De la maîtrise opérationnelle des processus à la maîtrise des investissements SI

Rencontre avec Pierre Dumas, responsable de l’animation de la démarche processus et du schéma directeur SI chez LCL

BPSI. Comment est née l’approche processus chez LCL ?

Pierre Dumas. Les enjeux récurrents d’une banque, comme pour beaucoup d’entreprises, sont bien sûr d’accroître son activité commerciale et au meilleur coût de revient, mais également, et c’est essentiel, de garantir la plus grande satisfaction du client. Or, nous constatons souvent que plusieurs unités de l’entreprise contribuent à la réalisation d’un service rendu à un client.

En effet, dans les grandes organisations, la complexité, la diversité, les volumes produits ont structuré l’entreprise autour de spécialistes. La commande passée par le client est alors éclatée pour traitement sur ses différents métiers : l’agence, les back-offices, les traitements informatiques, le risque, les services logistiques, les sociétés partenaires externes…

Par exemple, pour un prêt immobilier, entre le client venant solliciter un prêt en agence et le versement de l’argent sur son compte, la banque a mis en œuvre un grand nombre d’actions, appréciation du projet, analyse de risque, calcul du taux, vérification des justificatifs… faisant intervenir des acteurs différents.

Ainsi le processus est une chaîne de valeur transversale partant de la demande du client (externe au sens classique ou interne pour les processus support) et aboutissant à la production d’un résultat. Le pilotage par les processus consiste à analyser cette suite cohérente d’activités d’un même domaine afin de mener les actions nécessaires à l’amélioration de la qualité client, l’optimisation de la rentabilité, l’accroissement de l’efficacité et le contrôle des risques.

Lorsque LCL a lancé son projet d’entreprise Crescendo 2004-2007, le pilotage par les processus a été positionné comme un pilier majeur de transformation. Précisons néanmoins que cette organisation est complémentaire (et non substitutive) à l’organisation classique par directions métiers, qui garde toute ses prérogatives.

Nous avons ainsi nommé, pour chaque domaine, un pilote chargé d’optimiser le processus dans l’ensemble de ses composantes. Dans ses campagnes de publicité, LCL porte un message très fort pour la banque, matérialisé par la signature « LCL s’engage, LCL assume ».

Cet engagement global ne pourrait être obtenu sans une maîtrise parfaite des processus concernés, car nombre d’acteurs de la banque sont impliqués. En effet, dans une organisation classique, chaque direction a tendance à optimiser ses propres activités sans avoir toujours conscience des impacts sur les autres acteurs du processus.

Même si chaque étape du processus est effectuée dans des conditions optimales de qualité, de délais et de coûts, la professionnalisation et les objectifs de performance spécifiques à chacune des unités ne garantissent pas obligatoirement la satisfaction finale du client (l’optimisation globale n’est pas la somme des optimisations locales…).

Le pilote de processus crée ce lien indispensable entre les différents acteurs. Il est responsable du bon fonctionnement et de la performance de bout en bout des processus de son domaine. Il est assisté dans cette fonction par des correspondants des directions métiers ou supports impliquées dans le processus (marketing, métier, contrôle de gestion, risques, DSI…).

BPSI. Cela change-t-il quand même l’organisation et les modes de management ?

Pierre Dumas. Oui, cette transformation a des impacts forts sur le management car elle aboutit à partager des objectifs communs entre managers « structurels » et pilotes de processus, et à s’accorder régulièrement sur l’utilisation des budgets et des ressources des unités.

Par ailleurs, plusieurs directions ont structurellement accompagné cette évolution : ainsi le marketing, le contrôle de gestion, le contrôle interne, l’informatique… se sont réorganisés selon le découpage en processus. Enfin, le périmètre de responsabilité et de missions de la MOA s’est élargi de la maîtrise du SI vers la maîtrise opérationnelle des processus pour devenir la « maîtrise d’ouvrage et processus ».

BPSI. Comment sont désignés les pilotes de processus ?

