Eric Bonnevay, DSI de Tokheim : « La mobilité impose des projets pilotes »

Tokheim, groupe spécialisé dans la construction et la maintenance des stations-service, a équipé ses huit cents techniciens de PDA (1 000 en mai 2009). Objectifs : fluidifier les processus et gagner en productivité.

Comment s’inscrit la mobilité dans votre stratégie système d’information ?

Eric Bonnevay Le groupe spécialisé dans la construction et la maintenance des stations-service (460 millions d’euros de chiffre d’affaires, 3 600 personnes, dont un millier de techniciens d’intervention) est présent dans 21 pays et assure la maintenance de plus de 27 500 stations. La stratégie systèmes d’information repose sur l’agilité des systèmes et des méthodes.

Cela se traduit d’abord par une flexibilité dans les paramétrages. Nous ne développons pas spécifiquement et systématisons les progiciels, même s’ils doivent être relativement adaptables. ensuite, nous privilégions une appropriation des processus et des outils et, enfin, nous veillons à ce que les projets soient toujours initiés par des expériences pilotes.

Nous ne menons pas directement de grands projets sur plusieurs années. Si le projet pilote est concluant, alors, et alors seulement, nous initions le déploiement. Ce principe fait partie de la culture de l’entreprise. De fait, la technologie doit apporter de la valeur au métier, d’où une approche de type best practices que l’on étend à tous les pays.

Nous sommes ainsi les premiers, sur notre marché, à déployer un projet homogène au niveau européen. Par conséquent, chaque pays a un processus similaire qui permet des gains par l’harmonisation des infrastructures IT, une mutualisation des outils et des technologies, des méthodes de formation et de mise en œuvre des technologies.

La logique est de proposer la même application, le même back-office et la même plate-forme pour chaque pays.

Quels sont selon vous les critères de choix d’une solution de mobilité ?

Eric Bonnevay Le projet mobilité est né d’initiatives locales qui ont été consolidées dans notre plan informatique 2005-2008. Pour un projet mobilité, il faut se poser quatre questions : quel terminal ? Quel(s) logiciel(s) ? Quelle(s) solution(s) de télécommunications ? Quel niveau de support et quelle organisation ?

Nous avons ainsi sélectionné les quatre briques de notre solution : un PDA durci avec coque de protection, un logiciel de synchronisation, un outil de synchronisation GPRS Internet avec connexion au meilleur fournisseur d’accès local et le support pour le management du changement et la gestion des risques. Nous nous sommes équipés de la solution Kimoce Customer Services.

Pour le logiciel, par rapport à un développement spécifique, nous privilégions les critères des fonctionnalités pour générer facilement des rapports d’intervention, gérer les stocks, la possibilité de travailler en mode hors ligne de façon à ne pas être connecté en permanence, des synchronisations fiables et une interface conviviale.

Nous avons réalisé un projet pilote qui a donné lieu à des retours positifs de la part des techniciens.

Comment s’est déroulé le projet ?

Eric Bonnevay La clé du succès d’un tel projet réside dans une structure et une organisation en phases (voir schéma page ci-contre) : pré-étude et choix des solutions, installation, paramétrages et tests, projets pilotes et déploiement, avec, en parallèle, formation des utilisateurs.

Nous avons ainsi mis en place un comité de pilotage regroupant les métiers, les ressources humaines et la DSI, complété par une cellule dédiée à la gestion du changement, à la fois pour les techniciens, les superviseurs et les dispatcheurs.

L’implication des ressources humaines est fondamentale dans la mesure où il y a toujours, de la part des utilisateurs, des inquiétudes, légitimes, quant aux possibilités de traçabilité, donc de « flicage », qu’il importe d’expliquer. Il faut également déterminer jusqu’où il est pertinent d’aller dans ce domaine pour concilier l’efficacité d’un processus et le respect de l’individu.

Ainsi, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays, nous n’avons pas activé la fonction de géolocalisation en France. Nos techniciens bénéficient d’une forte autonomie et ils la revendiquent : il fallait donc démontrer les atouts d’un solution de mobilité.

Pour le dernier pilote, nous avons par exemple associé les organisations syndicales et pris en compte tout ce qui est remonté du terrain pour obtenir l’adhésion.

Nous avons également institué des relais locaux pour la formation dans la mesure où l’on ne pouvait rassembler au même moment tous les techniciens. Nous avons affecté un formateur par agence et retenu le principe de ne pas immobiliser plus de quatre techniciens, durant trois jours par semaine et par agence (huit agences).

