Déploiements SAP : où en est-on dix ans après ?

Si les études autour de la mise en place d’un logiciel de gestion intégré SAP abondent, rares sont celles qui abordent les enjeux post-déploiement, en particulier la question de l’appropriation, pourtant stratégique. Il s’agit en effet de donner aux utilisateurs les moyens d’utiliser le PGI dans son plein potentiel, autrement dit d’appliquer les processus de la meilleure façon possible.

Nous publions en exclusivité les principaux enseignements des retours d’expériences de quinze grandes entreprises, interrogées par le cabinet de conseil Advese. Le cabinet de conseil en management et stratégie Advese, qui intervient auprès des directions financières et des directions des systèmes d’information, a choisi d’étudier les pratiques des entreprises dans ce domaine, en lançant fin 2011 une enquête sur l’appropriation du PGI SAP dans les grands comptes.

Pour réaliser cette étude, une quinzaine d’organisations utilisatrices de SAP ont été consultées. Issues de secteurs variés, la plupart d’entre elles ont un chiffre d’affaire qui avoisine ou dépasse le milliard d’euros.

Interrogées sur leurs pratiques en termes d’appropriation, les entreprises décrivent principalement des actions relevant de l’accompagnement au changement. Il s’agit notamment :

  • de communiquer ;
  • de revoir les modes de travail et les processus existants ;
  • de former les utilisateurs à l’outil ;
  • de les former aux nouvelles règles de gestion et aux nouveaux processus métiers ;
  • de s’assurer que les fonctionnalités SAP sont comprises et correctement mises en œuvre par un accompagnement post-démarrage (hotline spécifique, forums, etc.) ;
  • de s’assurer qu’on choisit bien la solution optimale (support à la recette).

La plupart de ces actions sont concentrées sur les phases de démarrage. En exploitation, les priorités deviennent la maîtrise et l’optimisation des applications et les actions d’appropriation font alors la part belle au support.

Généralement, le management est conscient de l’importance de l’appropriation, même si le sujet n’est pas toujours identifié comme tel. En revanche, l’enjeu ne remonte pas toujours au niveau de la direction générale, restant au niveau des directions métiers. Cette perception à géométrie variable de l’appropriation n’est pas sans conséquences. Même quand l’enjeu est bien identifié et le management impliqué, il n’existe pas toujours de stratégie bien définie pour gérer l’appropriation.

Des acteurs dispersés et une organisation floue

Dans les entreprises ayant répondu à l’enquête, les parties prenantes intervenant dans les démarches d’appropriation de SAP sont principalement les directions fonctionnelles et métiers, les utilisateurs et les entités chargées des aspects techniques. Si les rôles de ces différents acteurs sont bien définis dans leurs missions de projet et d’exploitation, ils s’avèrent en revanche plus flous en ce qui concerne l’appropriation, et pour cause : rares sont les entreprises à disposer d’une organisation formalisée pour piloter l’appropriation. À travers les réponses transparaît également une grande absence, celle des départements chargés de la formation et de la gestion des compétences. Leur rôle s’avère pourtant capital dans les actions d’appropriation.

La quasi-totalité des entreprises sondées ont mis en place des utilisateurs référents, ou key users. La plupart du temps, ceux-ci sont spécialisés sur un domaine métier. Ils sont parfois organisés en réseau, mais d’une façon spontanée et informelle. Le rôle de ces key users dépend souvent des compétences de chacun d’entre eux.

Ils assurent généralement le support de niveau 1 auprès des autres utilisateurs et portent les actions de formation au niveau local, effectuant la formation des nouveaux arrivants. Les actions de ces utilisateurs référents peuvent être coordonnées par des Business Process Owners (BPO). Néanmoins, ce type de rôle intermédiaire est rarement présent.

Beaucoup d’entreprises disposent d’un centre de compétences ou de services autour de SAP. Dans les faits, celui-ci a principalement un rôle de support et d’expertise technique, la double compétence technique et métier s’avérant difficile à maintenir dans le temps. Parfois, ces missions de support sont directement assumées par la DSI, voire par des prestataires externes (infogérants classiques ou même offshore).

