Data : une évolution ? Non, une révolution

L’explosion des données en volumétrie est exponentielle : la quantité totale de données créées, capturées, copiées et consommées dans le monde a atteint 64,2 zettaoctets en 2020 et devrait dépasser 180 zettaoctets en 2025.

La politique de la donnée est le sujet stratégique par excellence pour chaque entreprise, quel que soit son secteur. Quels sont les usages et quelle stratégie privilégier pour les données ? C’est l’objectif de cet ouvrage qui décode les enjeux autour de l’utilisation efficace des données en termes de stratégie, d’organisation et d’aide à la décision. Il explore également l’un des domaines les plus impactés, celui de la relation client.

Des ruptures historiques

Dans sa préface, Pierre Barnabé, vice-président d’Atos, rappelle les quatre ruptures historiques dans le domaine de la data. La première est le passage du papier au numérique, avec la capacité de transférer n’importe quelle information d’un support physique sur un support informatique. La deuxième rupture concerne l’accès universel à l’information, qui a débuté dans le secteur du divertissement (musique, vidéos, photos) et s’est poursuivi avec la montée en puissance des plateformes.

« Et ce fut le tour des activités de services, bouleversées par la désintermédiation. Cette capacité à directement mettre en rapport un vendeur et un acheteur, rendant obsolètes tous ceux qui développaient l’expertise d’identifier offre ou demande, d’en organiser la transaction, de vendre une expertise ou un conseil… » Une tendance qui concerne également les secteurs des services et l’industrie.

La troisième rupture est celle de l’attention : « Dans le cyberespace, « si c’est gratuit, tu es le produit ». Comme la pomme-de-terre ou l’or des Incas, deux ressources sont apparues, au potentiel inattendu : nos données et notre temps. Nos données sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus précises ».

Enfin, une quatrième rupture caractérise l’irruption du monde digital dans le monde physique. « Les années 2010 furent celles des données, leur croissance astronomique grâce au big data et aux algorithmes d’analyse. Notre décennie sera celle des objets. Intelligents, connectés, autonomes. »

Les auteurs abordent la thématique en trois parties :

  • Les politiques d’entreprise liées aux données : méthodes d’analyse, gouvernance et gestion des données, management des projets data, intelligence artificielle, qualité des données ou rôle du manager face à ces enjeux.
  • La dimension business, notamment l’usage des données pour une meilleure connaissance client : la relation client, le service client ou bien encore la partie commerciale.
  • Des cas d’usages concrets dans des secteurs variés (banque, luxe, santé, transport) ou diverses fonctions de l’entreprise (stratégie, géopolitique, direction financière). Les différents chapitres apportent des éclairages tant conceptuels que pratiques, des méthodologies et des études de cas, avec aussi de nombreux témoignages de praticiens de la donnée. Plusieurs chapitres évoquent les erreurs et les « plantages » autour des projets liés aux données, ce qui montre aussi que cet état de l’art est bel et bien en construction.

Des risques d’échec très présents

Les auteurs rappellent d’ailleurs les principales causes d’échec, qui concerneraient environ 80 % des projets :

– L’incapacité à identifier la cause réelle d’une difficulté quand elle se présente dans le déroulé du projet.

– La place de l’équipe data au sein de l’entreprise : aux prises avec les enjeux de pouvoir, celle-ci n’est pas en mesure de délivrer la valeur attendue.

– Les fantasmes qui entourent la data : un homme providentiel ne peut relever tous les défis et n’attendez pas de ROI immédiat de vos projets data.

– L’entreprise n’est pas prête : la greffe de la data ne prend pas sur tous les environnements. Elle nécessite un certain degré de maturité.

– La stratégie data : il ne doit pas y avoir de stratégie data, mais « une feuille de route data qui découle de la stratégie d’entreprise et la nourrit en retour. »

– La compliance et la sécurité des données : l’environnement réglementaire est de plus en plus contraignant et incertain.

– La qualité des données : un sujet malheureusement bien souvent sous-estimé qui mérite une attention particulière.

– Les Gafam : parce qu’en matière de solutions data, « ils sont omniprésents, il importe de bien mesurer vos choix au prisme de vos enjeux de concurrence. »

– Les choix techniques sont impliquants : même si la technologie évolue rapidement, n’oubliez pas qu’il importe avant tout de choisir ce qui correspond le mieux à vos besoins.

– La data, tout le monde en parle… « mais il serait temps que tout le monde au sein de l’entreprise s’accorde sur ce qu’est la réalité derrière le concept. »

Une étude du MIT avait identifié cinq catégories principales d’erreurs : la confusion du problème et de la solution, des biais non identifiés, une bonne solution mais un mauvais timing, un bon outil mais un mauvais utilisateur, un problème de finalisation du projet.

