Développement durable et Green IT : les DSI suivront

Les problématiques de développement durables vont s’imposer aux DSI. Avec d’inévitables pressions qu’il faudra bien gérer. Quel peut être le rôle de la DSI en matière de développement durable ? Quels leviers actionner ?

On arrive aujourd’hui à une situation où le développement durable est devenu rigoureusement incontournable, tant par ses aspects légaux (loi RSE, réglementation avec la norme ISO26000 par exemple) que par l’aspect médiatique qu’il revêt avec tous les problèmes écologiques, disparition de la biodiversité, réchauffement climatique, épuisement des ressources naturelles…

Il faut s’attendre, au cours des prochaines années, à des pressions de plus en plus fortes et très médiatisées, qu’elles soient financières, environnementales, législatives ou liées aux risques, qui forceront les industriels de l’informatique et des télécommunications à intégrer les problèmes d’environnement dès la conception de leurs produits.

Les systèmes d’information utilisent des outils informatiques pour stocker des données, automatiser des processus, suivre des indicateurs de pilotage, etc. Omniprésents, ces outils polluent et il est urgent de réduire leur empreinte écologique, mais les systèmes d’information peuvent aussi aider l’entreprise à réduire son empreinte globale et à s’aligner sur les valeurs du développement durable.

Les technologies de l’information et de la communication responsables et durables – Green IT en anglais – comprennent trois phases :

  • Green IT 1.0 : comment réduire l’impact direct négatif des TIC sur le plan environnemental ;
  • Green IT 1.5 : les aspects économiques et leurs conséquences sur l’organisation de la société et des entreprises (travail à distance par exemple) ;
  • Green IT 2.0 : l’effet de levier positif sur le cœur d’activité de l’entreprise, sur l’environnement, sur les conditions sociales.

Les DSI ont essentiellement travaillé jusqu’à présent sur le Green IT 1.0. À part quelques-uns, les grands groupes s’y sont lancés de manière prudente. Très souvent, trop souvent, le Green IT a été dévoyé en Greenwashing, tant d’ailleurs de la part des entreprises utilisatrices que des différents acteurs de la profession (SSII, constructeurs, éditeurs, cabinets de conseil…).

Les PME et LES collectivités locales ont été souvent plus audacieuses et leurs DSI, engoncés dans moins de contraintes que ceux des entreprises du CAC 40, ont fait quelques réalisations remarquables, dépassant très largement le stade du Green IT 1.0 (Ville de Besançon, Communauté urbaine de Dunkerque).

Il s’agit donc, tout d’abord, de développer des TIC plus sobres en énergie et produisant moins de déchets puis, ensuite, de mieux utiliser ces technologies dans l’industrie, les services et la vie quotidienne, de façon à diminuer les émissions (télétravail, bâtiments intelligents dont on peut piloter les flux d’énergie à des fins d’économie tout en informant les usagers en temps réel, etc.).

Il ne s’agit évidemment pas de tomber dans l’angélisme car toute technologie, même si elle présente des avantages indubitables, peut aussi avoir des inconvénients. Il convient en effet de prendre en compte l’effet rebond défini comme « l’augmentation de consommation liée à la réduction des limites à l’utilisation d’une technologie… ».

Un exemple d’effet rebond négatif lié à l’usage des TIC est le e-commerce : lorsqu’un usager passe une commande en ligne, il veut son produit immédiatement, et se fait donc livrer en 24 ou 48 heures. Or, pour ce faire, les biens commandés sont acheminés généralement par avion, puis livrés au domicile du consommateur, ce qui augmente les émissions de gaz à effet de serre.

Des TIC plus sobres

Il est important d’élargir la réflexion aux dimensions économique et sociale afin de traiter complètement les trois volets fondamentaux du développement durable et parler ainsi de systèmes d’information et non pas uniquement d’Information Technology de manière à prendre en compte les aspects applicatifs, données, traitements, modification des usages et des comportements, formation du personnel, conditions de travail, etc.

Si l’aspect environnemental, qui est le domaine historique du développement durable, est aujourd’hui bien connu du grand public, la gestion de l’information, qui en est une face cachée, est aussi touchée de plein fouet par la vague du Green IT. Au-delà de l’optimisation de la consommation énergétique des ordinateurs et de la gestion des déchets électroniques, nous devons nous interroger sur la capacité des entreprises à mettre en conformité leurs systèmes d’information avec les nouvelles exigences de transparence et de réduction des impacts environnementaux et sociaux liés aux équipements matériels et logiciels et comment utiliser les TIC pour une entreprise et une société plus éthiques, plus durables, moins polluantes, plus sociales, plus ouvertes.