Des actions concentrées sur la formation au démarrage…

Les dispositifs permettant de gérer l’appropriation sont globalement centrés autour de deux grands domaines : la formation et le support. La plupart du temps, la formation SAP est prise en charge par les différents métiers concernés, avec parfois le CCSAP en soutien. Elle intervient surtout à l’occasion de déploiements majeurs. En dehors des projets, les efforts de formation sont moindres et les formations SAP souvent déconnectées de leur contenu métier.

Les sociétés interrogées déplorent des difficultés sur la formation des équipes internes : celle-ci n’est pas toujours planifiée, son coût est sous-estimé, ou encore elle est prévue sur une période trop brève pour permettre une véritable appropriation.

… puis sur le support

En dehors des phases de projet, l’essentiel des actions d’appropriation menées par les entreprises sont liées au support. Quelques organisations cherchent ainsi à accroître leur maîtrise des solutions SAP. Cela passe notamment par l’optimisation des processus métiers, l’amélioration de l’ergonomie des applications ou encore le contrôle des évolutions.

Des moyens de transmission des connaissances très classiques

Les moyens utilisés pour mettre en œuvre l’appropriation reposent sur la combinaison de méthodes de formation et de supports. Dans ces deux domaines, les organisations sortent rarement des sentiers balisés. En termes de méthode, les formations présentielles sont majoritaires. Les formations à distance sont elles aussi courantes, notamment dans les entreprises confrontées à des contraintes de coût.

Concernant les supports, Powerpoint prédomine. Si les documents écrits sont globalement appréciés, il s’avère cependant difficile d’assurer leur maintenance et de les faire évoluer au fil du temps, notamment quand l’entreprise sort du mode projet.

Le e-learning est plus rarement employé, tandis que les modes d’apprentissages alternatifs et ludiques comme les serious games restent aujourd’hui inexistants dans les entreprises interrogées. Cette défiance s’explique sans doute par une méconnaissance de ce type d’offres. En effet, celles-ci sont souvent poussées par les services chargés de la formation, très peu présents dans le domaine de la formation SAP.

Pourtant, des expérimentations fructueuses existent dans ces domaines. Les retours d’expérience montrent ainsi que le e-learning permet de réduire de 50 % le temps passé par rapport aux formations en présentiel, tandis que les serious games permettent de réduire ce temps de 75 %.

La mesure de l’appropriation, encore balbutiante

Quelques entreprises ont mis en place des indicateurs permettant d’évaluer le degré d’appropriation de SAP, mais cela résulte rarement d’une volonté claire de suivre cet aspect.

  • Dans les entreprises qui mesurent l’appropriation, les principaux indicateurs utilisés sont les suivants :
  • l’analyse des demandes au support : nombre de tickets/d’appels, typologie, origine des appels, requalifications…
  • la proportion de développements spécifiques ;
  • l’atteinte de seuils d’utilisation de certaines transactions ou états ;
  • le nombre et la durée des connexions.

Les statistiques sur le turn-over sont plus rares. Pourtant, certaines entreprises considèrent que le turn-over peut poser problème, sachant que la durée moyenne estimée pour maîtriser SAP est d’environ deux ans. Un turn-over élevé implique en effet que les compétences ne restent pas et que la formation des nouveaux venus est un effort permanent à accomplir.

Outre ces indicateurs quantitatifs, les entreprises s’appuient également sur des indicateurs plus qualitatifs pour évaluer l’appropriation. Beaucoup recourent ainsi aux enquêtes de satisfaction, mais toutes ne les jugent pas pertinentes. En effet, il s’agit souvent d’évaluer la satisfaction des utilisateurs par rapport à la qualité de service du CCSAP plutôt que l’appropriation proprement dite.

Concernant les remontées du terrain, toutes les entreprises s’accordent pour y voir une source d’informations précieuse, qu’elles viennent de la hiérarchie, des key users ou des utilisateurs à la fin des formations.

Cela pose néanmoins la question de la gestion de ces connaissances : sans un dispositif de type Knowledge Management visant à recueillir, consolider et gérer ces informations, les entreprises ne seront pas véritablement en mesure de les exploiter et auront une vision partielle de l’appropriation.

