Contrat-cadre avec les éditeurs : est-ce une bonne idée ?

Signer un contrat-cadre avec un éditeur de logiciels, notamment au niveau mondial, peut paraître à première vue intéressant financièrement. Encore faut-il exercer un contrôle vigilant sur son application. En matière de relations avec les éditeurs de logiciels, il peut être utile de signer un contrat-cadre qui a vocation à couvrir un périmètre géographique élargi.

Pour une entreprise multinationale, c’est l’opportunité de bénéficier de conditions plus avantageuses sur le coût des licences et de simplifier les relations contractuelles avec l’éditeur. Pour ce dernier, c’est l’opportunité d’accroître ses ventes et de fidéliser son client. Si, sur le papier, une telle approche paraît attrayante, il convient de connaître les risques inhérents. On peut en mentionner trois pour l’entreprise, en fonction du cycle de vie du contrat : une mauvaise formulation des clauses du contrat au profit de l’éditeur, un contrôle déficient sur le comportement des parties prenantes et des conditions de sortie trop restrictives.

La formulation des clauses contractuelles. Dans un contrat-cadre, l’une des tentations des éditeurs va être d’obliger leurs clients à s’engager, en contrepartie de remises substantielles, à équiper toutes les filiales des solutions concernées par le contrat-cadre. C’est le principe de la garantie de « porte-fort », mécanisme selon lequel une entité s’engage au profit d’une autre à ce qu’une troisième, non signataire du contrat qui lie les deux autres parties, exécute un engagement.

Ce principe s’applique aux relations tripartites entre généralement une entité holding (ou société mère), un éditeur et des filiales, la première s’engageant auprès du second à ce que les troisièmes se conforment aux dispositions contractuelles qu’elles n’ont pourtant pas ratifié directement. « Si une filiale viole les dispositions, c’est le signataire du contrat-cadre qui peut être sanctionné », confirme François-Pierre Lani, avocat associé au cabinet Derriennic.

Il convient donc d’éviter que ce genre de clause soit intégrée dans un contrat-cadre. « Un contrat n’engage que celui qui le signe, les filiales ne doivent pas être obligées d’y souscrire », précise François-Pierre Lani, qui rappelle que les clauses trop contraignante et qui portent atteinte à l’autonomie juridique desdites filiales « peuvent être contestées pour atteinte à la libre concurrence si elles empêchent les sociétés appartenant à un groupe de bénéficier de réduction plus importantes ; la remise en cause peut être parfaitement légitime. »

Le contournement par les filiales. Dans un contrat-cadre à vocation mondiale, l’entreprise cliente va avoir à gérer les problèmes politiques de l’éditeur avec ses filiales et/ou partenaires exclusifs sur une zone donnée. En particulier pour la reconnaissance du chiffre d’affaires dans un pays plutôt que dans tel autre. Compte tenu des enjeux financiers (plusieurs millions, voire dizaines de millions d’euros) de tels contrats, la rivalité entre les commerciaux de l’éditeur voire avec ceux des partenaires locaux va s’exacerber.

Par exemple, dans le cas d’une grande entreprise française, un contrat-cadre avec un éditeur d’ERP a été signé et couvre toutes les filiales dans le monde, avec la reconnaissance du revenu pour la filiale française de l’éditeur. Cependant, les commerciaux de la filiale américaine de l’éditeur vont proposer une remise encore plus importante à la filiale locale de l’entreprise, de manière à capter une partie du chiffre d’affaires. Comment les équipes locales de la filiale de la maison mère cliente peuvent-elles résister à des offres plus qu’alléchantes ?

On perçoit ici l’importance des mécanismes de gouvernance des relations avec les fournisseurs. Un défaut de gouvernance aboutit au quasi anéantissement du contrat-cadre qui ne servira à rien, si certaines filiales n’en tiennent pas compte et achètent des licences au niveau local. Non seulement il sera inutile, mais il peut être financièrement coûteux : « Les éditeurs prévoient, dans les contrats-cadre, la remise en cause des rabais accordés si les objectifs ne sont pas remplis », précise François-Pierre Lani. Et si la garantie de « porte-fort » est stipulée dans le contrat, l’entreprise sera perdante…

Des conditions de sortie trop restrictives ou trop floues. Il faut également vérifier les conditions de sortie d’un contrat-cadre. « Si les conditions de sortie ne sont pas respectées, l’éditeur peut exercer un recours contre son client, soit sur le terrain de la contrefaçon même si les licences ont été payées », prévient François-Pierre Lani. Ce dernier précise cependant que « les action en contrefaçon pour utilisation de licence après la fin d’un contrat de licence sont de plus en plus ténues car le juge européen est venu consacrer le principe de la vente d’une licence, ce qui empêche tout recours de l’éditeur une fois la licence achetée ». Il convient d’envisager la revente des licences d’occasion. Plus généralement, c’est la pertinence de signer un contrat-cadre qui doit être évaluée, en fonction de cinq critères :

  1. le gain financier sur les achats de licences par rapport à l’effort à produire pour gérer le contrat-cadre au niveau mondial sur le plan juridique,
  2. la meilleure cohérence du parc de versions logicielles par rapport à l’adaptation aux besoins locaux,
  3. la difficulté de gérer les montées de versions et les migrations par rapport au gain financier initial sur le coût des licences. Certains grands éditeurs ne se privent pas d’accroître, de manière significative, leurs tarifs de maintenance de manière unilatérale. C’est par exemple le cas de SAP qui envisage d’augmenter le tarif de maintenance pour les grandes entreprises (actuellement de 17 % du coût des licences) et de ne plus garantir un taux bloqué, selon l’USF (Association des utilisateurs SAP francophones),
  4. les rapports de force entre l’éditeur et son client : il faut être certain que la relation ne sera pas déséquilibrée en faveur de l’éditeur, par exemple pour la revente de licences d’occasion (lire page 7). Rappelons que les éditeurs ne peuvent plus empêcher la revente par le client des licences acquissent dans un contrat-cadre ou d’un simple contrat de licence,
  5. le degré de centralisation du système d’information : une organisation très décentralisée ne plaide pas forcément en faveur d’un contrat-cadre.