Cela deviendra vite une nécessité pour asseoir d’une manière pérenne le développement durable dans l’entreprise et pour le faire savoir à ses parties prenantes, y compris ses actionnaires et ses clients.

Ces changements poussent l’entreprise à revoir sa chaîne de valeur, la façon dont elle assure, durablement, sa performance économique et sa pérennité.

Pour y parvenir, la gestion de l’information est centrale et la qualité des outils informatiques dont l’entreprise dispose est déterminante. Elle doit donc s’intéresser à un aspect peu connu, celui de l’impact concurrentiel d’une bonne compréhension et d’un bon usage des TIC afin de déployer des outils informatiques et des systèmes d’information capables de soutenir les exigences de la nouvelle économie du XXIe siècle.

C’est toute la question de la valeur des actifs immatériels, des logiciels et, plus largement, du système d’information qui soutient toute l’activité de l’entreprise. La performance économique en est un élément clé puisqu’un développement ne peut justement être durable qu’avec une entreprise pérenne. La compétitivité des entreprises, leur performance sont, on le sait, extrêmement liées aux investissements faits dans les technologies de l’information et, pour permettre cette performance, il est très important de mettre en place des moyens et des applications qui restent évolutifs : c’est le système d’information durable.

« Le système d’information durable » propose alors une définition de la durabilité du système d’information en traitant la question sous l’angle de la gestion et de la valorisation dans le temps de ce capital immatériel de l’entreprise. Il aborde l’art et la manière de concevoir, développer, mettre en place et exploiter les systèmes d’information nécessaires à l’entreprise du XXIe siècle.

Quel rôle pour la DSI ?

Si le rôle de la DSI est bien de concevoir, développer et mettre en œuvre les systèmes d’information dont a besoin l’entreprise pour assurer son activité quotidienne et permettre sa croissance, elle doit aussi fournir les indicateurs, applications et outils de mesure lui permettant de se positionner dans sa performance environnementale, de se faire apprécier par les agences de notation et de mettre à la disposition des personnes qui sont en charge de ces problèmes les bases de connaissances nécessaires à l’exercice de leur activité. Une véritable politique de développement durable, dans toutes ses composantes – environnementale, sociale, économique – va évidemment beaucoup plus loin que ce simple apport et elle ne pourra réellement être menée à court terme, dans le domaine des systèmes d’information, que lorsque auront été démontrées la rentabilité d’une telle démarche et la valeur ajoutée qu’elle apporte.

La direction des systèmes d’information peut et doit s’intégrer totalement dans un tel projet d’entreprise. En proposant des solutions concrètes apportant une réelle valeur ajoutée à son activité, en instituant une démarche de progrès continu, en menant avec ses collègues des autres directions une réflexion de fond sur ces problèmes difficiles, elle affirmera sa place d’acteur majeur dans la vie de la société et préparera un terrain propice à l’épanouissement des générations futures.

Elle a devant elle une nouvelle voie, une formidable opportunité de contribuer de manière significative à la réussite de son groupe en l’accompagnant sur le chemin du développement durable, mais elle doit pour cela convaincre sa direction générale du bien-fondé d’une telle approche et obtenir les investissements nécessaires.

L’argument majeur est qu’une démarche éco-responsable est inexorable et que, tant qu’à faire, mieux vaut être leader que suiveur. Il est à noter d’ailleurs que dans toutes les politiques Green IT qui ont été menées avec succès, le rôle moteur du DSI a été déterminant.

Quels sont les arguments pour intégrer un DSI dans une démarche éco-responsable ?

Il n’y a pas vraiment de risque aujourd’hui pour un DSI à s’investir dans le Green IT car toutes les idées sont dans l’air et il ne pourra donc être considéré comme un doux rêveur. Il est même probable qu’en élargissant le champ à toutes les facettes du développement durable symbolisées par les trois P, à savoir :

  1. équité sociale (People) ;
  2. préservation de l’environnement (Planet) ;
  3. efficacité économique (Profit).

Il répondra à une demande latente et son initiative sera accueillie avec intérêt. S’il ne le fait pas, d’autres le feront à sa place. Le mieux est évidemment quand la direction générale s’engage elle-même, ce qui n’est d’ailleurs pas suffisant car certaines entreprises sont très engagées dans la protection de l’environnement et le développement durable (DD) sans pour autant que la DSI fasse quoi que ce soit en la matière ! On voit aussi l’inverse, surtout dans les PME, où le DSI s’engage résolument dans le DD et arrive, petit à petit, avec des résultats tangibles, à faire passer le message dans l’entreprise.

