à découper. Cette alliance est facilitée par le fait que les intégrateurs sont, eux aussi, très dépendants des éditeurs, qu’il ne faut pas fâcher sous peine de voir le volume d’affaires diminuer, voire une rupture des partenariats.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Déceler les signes qui montrent des collusions entre l’éditeur et l’intégrateur.
  2. Conserver toutes les traces des engagements et des actions.
  3. Les prendre à leur propre piège en s’alliant avec l’un ou l’autre, en fonction du contexte.

La stratégie de la souricière

Les éditeurs adorent faire témoigner leurs clients et c’est effectivement une bonne approche commerciale pour séduire des prospects. Le plus souvent, bien sûr, tout se passe pour le mieux : l’éditeur a de la matière pour communiquer, le DSI qui témoigne obtient quelques contreparties. Mais en cas de conflit, il sera plus difficile, pour le DSI, de justifier, par exemple devant ses clients internes (les métiers) ou sa direction générale, sa volonté de se séparer de l’éditeur alors que, par ailleurs, il a témoigné de la qualité de la solution qu’il a mise en place. Le principe selon lequel « tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous » s’applique… Et, lorsque la relation commerciale est terminée, rien n’empêche l’éditeur de conserver sur son site Web le témoignage de son ex-client, ni les commerciaux avant-vente de distribuer le texte du témoignage. Et si le retour d’expérience a été publié par un site Web spécialisé, l’information restera en ligne sans que le client ne puisse rien faire.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Valider systématiquement tous les propos que l’éditeur va diffuser, y compris ce qui ne constitue pas des citations (l’éditeur peut être tenté d’en rajouter).
  2. Préciser une date de validité des témoignages (éventuellement renouvelable).
  3. Rester factuel dans les témoignages, éviter les propos trop élogieux à l’égard de l’éditeur.

La stratégie du fouet

L’une des armes à la disposition des éditeurs concerne leur capacité (et leur droit, bien sûr) à pratiquer des audits de licences. Les grands éditeurs ont transformé ce droit légitime, de vérifier si ce qu’ils ont vendu est utilisé par leurs clients conformément au contrat signé, en outil commercial pour faire plier les DSI récalcitrants.

Les grands éditeurs d’ERP, toujours eux, ne se privent pas d’abuser de cette approche, de même que les éditeurs plus petits mais en perte de vitesse sur leur marché, ce qui leur permet, à défaut de vendre des licences, de récupérer des dédommagements plus ou moins justifiés. Dès que des signes montrent que le client envisage de quitter son éditeur ou de remettre en cause certaines dispositions, l’éditeur peut déclencher un audit de licences, histoire de montrer sa puissance.

Heureusement, les DSI sont de mieux en mieux armés, eux aussi, pour contrer cette tactique. C’est par exemple ce que font l’USF (association des utilisateurs SAP francophones) et le Cigref, qui ont travaillé sur une série de recommandations à l’usage des entreprises victimes de ces pratiques dont l’esprit a été dévoyé.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Se documenter sur les stratégies à adopter face aux audits de licences (site Best Practices, livres blancs de l’USF et
    du Cigref…).
  2. S’informer auprès d’autres DSI sur leurs retours d’expérience.
  3. Se faire accompagner par des avocats spécialisés, les éditeurs ne vont quasiment jamais devant les tribunaux (car les audits sont avant tout des stratégies commerciales et pas juridiques), ils reculent dès que le client montre sa détermination.

La stratégie de l’omerta

Elle consiste à nier les faits ou à plaider l’ignorance des problèmes à l’origine de la remise en cause de la relation commerciale. Si l’éditeur risque de se retrouver sur la sellette, ce n’est pas son intérêt de fournir trop d’informations à son client. Si les faits sont avérés, l’éditeur aura intérêt à ne rien dire, ou juste le nécessaire. Il lui faudra simplement répondre aux questions posées en gagnant le plus de temps possible.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Conserver tous les documents qui concernent le cycle de vie de la relation commerciale.
  2. Insister tant que l’éditeur ne répond pas aux questions posées.
  3. Impliquer la direction générale de l’éditeur pour la placer devant ses responsabilités.

