Datacenters : gérer les risques et l’inflation énergétique

Dématérialisation, transformation digitale, explosion du trafic Internet, perspectives de croissance encore plus forte de l’usage des objets connectés, du cloud, de l’edge computing : toutes ces tendances contribuent à augmenter l’activité des datacenters.

Selon les experts du cabinet Xerfi, les hébergeurs et gestionnaires de datacenters se heurtent à un effet ciseau. « Les coûts s’envolent avec, d’un côté, des investissements de capacités pour répondre à l’hypercroissance de la demande et, de l’autre, la flambée des prix de l’énergie. Les marges sont dès lors sous pression, mettant en péril la pérennité des plus petits acteurs, du moins des plus fragiles », explique Anne Césard, directrice d’études chez Xerfi. L’Hexagone comptera ainsi 210 datacenters neutres installés en 2024 contre 186 en mars 2021.

Dans ce contexte, les revenus des leaders de la colocation bondiront de 20,5 % par an en moyenne d’ici 2024, selon les prévisions de Xerfi. Ils bénéficieront de la forte hausse du marché du cloud d’infrastructure et des besoins des opérateurs télécoms.

La croissance de l’activité des hébergeurs régionaux (+12 % par an d’ici 2024) profitera, elle, notamment du développement de l’edge computing et de la transformation digitale des TPE/PME et des ETI. « Ces opérateurs récolteront également les fruits de leurs efforts pour proposer des offres (y compris cloud) souveraines et sécurisées. Malgré cette excellente dynamique, les performances financières des opérateurs de la filière sont sous pression », souligne Alexis Jouan, chargé d’études chez Xerfi.

Notamment du fait de l’explosion des coûts de l’électricité (les datacenters consomment 10 % de l’électricité produite au niveau mondial), des primes d’assurance et de l’augmentation des charges salariales. De quoi peser sur leurs marges : « C’est d’autant plus vrai qu’ils ne peuvent pas tous répercuter ces hausses de coûts dans leurs tarifs dans les mêmes proportions. Si des leaders de la colocation ont déjà opéré des revalorisations début 2022, les hébergeurs régionaux ne disposent pas de la même latitude en matière de pricing », estime Alexis Jouan.

Résultat, selon Xerfi : le taux d’excédent brut d’exploitation des acteurs tombera à 13,5 % en 2022 (soit 4,3 points de moins qu’en 2020), tandis que le résultat net moyen reculera à 2,7 % (5 % sur la période 2014-2020). « De quoi remettre en question la pérennité des acteurs les plus petits et les plus fragiles », avertit Alexis Jouan.

Un écosystème en reconfiguration

Les usages du cloud d’infrastructure continuent de bouleverser en profondeur les équilibres économiques et concurrentiels de toute la filière IT.  « C’est ainsi que la colocation de détail est en perte de vitesse alors que beaucoup d’acteurs de ce segment ciblent désormais le marché prometteur de l’hyperscale. Dans le même temps, les spécialistes de l’hébergement physique tentent de s’adapter, leur modèle à coûts fixes ayant perdu en compétitivité face à la facturation à la consommation du cloud d’infrastructure », explique Alexis Jouan.

Ces opérateurs s’orientent donc, de plus en plus, vers le cloud. Avec plus de 60 000 m² de surface opérationnelle et 25 900 baies sur le territoire, essentiellement pour des services d’hébergement virtuel (cloud), OVH s’affirme comme le leader de l’hébergement et de la gestion de datacenters dans l’Hexagone. Equinix et Digital Realty occupent, eux, les premières marches du podium de la colocation. Data4 et Global Switch tiennent également de solides positions.

« La plupart des acteurs du secteur sont des hébergeurs régionaux à la tête d’un petit nombre de centres de données. Parvenus à un certain stade de développement, certains d’entre eux (Euclyde Data Centers et Etix Everywhere) ambitionnent à terme de couvrir l’ensemble du territoire », estime Alexis Jouan. Surtout utilisés pour leurs propres besoins (téléphonie, données Internet…), même si certains espaces sont proposés aux clients, des opérateurs télécoms (Orange, Altice, Iliad…) possèdent aussi des datacenters.

L’écosystème élargi comprend également les ingénieristes, des équipementiers, des acteurs du génie électrique et climatique, des fabricants de matériel IT ou même des spécialistes de la maintenance.

Les acteurs du marché privilégient trois stratégies, dans un contexte de tensions sur les coûts, afin de redéfinir leur proposition de valeur, selon Xerfi. D’abord, l’augmentation des capacités d’hébergement, « à l’exemple d’Equinix qui cible les hyperscalers et l’edge computing ou de Data4 qui déploie de nouvelles installations à l’international », illustre Anne Césard.

Ensuite, avec le développement de démarches éco-responsables et l’extension des offres de services (accompagnement des clients, multiplication des interconnexions, intégration de couches logicielles, lancement d’offres cloud). Enfin, « la sécurisation et la certification des datacenters comme les choix opérés par Thésée Datacenter qui parie sur la souveraineté et la sécurité », ajoute Anne Césard.

« La sécurité des infrastructures et des données constitue une priorité des acteurs du secteur, sachant que c’est le premier frein à l’externalisation pour les clients et que le récent incendie du site strasbourgeois d’OVH a ravivé les craintes à ce sujet », confirme Alexis Jouan.

Selon le Global Datacenter Survey 2022 du Uptime Institute, la plupart des pannes dans les datacenters ne posent guère de problèmes : les deux-tiers ont des impacts négligeables ou minimes. Mais, dans 6 % des cas, les conséquences  sont très importantes. La répartition des pannes selon leur degré de gravité n’a quasiment pas bougé depuis 2019.

Leurs causes sont le plus souvent liées aux problèmes d’alimentation en énergie (44 % des cas), devant les réseaux (14 %), les serveurs (13 %) et la climatisation (13 %). En terme de préjudice, une panne sur quatre coûte plus d’un million de dollars à l’entreprise en 2022, contre une sur dix en 2019.