Pierre Dumas. Nous avons identifié 35 processus (clients et supports) comme par exemple le crédit, l’assurance, la logistique, la monétique, les automates, la banque en ligne, la comptabilité… Il est à noter que l’informatique est un processus comme les autres, avec ses propres actions structurelles et organisationnelles. Ensuite, les directions ont proposé celui ou celle qui pourrait incarner le domaine de processus à l’échelle de LCL. C’est le comité exécutif qui valide in fine ces propositions.

Tous les pilotes de processus exercent cette responsabilité en plus de leurs activités opérationnelles pour lesquelles ils sont souvent déjà positionnés comme n-1 vis-à-vis de la direction générale.

Dans les faits, le consensus est rapidement trouvé car les pilotes émergent de façon naturelle de par leurs positionnements, leurs fonctions, leurs expériences, leurs connaissances, leur charisme… Par exemple, le pilote du processus crédit est le directeur opérationnel des unités en charge des opérations de back-office crédit : tout le monde le reconnaît, de par son parcours, comme le spécialiste du processus dont il a la charge et il s’exprime au nom de la communauté.

Désormais, nous sommes engagés dans Crescendo 2008-2010, dont de nombreux objectifs se déclinent dans les plans d’actions stratégiques processus.

Ceux-ci sont revus annuellement avec une profondeur de 2 à 3 ans. Les actions des plans sont définies en regard des axes stratégiques de l’entreprise, mais aussi des contraintes technologiques, environnementales, humaines et financières. Le comité de direction étudie et arbitre les actions proposées par les pilotes de processus.

BPSI. Concrètement, comment êtes-vous organisés pour gérer ces processus ?

Pierre Dumas. Le premier rôle des pilotes est d’animer des revues de processus, souvent semestrielles, afin de s’assurer de leurs performances, mais également de détecter les anomalies de la chaîne de valeur. Pour cela, le pilote réunit ses correspondants, ils mettent en commun leurs connaissances et mesurent les performances par rapport aux objectifs.

La revue de processus correspond à une vision opérationnelle, à court et moyen terme. Elle vise à mettre en œuvre de petites améliorations, de faire en sorte que « les processus fonctionnent bien » et de mesurer le résultat des mesures prises. Le périmètre concerné peut être tout ou partie du domaine de processus.

Le second rôle, comme nous l’avons déjà évoqué, est l’élaboration du plan stratégique. Il s’agit d’une vision à plus long terme dont les objectifs sont d’identifier les actions à engager en cohérence avec les axes stratégiques de l’entreprise et de disposer d’éléments pour préparer les budgets.

En prenant l’exemple de la DSI, il s’agira d’identifier les obsolescences techniques à venir, de réfléchir sur les opportunités d’urbanisation et d’optimisation du SI en préparation des évolutions métiers, d’optimiser le processus de fabrication, d’anticiper l’impact des nouvelles opportunités IT…

BPSI. Comment s’articule cette approche processus avec la gouvernance du système d’information ?

Pierre Dumas L’objectif principal de la gouvernance du sys­tème d’information est d’accompagner la banque dans l’alignement du développement du SI avec les objectifs généraux de l’entreprise, sous l’aspect tant métiers, système d’information que budgétaire. Pour résumer, la gouvernance des systèmes d’information remplit quatre fonctions principales.

Vis-à-vis du comité de direction générale, il s’agit d’animer l’arbitrage et l’évaluation de la priorité des projets. Ensuite, organiser les décisions de lancement des grands projets systèmes d’information. En troisième lieu, elle fournit une vision globale des investissements informatiques en cours et à venir.

Enfin, la gouvernance des systèmes d’information assiste les pilotes et les responsables des projets dans la promotion et la bonne fin de leurs projets systèmes d’information. Tout au long de l’année, j’accompagne les pilotes de processus dans l’élaboration de leurs plans d’actions stratégiques. Tous les six mois, nous examinons ensemble les actions qu’ils souhaitent initier pour accroître la compétitivité de leur domaine.