La stratégie du thermomètre

Pour éviter que des difficultés ne soient visibles, l’une des tactiques consiste à modifier, le plus discrètement possible, les modes de mesure ou d’en introduire de nouveaux, plus favorables à l’éditeur, ou plus incompréhensibles pour le client. C’est notamment pertinent pour l’évaluation des performances d’une solution logicielle, par exemple en mode SaaS.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Interdire la modification unilatérale des indicateurs de performance.
  2. Définir dès la phase contractuelle les éléments pris en compte.
  3. Refuser toute référence à des indicateurs définis via une URL.

La stratégie du père Noël

Là encore, l’éditeur n’hésitera pas à faire des cadeaux à son client, sous forme de licences gratuites, ou pire, sous forme de licences dites « Open Bar » : le principe est de mettre à disposition des utilisateurs toutes les applications proposées par l’éditeur. Ceux-ci, par facilité, peuvent se servir sans avoir à acheter au cas par cas et faire valider des bons de commande en plusieurs exemplaires, la facture étant régularisée en fonction de la consommation des produits.

Cette approche, au-delà de vouloir faciliter la vie des utilisateurs et des DSI, recèle un double piège : d’abord, cela donne l’illusion de la gratuité, mais, en réalité, alourdit la facture en poussant à la consommation. Ensuite, lorsque de nombreux utilisateurs se sont approprié les solutions, il est difficile de revenir en arrière : il faut alors payer les licences et la maintenance associée, pour des solutions ou des briques logicielles dont les DSI ne connaissent pas l’usage qui en est fait, voire en découvrent l’existence lorsque l’éditeur leur fournit la liste des utilisateurs… et la facture correspondante (licence + maintenance) !

Pour rester en place le plus longtemps possible, un éditeur a tout intérêt à proposer ce genre de deal avec ses clients : le nombre de ceux qui contrôleront scrupuleusement l’usage sera toujours inférieur au nombre de ceux qui auront été négligents.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Refuser le principe des licences « Open Bar ».
  2. Sensibiliser les équipes de la DSI et les utilisateurs sur les dangers.
  3. Cartographier les usages de toutes les applications et outils utilisés par les équipes de la DSI.

La stratégie de la bactérie

Une entreprise est un organisme vivant. À ce titre, elle a pu être infectée, à l’image des bactéries qui contaminent un corps humain. Pour un éditeur, cela consiste à « infecter » directement les métiers, en contournant les DSI. Avec des offres en mode SaaS, c’est relativement facile et, souvent, ce sont les métiers qui en redemandent. Il est alors difficile, pour un DSI, de remettre en cause la position d’un éditeur qui a su conquérir des alliés dans toute l’organisation : même s’il perd sur des solutions en mode On Premise, il se rattrapera sur les solutions en mode SaaS, l’essentiel étant de rester dans la place.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Favoriser une communication régulière et transparente avec les métiers.
  2. Participer, si possible, aux comités de direction pour être informé très en amont des projets et des investissements prévus.
  3. Initier une charte des investissements IT directement pilotés par les métiers (pour les relations fournisseurs, la maintenance, l’intégration des données…), à défaut de les interdire.

La stratégie du retour vers le passé

Cette stratégie consiste à intégrer le plus de briques et de composants propriétaires dans ses solutions. C’est le fondement historique de l’industrie des technologies de l’information, avant que l’Open Source, les standards d’interopérabilité et les API ne viennent bousculer la donne. L’efficacité de cette tactique est plus élevée pour des éditeurs qui sont sur une niche de marché, avec des solutions pour lesquelles il n’existe que peu d’alternatives crédibles.

Trois idées pour s’en sortir

  1. Analyser régulièrement la roadmap des éditeurs.
  2. Étudier les solutions alternatives (par exemple en Open Source).
  3. Envisager de changer d’éditeur pour en choisir un qui va dans le sens de l’histoire…

Lire également : Comment se débarrasser des consultants qui s’incrustent.

 


Les dix raisons de quitter son éditeur

  1. Les solutions sont obsolètes et ne sont plus à l’état de l’art.
  2. Les relations commerciales se sont dégradées.
  3. Le coût de la maintenance devient trop élevé.
  4. Les utilisateurs ne sont pas satisfaits.
  5. La solution comporte des bugs non ou mal corrigés.
  6. La roadmap de l’éditeur est inexistante ou trop floue.
  7. Les fonctionnalités utiles ne sont pas intégrées.
  8. L’éditeur a été racheté.
  9. Les commerciaux et les consultants de l’éditeur n’ont plus les bonnes compétences.
  10. Des problèmes « politiques » viennent perturber la relation client-fournisseur.

Source : Digitalonomics.