Contrats : la clause de réversibilité passe au tribunal !

Récupérer ses données, est-ce suffisant ? Une jurisprudence récente nous rappelle l’importance de la rédaction précise des contrats en matière de réversibilité. Le prestataire voit sa responsabilité engagée pour ne pas avoir alerté son client des difficultés d’exploitation. Il faut donc être très vigilant dans la rédaction des clauses concernant la réversibilité des données.

Une entreprise confie à une société externalisée, utilisant le logiciel de paie PEGASE, le traitement des salaires et déclarations sociales. Après la fin des relations contractuelles, le client choisit un nouveau cabinet de gestion utilisant le même logiciel et demande à son prestataire initial le transfert de toutes ses données en application de la clause de réversibilité du contrat.

Le contrat prévoyait dans une clause lacunaire de « Propriété des données » que « Les informations contenues dans la base de données restent la propriété de votre entreprise qui pourra, dans le cas d’une rupture de contrat conforme à nos engagements contractuels, récupérer les données contenues dans nos systèmes par voie de réversibilité ».

Estimant que son prestataire n’a que partiellement livré les données, le client saisit le juge des référés, afin d’obtenir la désignation d’un expert en informatique chargé d’évaluer l’incidence de ce manquement. Après dépôt du rapport d’expertise, le client assigne son prestataire devant le tribunal de commerce.

Obtenant satisfaction mais pour un montant (10 000euros) inférieur à celui réclamé (66 000 euros), le client interjette appel. Il reproche à la société de paie d’avoir fait obstacle à la transmission complète des données de paramétrage du logiciel au nouveau prestataire, empêchant une reprise en continu de la gestion des payes et entraînant une perte de l’historique.

La société de paie estime avoir procédé à un transfert intégral des données sociales du client et considère que le nouveau prestataire n’a pas établi la liaison par la réintégration des données. Elle explique qu’il lui était impossible, pour des raisons de confidentialité, de communiquer son propre paramétrage des rubriques, l’enrichissement de la « société de référence » fournie par l’éditeur du logiciel relevant de chacun des cabinets de gestion.

L’avis technique de l’expert judiciaire

Dans son rapport, l’expert judiciaire confirme que, sur un plan technique, la « société de référence » permet de faire le lien entre les codifications normalisées des rubriques comptables et celles des fiches de paie que chaque société comptable choisit. Ainsi, si les données du client sont transmises d’un cabinet de gestion à un autre, sans communication de ce lien, les données ne sont alors que partiellement exploitables par le nouveau prestataire.

Cette constatation rejoint la documentation technique du logiciel : il contient une « société de référence » pauvre, qu’il appartient à chaque client d’enrichir ; en cas de transmission de celle-ci, l’ensemble de son paramétrage le serait, en ce compris les données qui ne sont pas la propriété du client, lequel bénéficierait alors du travail du cabinet de gestion et le client aurait accès à des données confidentielles. Par conséquent, cet élément, purement informatique, rendait impossible le transfert de la « société de référence ».

Le rapport d’expertise a fixé comme seule solution envisageable, compatible avec les droits de propriété respectifs des parties sur leurs propres données, le paramétrage préconisé par l’expert.

L’avis des juges sur la responsabilité

Pour la cour, le litige se résume à savoir si « les données contenues » dans le système de la société de paie (selon les termes du contrat) doivent être entendues comme comprenant le paramétrage des rubriques, nécessaire à un nouveau prestataire pour lier les informations afin qu’elles soient restituées à l’identique, ou si elles se résument aux données purement comptables et sociales du client.

En raison de sa rédaction imprécise, la clause insérée par le prestataire dans le contrat n’était pas de nature à garantir la réversibilité de données justes, intègres et exploitables en l’état. Par cette seule mention contractuelle, le client ne pouvait être alerté des difficultés qui apparaîtraient lors de l’exploitation des données récupérées à l’issue du contrat lors du transfert de la prestation de gestion à un autre opérateur.

Si les juges entendent les motifs techniques et de confidentialité qui empêchaient de transmettre les éléments, force est de constater que le prestataire a failli à l’engagement pris dans la clause, rédigée sans opérer cette précision, en restituant au client des données partiellement inexploitables en l’état. Sa responsabilité contractuelle se trouve dès lors engagée.

L’avis des juges sur le préjudice allégué

Le client fait état d’une désorganisation de la société se traduisant notamment par des bilans comptables faussés, des contrôles rendus systématiques, un risque d’exposition aux redressements, ou encore l’embauche d’un salarié pour répondre au surplus de travail. Dès lors, il considère que son préjudice ne saurait être réduit au seul coût du paramétrage du logiciel induit par le transfert de données.

Si la désorganisation des services administratifs et comptables du client est avérée, le préjudice avancé par le client ne peut être admis en ce qu’il se heurte non pas à un manquement du prestataire à son obligation de transfert de la société de référence, impossible d’un point de vue tant technique que juridique, mais à un défaut d’information et de conseil du client, lors de la conclusion du contrat, sur les méthodes à employer pour réintégrer les données restituées dans un environnement informatique permettant leur exploitation, sans dégradation de ces informations, c’est-à-dire paramétrer dans sa propre société de référence les données transmises.

La cour retient de ce fait comme préjudice celui résultant du coût de ce nécessaire paramétrage (en l’occurrence 2 500 euros, montant préconisé par l’expert).

Ainsi, il convient d’être extrêmement vigilant sur la rédaction des clauses de réversibilité, récupérer ses données est nécessaire, encore faut-il savoir quelles données précisément ! Seront-elles exploitables, comment les réintégrer ? Une clause vague pourra certes être interprétée à l’encontre du prestataire, mais la solution judiciaire semble peu adaptée aux difficultés opérationnelles que vous aurez rencontrées.

A propos de l’auteur

François-Pierre Lani est un spécialiste reconnu en droit de l’informatique et des technologies nouvelles, il apporte personnellement toute son expérience et son savoir-faire dans les dossiers les plus complexes du domaine des nouvelles technologies. Il a été pendant plus de dix ans juriste et directeur juridique au sein de différentes directions juridiques dont celles d’acteurs majeurs. Son expérience au sein d’entreprises significatives, ainsi que ses fonctions de « business development manager » sont un véritable atout pour l’accompagnement des dirigeants dans leurs différentes décisions, leurs opérations de fusions/acquisitions mais également dans leur déroulement de leur propre carrière.

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