Productivité qui s’effondre, surcoûts et démotivation : le trio redouté

Les entreprises sont conscientes de l’impact d’une mauvaise appropriation. Celle-ci se traduit par des problèmes à différents niveaux : motivation des utilisateurs, gouvernance, productivité médiocre et surcoûts.

Parmi ceux-ci, le risque de démotivation des utilisateurs est placé au premier plan. Ses conséquences ne se font pas attendre : perte d’efficacité collective, méconnaissance des processus, instauration de mauvaises pratiques et perception négative du service et des acteurs qui l’ont mis en place. La démotivation va généralement de pair avec une productivité médiocre, des outils redondants et des doubles saisies.

Parfois, cela peut aller jusqu’à provoquer des retards de facturation ou un dépassement des délais de clôture des comptes. La non-qualité des processus métiers est également redoutée. Elle peut entraîner la génération spontanée d’outils de contournement, et l’on voit alors revenir en douce les feuilles Excel que la mise en place du PGI cherchait à éradiquer. Les erreurs peuvent aussi avoir des impacts financiers, entraînant par exemple des conflits avec des fournisseurs, des pénalités de retard ou des dédommagements.

Une mauvaise appropriation peut enfin se traduire par une augmentation excessive des développements spécifiques ou des demandes d’évolution divergentes. Ces changements peuvent rapidement faire gonfler la facture des déploiements SAP.

Les signaux négatifs rarement traqués

Parmi les entreprises interrogées, très peu surveillent les indicateurs susceptibles de signaler une mauvaise appropriation. Elles estiment néanmoins que le nombre d’appels au support et le nombre d’incidents pourraient être des indicateurs pertinents, mais insuffisants à eux seuls. En effet, un faible nombre d’appels au support n’est nullement une garantie que la solution soit correctement utilisée.

Comment améliorer l’appropriation ?

En matière de formation, plusieurs entreprises estiment que les formations dispensées lors du déploiement sont suffisantes. Néanmoins, les entreprises confrontées à un turn-over important montrent de l’intérêt pour la formation continue et l’intégration des formations SAP aux parcours de formation internes.

La mise en place de communautés intéresse les organisations interrogées. Plusieurs d’entre elles sont en train d’en mettre en place ou prévoient de le faire dans les deux ans à venir. Interrogées sur ce qu’elles pourraient améliorer en matière de gestion de l’appropriation, plusieurs entreprises évoquent la définition des rôles.

Le maintien des compétences fait également partie des priorités, ainsi que la pérennisation des actions de formation SAP, intégrées aux dispositifs globaux. À partir de ces constats, il est possible de proposer une échelle de maturité en matière de gestion de l’appropriation. Depuis la méconnaissance de l’enjeu jusqu’à la réelle maîtrise de l’appropriation, il existe en effet un certain nombre de paliers que les organisations doivent franchir.

  • Niveau 0 – Méconnaissance : ni l’organisation ni le mana­gement n’ont conscience des enjeux.
  • Niveau 1 – Prise de conscience : le management a conscience des enjeux, mais il n’y a ni dispositif, ni plan d’action spécifique pour gérer l’appropriation.
  • Niveau 2 – Appropriation réactive : l’appropriation est gérée en réaction à un projet ou à une demande spécifique. Les actions effectuées restent ponctuelles et transitoires.
  • Niveau 3 – Appropriation organisée/proactive : l’appropria­tion est gérée sur la durée, une organisation, des processus et des dispositifs adaptés sont mis en place (parcours de formation, réseau de key users, etc.)
  • Niveau 4 – Appropriation contrôlée : l’appropriation est pilotée et mesurée à travers des indicateurs adaptés, c’est un objectif en tant que tel.
  • Niveau 5 – Appropriation maîtrisée : l’organisation mise en place permet le partage et la diffusion de la connaissance autour de SAP. Toutes les parties prenantes sont impliquées dans les processus d’appropriation et cherchent en permanence à optimiser leur usage du progiciel.