De l’architecture d’entreprise à l’architecture métier

Le métier d’architecte d’entreprise gagne en visibilité mais aussi en maturité. Et s’oriente de plus en plus vers des problématiques métiers. Mais le chemin semble long…

Une enquête du cabinet Forrester réalisée en octobre 2009 conclut que les architectes d’entreprise bénéficient certes d’un soutien de leur management, mais « qu’ils souffrent encore d’un déficit de reconnaissance de la part des directions métiers ».

Toutefois, poursuit Forrester, « une nouvelle génération d’architectes est en train d’émerger, impliquée dans les objectifs stratégiques de l’entreprise, particulièrement en France ». Pour Henry Peyret, analyste chez Forrester, « les architectes français ont pris de l’avance sur le terrain de la Business Architecture (architecture métier) puisque 50 % d’entre eux déclarent avoir commencé à la mettre en œuvre, contre 38 % au niveau mondial ».

Les données collectées par l’Observatoire de l’urbanisme, publié par le Club URBA-EA (qui regroupe 63 grandes entreprises) confirment cette tendance : « Les entreprises françaises deviennent vraiment matures en matière d’architecture d’entreprise, assure Christophe Longépé, président du club.

Désormais, les architectes, qui étaient surtout cantonnés à de l’architecture de projets, participent au pilotage de la transformation de l’entreprise, en rendant compte au management (la DSI ou la DG), en accentuant leur communication auprès des acteurs DSI et métiers et en élaborant des plans d’action d’urbanisation. » De fait, les pratiques de cartographie du système d’information se généralisent, si l’on en croit les résultats de l’Observatoire 2009.

« L’architecture d’entreprise, avec le soutien de la direction générale, permet d’équilibrer au mieux les enjeux de pérennité du système d’information, avec les enjeux de Time to Market », estime Vincent Brenet, Chief Architect chez Bouygues Télécom.

L’opérateur est en train de refondre son infrastructure, opération entamée en 2009 et qui se poursuivra en 2010. « Le système d’information évolue selon deux cycles de temps, précise Vincent Brenet. D’une part, un temps court, ou temps business, de trois mois à un an et, d’autre part, un temps long, celui du renouvellement des composants du système d’information, et qui s’étale de trois à cinq ans. L’une des tâches de l’architecte d’entreprise consiste à synchroniser en permanence ces deux cycles, souvent en conflits d’intérêts. »

L’opérateur a établi un budget sur trois ans (10 % de l’enveloppe totale des projets) consacré à la simplification du système d’information (vingt domaines métiers, 500 applications en production, 1 000 serveurs de production). Objectifs : nettoyer les systèmes obsolètes ou en doublon et construire des solutions pérennes pour les métiers.

« Ce budget est géré par une maîtrise d’ouvrage SI, sur le même plan que la MOA métier », précise Vincent Brenet. En 2010, les architectes sont attendus « aux côtés des directeurs de projet afin de faciliter l’usage du référentiel d’AE et l’enrichir au fil de l’eau », assure éric Boulay, PDG d’Arismore et représentant de l’Architecture Forum de l’Open Group en France et promoteur du Togaf (The Open Group Architecture Framework), le cadre d’architecture d’entreprise de l’Open Group.

Face à la complexité croissante des systèmes d’information caractérisée, entre autres, par la difficulté et le coût croissants de l’intégration d’un nouveau service, l’architecture d’entreprise favorise une évolution modulaire des SI et organise la transition de SI en silos vers des SI interopérables.

Eric Boulay ajoute : « L’architecture d’entreprise définit cette structure modulaire du SI. En complément de la modélisation descriptive du SI bien connue des urbanistes, un référentiel d’architecture d’entreprise ajoute les règles, les principes et les composants fonctionnels et techniques qui organisent cette modularité et favorisent l’assemblage et l’intégration des sous-systèmes par interopérabilité. »

La construction, si possible collaborative, d’un référentiel passe « par un équilibre entre des initiatives « centralisées » et un enrichissement de ce référentiel au fil des projets et des usages locaux », estime Eric Boulay. Et ce dernier précise : « en s’appuyant sur un référentiel d’architecture d’entreprise commun, les sous-systèmes ainsi représentés seront assemblés pour donner une vision instantanée, à jour et cohérente du système d’information. »

Les évolutions des organisations vers des modèles en réseaux et non plus des modèles matriciels vont encore complexifier la mission des architectes d’entreprise.

Et plus encore avec ce que Forrester appelle le « Smart Computing », quatrième vague technologique qui, après l’informatique centralisée, la micro-informatique, les réseaux, va se caractériser par des connexions multiples, en fonction de règles métiers, entre des « smart devices » et des réseaux plus ou moins intelligents. De quoi susciter des vocations d’architectes (voir article ci-dessous).

L’architecture d’entreprise, une voie d’évolution pour les RSSI

« L’architecture d’entreprise constitue une voie privilégiée d’évolution des responsables de la sécurité des systèmes d’information (RSSI). Les RSSI, parce qu’ils analysent l’ensemble des risques encourus par le SI, sont confrontés à tous les métiers des systèmes d’information, qu’il s’agisse de la gouvernance, des processus métiers, des études, de la production ou du support.

Ils sont, avec les DOSI, les seules personnes dans l’entreprise à avoir une vision transverse des processus, des applications et des infrastructures.

Mais, à l’inverse du monde de la sécurité des systèmes d’information où il faut plutôt gérer beaucoup d’urgences et de multiples projets, le monde de l’architecture d’entreprise nécessite de prendre le temps de la réflexion et de construire une vision à trois – cinq ans. Le métier d’architecte d’entreprise permet donc de prendre du recul ce que, peut-être, les DSI n’ont pas toujours suffisamment le temps de faire.

Le problème, en France, reste que les RSSI sont souvent vus comme des experts et il n’est pas simple de s’extraire de telles représentations. Notre rôle et nos compétences transversales pourraient être davantage mis à profit par les entreprises. Les formations à la sécurité des systèmes d’information contribuent à un tel constat : on les trouve le plus souvent dans les écoles d’ingénieurs et pas dans les écoles de commerce ou les universités de droit sous l’angle Risk Management.

Aujourd’hui, je consacre 50 % de mon temps à la sécurité des systèmes d’information et le reste à l’architecture d’entreprise. J’anime un comité d’architecture d’entreprise et c’est la DOSI qui a pris l’initiative de cette démarche, parce que l’entreprise, engagée dans une période de transformation, en a ressenti le besoin.

Avec, en outre, la complexité liée à la coexistence de systèmes d’information de plusieurs générations, en cours de refonte et des systèmes d’information récents de plus en plus communicants et ouverts vers le monde extérieur.

L’architecture d’entreprise demeure un métier très proche de l’innovation, qui prend toute sa valeur en période de crise, là où il faut se différencier de la concurrence. Il y a vingt ans, responsable de la sécurité des systèmes d’information était un nouveau métier, ce n’est plus le cas aujourd’hui. En revanche, l’architecture d’entreprise est devenue un domaine d’émergence de nouveaux métiers qui sont d’ailleurs beaucoup moins connotés experts que dans le monde de la sécurité et qui offre par conséquent des perspectives d’évolution bien plus vastes. »