Si les problèmes de coût et de rentabilité ont souvent été, jusqu’à ce jour, un obstacle insurmontable au développement d’une telle politique, ils le seront de moins en moins car le développement durable fera partie de l’image de marque de l’entreprise. En menant avec ses collègues une réflexion de fond sur ces problèmes difficiles, en instituant une démarche de progrès continu, en proposant des solutions concrètes apportant une réelle valeur ajoutée à son activité, le DSI affirmera sa place d’acteur majeur dans la vie de la société et préparera un terrain propice à l’épanouissement des générations futures. Ce ne sera alors plus une politique Green IT, ce sera une politique IT for Green.

Quels leviers actionner ?

Le meilleur levier que puisse actionner un DSI est l’exemple qu’il peut donner en ayant lancé une politique résolue « Green IT-développement durable » dans sa propre direction et dans tous les domaines relevant directement ou indirectement de sa responsabilité, et ils sont nombreux. Les premiers leviers d’action sont évidemment essentiellement environnementaux et liés aux réductions de coûts, mais les aspects sociaux, sociétaux et économiques ainsi que leurs conséquences sur l’organisation de la société et des entreprises commencent à être regardés (smart grids, énergies renouvelables, télétravail, gestion des déchets, virtualisation de l’économie, etc.).

La mise en place de logiciels orientés vers le développement durable et permettant, en particulier, de collecter l’information, d’évaluer les fournisseurs, de quantifier des coûts, des gains, et donc d’établir un ROI (return on investment), est évidemment indispensable et relève totalement de la responsabilité du DSI.

Qu’en est-il du ROI ?

Les DSI cherchent avant tout à réduire les coûts, créer de la valeur, lancer de nouveaux services. Il se trouve que la virtualisation, le télétravail, la visioconférence… sont Green, mais ils permettent avant tout de faire des économies, ce qui tombe bien ! Mais en matière de ROI, il faut se méfier des conclusions rapides et savoir prendre en compte les conséquences induites, les effets rebonds, etc. Ainsi le télétravail ferait économiser des déplacements, sauf que si les gens restent chez eux pour travailler, ils conduisent quand même les enfants à l’école ! De même, la dématérialisation peut certes avoir des effets positifs en termes de développement durable pour les aspects environnementaux, encore faut-il les démontrer et les mesurer.

En pratique, aucune étude sérieuse n’a pour le moment démontré ces gains. Pire, la dématérialisation des supports papier engendre presque toujours une rematérialisation conséquente. Il y a évidemment des économies à faire sur la consommation électrique et le papier recyclé, les impressions qualité brouillon, recto-verso, l’augmentation de la durée de vie des matériels avec en corollaire une économie possible sur les licences logicielles, etc.

Un retour sur investissement global bien difficile à chiffrer

En revanche, c’est beaucoup plus difficile pour tout ce qui concerne les aspects sociaux et sociétaux : accueil des handicapés, travail des enfants, éthique, etc. Idem pour le passage vers une économie de la fonctionnalité, vers une économie durable qui relève d’une politique d’entreprise. En fait, à part quelques aspects particuliers pour lesquels on peut dégager des économies chiffrables, il est impossible d’afficher un ROI global pour une démarche de développement durable.

L’engagement vers l’externalisation ou le Cloud Computing, ne sont-ils pas des vecteurs Green ?

La mise en place d’un « SI durable » basé sur une chaîne d’agilité composée de MDM, BRMS et BPM, ainsi que le développement informatique compatible avec une civilisation respectueuse de l’environnement sont certes Green. Quant au Cloud Computing, on constate aujourd’hui que la plupart des grandes DSI sont debout sur les freins lorsqu’on en parle.

De toute façon, la qualification de Green qu’on lui accole relève pour l’instant du Greenwashing, rien ne permettant de garantir que l’opérateur privilégiera les aspects écologiques aux aspects économiques. Nous parlons évidemment ici du vrai Cloud, c’est-à-dire du Cloud public.

Le Cloud privé, qui semble rencontrer les faveurs des DSI, n’étant qu’ersatz rassurant, à savoir une consolidation de centres informatiques, ce que l’on sait faire depuis vingt ans. La réglementation va évidemment leur tomber dessus, ce qui les obligera à bouger.

Mais qu’ils n’oublient tout de même pas qu’une direction générale attend de son DSI qu’il soit une force de proposition, même si elle n’a plus beaucoup d’illusions sur ce point… Il ne faudrait pas cependant qu’ils soient réfractaires trop longtemps car le DD est une vague de fond qui durera. On a connu des directeurs informatiques qui étaient réfractaires aux PC : ils ont été virés !

Un DSI peut-il devenir responsable du développement durable ?

Le métier de DSI est un métier à part entière et il ne faut pas tout mélanger, sauf à considérer que n’importe qui peut faire n’importe quoi. Dans de petites structures, peut-être peut-on regrouper certaines fonctions… •

Cet article a été écrit par Philippe Tassin.