Chaque pilote de processus rédige alors un support décrivant un projet : contexte, périmètre, enjeux et objectifs, bénéficiaires, gains, coûts, pistes de solutions et calendrier. Les demandes sont mises en perspective les unes par rapport aux autres grâce à des « niveaux de valeurs référents » : niveau d’engagement pour la banque, maturité, retour sur investissement, contribution à la stratégie…

En complément, il est demandé aux directions fonctionnelles de hiérarchiser les demandes les concernant, tous processus confondus. Un comité d’orientation, dont font partie deux membres de la direction générale, est chargé de pratiquer un premier arbitrage avec les directions métiers.

Ainsi en juin 2008, sur quatre-vingts demandes reçues, soixante ont été éligibles à une présentation à la direction générale, qui in fine en a retenu une quarantaine. Il est important de noter que ce n’est pas la DSI qui présente les projets mais les directions métiers. En effet, le principal n’est pas le projet informatique en tant que tel mais le projet pour la banque : nous sommes dans une « culture du résultat », au-delà d’une seule « culture de la réalisation ».

Précisons que lors de nos arbitrages, nous pratiquons un « surbooking ». En effet, nous savons par expérience que les aléas projets font qu’environ 15 % des ressources prévues ne sont pas consommées. Comme vous le comprenez, nous ne sommes pas dans un schéma directeur rigide à cinq ans, mais dans une gouvernance dynamique qui privilégie par ailleurs les projets à délais courts (douze à dix-huit mois).

BPSI. établissez-vous des bilans des actions engagées ?

Pierre Dumas. Chaque pilote de processus doit démontrer toute la valeur des demandes qu’il présente en s’engageant, dès la phase d’argumentation, sur des indicateurs de résultats. Une fois le projet réalisé et l’activité en rythme de croisière, les pilotes présentent le bilan de leurs projets.

Il ne suffit pas seulement de tenir les délais et les coûts pour réussir, il faut également atteindre les indicateurs cibles fixés : éléments financiers (gains annuels, contribution à la croissance du produit net bancaire…), de réalisation (date de livraison, coût du projet…) et objectifs (croissance de la productivité, diminution des risques, amélioration de la qualité…)

 


Les Best Practices de Pierre Dumas

L’Organisation par Processus :

  • Ne vous engagez pas dans une opération d’organisation par les processus sans que ceux-ci aient été préalablement identifiés, affectés à un responsable et décrits.
  • Le découpage en processus n’est pas figé dans le temps, il peut se transformer en fonction des évolutions internes et de l’environnement externe.
  • Il est nécessaire que la description des processus soit mise à la disposition (par un site intranet par exemple) de tous les acteurs contributifs au processus ou consommant de l’information sur ces processus.
  • Distinguez la revue de processus (vision opérationnelle avec des objectifs d’amélioration des performances) et le plan d’action stratégique (vision à plus long terme avec des objectifs de mise en cohérence par rapport aux axes stratégiques de l’entreprise).

Le Pilote :

  • Le pilote doit s’engager, pour l’ensemble de l’entreprise, à remplir les objectifs de satisfaction client et de création de valeur pour son domaine de processus. Il devra les démontrer en s’engageant sur des résultats quantifiés.
  • Les pilotes de processus sont des opérationnels reconnus par leurs pairs dans leur domaine et pour leurs qualités personnelles. Ils doivent être nommés par un niveau de gouvernance supérieur de l’entreprise.
  • Le pilote ne représente pas un niveau hiérarchique supplémentaire. C’est un fédérateur d’énergie qui, dans le cadre de ses actions, s’appuie sur des correspondants qui maîtrisent parfaitement le processus dans leurs domaines d’expertises. Son rôle est de coordonner la réflexion, de proposer les orientations et les projets d’évolution, de mobiliser les moyens avec l’accord des directions et de diriger la mise en œuvre des décisions prises.

Les sept étapes d’une approche processus

  • Identifier et nommer les processus.
  • Désigner un responsable pour chaque domaine de processus.
  • Décrire les processus.
  • Engager une démarche participative pour le pilotage.
  • Définir les indicateurs de mesure des performances.
  • Analyser périodiquement le processus (revues).
  • Développer et mettre en œuvre les plans d’actions stratégiques.