Pour les auteurs, « les occasions de faire trébucher des projets data sont variées. Réussir ses projets data est d’autant plus important que les sociétés data driven, dont l’ensemble des actions et décisions reposent sur des faits mesurés et non sur des intuitions purement subjectives, ont deux fois plus de chances de dépasser leurs objectifs business que celles qui ne le sont pas », notent les auteurs.

La data centricity pour gagner en performance

Les entreprises auraient donc intérêt à privilégier la « Data Centricity », définie comme « une orientation stratégique et du “business model” valorisant la donnée et partant de cette dernière pour envisager les mécanismes de prise de décision et de création de valeur. » On peut d’ailleurs distinguer les entreprises data driven et les entreprises data centric. Les premières « approchent les data dans le principal objectif d’améliorer la prise de décision. Dans ces entreprises, l’effort portera davantage sur la construction d’outils, d’expertise et de culture en lien avec la data. » Dans le modèle data centric, « le point de départ est la data elle-même comme actif primordial, et la contextualisation de l’application est davantage reléguée au second niveau. »

Révolution de la donnée, les data, ressources du XXIème siècle, ouvrage collectif sous la direction de Jean-Michel Huet (BearingPoint) et de Florence Dugas (Talan Consulting), Ed. Pearson, 2022, 352 pages.


Quelques idées à retenir

– La donnée en soi n’est qu’un élément de base. Ce qui compte avant tout c’est ce que l’entreprise en fait, l’un des domaines les plus impactés est celui de la relation client.

– L’accès aux données d’entreprises et surtout de personnes reste une grande question avec, en arrière-plan, l’enjeu de la régulation.

– Quatre domaines techniques rendent l’exploitation informatique des données accessible à pratiquement toutes les organisations, quelle que soit leur taille : les technologies de dématérialisation, de stockage, de calcul et le cloud.

– Les technologies de valorisation des données deviennent incontournables pour les organisations et peuvent être sources d’avantages concurrentiels, d’innovation et d’un véritable leadership sectoriel ou international.

– La mise en œuvre d’une stratégie de management des données ne nécessite pas forcément d’outils spécifiques au démarrage : la connaissance fonctionnelle des utilisateurs métiers peut être collectée dans des documents Word.

– La profusion des données que le phénomène technologique génère via la transformation digitale, entre autres, remet la connaissance au centre des priorités.

– La gouvernance des données revêt une connotation liée à la maîtrise et à la compréhension commune et partagée des données, à la nature des décisions à prendre, ainsi qu’à la partie en charge de les prendre, pour s’assurer d’un management et d’une utilisation des ressources efficaces pour la création de valeur.

– Pour réussir, un projet data doit être fortement ancré dans les réalités opérationnelles de l’entreprise. Mieux, il doit venir du business s’il veut pouvoir prétendre répondre à ses enjeux. Cela suppose que l’environnement global de l’entreprise (organisation, processus, outils) soit prêt à accueillir la révolution de la data.

– Parce qu’il n’y a pas d’IA sans data et, demain, une utilité limitée de la data sans IA, la montée en puissance de l’intelligence artificielle touche, sans surprise, toute la gestion du « cycle de vie » de la donnée.

– L’IA est donc porteuse de disruptions fortes et met déjà les entreprises au défi de repenser la gestion de leur capital data. Des écosystèmes à bâtir et des gouvernances adaptées pourraient leur éviter l’engloutissement par des mastodontes mieux armés.

– Lors de la mise en place d’une politique de gestion de la donnée, il est avant tout indispensable de faire un diagnostic de la qualité des données.

– La fiabilité des données ne va jamais de soi.

– Dans un contexte ultra-concurrentiel, la maîtrise de la donnée est un atout important pour gagner des parts de marché, accroître son chiffre d’affaires, faciliter le quotidien des équipes et maximiser son temps. Sans cette approche, il devient difficile de passer d’une prospection de masse à une prospection « sur mesure » où la personnalisation est essentielle.


Les sept étapes pour mener à bien un projet de valorisation des données

  • Métier : les projets doivent être proposés et répondre à des besoins ou des irritants métiers.
  • Alignement stratégique : les projets doivent être parfaitement cohérents par rapport aux priorités stratégiques de l’organisation.
  • Valeur : les projets doivent démontrer leur potentiel de création de valeur économique.
  • Agilité : les projets doivent être menés avec les principes des méthodes agiles, dans la logique de produit minimum viable.
  • Transversalité : les projets doivent intégrer les experts, les équipes technologiques, les métiers et les grandes fonctions centrales régaliennes (RH, finance, communication, etc.).
  • Implémentation : les projets peuvent s’appuyer sur des méthodologies éprouvées (CRISP-DM) pour un déploiement maîtrisé.
  • Changement : la conduite du changement humain est le principal facteur clé de succès des projets « données ».