Le formateur était également chargé de l’accompagnement des techniciens, des dispatcheurs et des superviseurs, pour gérer le changement au quotidien. Ce qui a été apprécié par ces derniers. Pour cela, nous avons expérimentés des outils collaboratifs, avec un site Web permettant de faire remonter l’information.

Des conférences Web ont été organisées chaque semaine avec les relais locaux, pour examiner les « fiches collaboratives » produites par les techniciens. Chaque réunion a permis de régler les problèmes soulevés.

Pour le projet pilote, il faut prendre le temps nécessaire : le temps qui semble perdu pendant cette phase est largement rattrapé après et nous n’avons d’ailleurs constaté aucun retard dans le déploiement, ce qui est assez exceptionnel pour un projet système d’information de cette ampleur !

Qu’est-ce qui a changé dans l’organisation du travail des techniciens ?

Eric Bonnevay Auparavant, notre service client recevait un appel du client, transmis au technicien par téléphone. En fin de journée, celui-ci téléphonait au service client pour indiquer les actions qu’il avait effectuées. Ce processus occasionnait une perte de temps, un encombrement des lignes et une ressaisie des rapports d’intervention avec retard.

L’efficacité administrative n’était donc pas optimale. Les techniciens consacraient trop de temps à remplir les rapport de travail. Aujourd’hui, l’appel est transmis vers le PDA du technicien, avec des demandes d’intervention automatisées. Le technicien dispose, en outre, de l’historique des cinq dernières interventions chez le client, puis acte les pièces de rechange consommées et des codes pannes constatés.

On peut désormais gérer les stocks de pièces détachées et chaque technicien a son propre stock, ce que nous n’étions jamais parvenus à gérer de manière fiable auparavant. Il n’y a plus de stocks intermédiaires et les flux logistiques s’en trouvent simplifiés. Le stock principal est géré avec des niveaux maximum et minimum basés sur des historiques de consommation et les pièces sont livrées chaque matin.

Chaque rapport d’intervention est remonté par synchronisation et met à jour les applications de back-office, et il est envoyé au client par mail ou par télécopie dans un délai de deux à trois minutes. Nous n’avons pas retenu le principe d’avoir une imprimante dans les véhicules des techniciens, pour des raisons de résistance aux conditions climatiques et des risques de vol.

Nous avons, globalement, observé une nette amélioration de résolution des pannes et une diminution du temps moyen d’intervention des techniciens. Les remontées d’informations vers le serveur permettent de récupérer un certain nombre de données statistiques telles que le temps passé en intervention par le technicien ou les pièces consommées avec une mise à jour en temps réel du stock fiabilisé : tous les mouvements sont gérés, de la réception à l’inventaire.

Quels sont les bénéfices de votre approche mobilité ?

Eric Bonnevay Pour Tokheim, c’est d’abord le bénéfice du temps réel qui permet des réactions immédiates grâce au feed-back du terrain. Ensuite, nous obtenons des liens plus fluides entre le front-office et le back-office. Le système d’information s’est ouvert, dans une logique clients-fournisseurs.

C’est d’ailleurs ce que nous demandent les grandes compagnies pétrolières, qui souhaitent des échanges d’informations automatisés. Enfin, la remontée des informations concernant les problèmes de qualité va pouvoir rapidement s’effectuer dans une base européenne de Business Intelligence.

Les PDA des techniciens contiennent une base de connaissances sur les types d’équipements et les symptômes des pannes, avec la même arborescence dans tous les pays. Quant au client, il bénéficie d’abord d’une meilleure réactivité de son prestataire, avec des données en temps réel, d’un reporting plus précis, d’un suivi du respect des délais, d’une disponibilité des pièces de rechange et enfin d’une baisse des coûts.

Ce n’est donc pas le projet mobilité qui est important, c’est ce que l’on fait avec et ce que l’on fait après. A terme, il s’agira d’amener davantage d’intelligence sur le PDA, par exemple avec le traitement d’images qui reste, pour l’instant, un processus très lourd.


Gestion d’un projet mobilité : les cinq points-clés

Un projet mobilité se gère comme n’importe quel projet systèmes d’information. Avec les mêmes contraintes.

Ceux qui pensent que pour mettre en œuvre un projet de mobilité il suffit d’équiper les utilisateurs d’un terminal mobile qui fait tout se préparent à quelques désillusions. Si, au départ, ces terminaux ont été des outils de productivité personnelle, le déport d’applications critiques vers les usages mobiles transforme la manière de gérer l’approche. Le DSI, et les directions métiers utilisatrices, se voient contraintes de ne plus oublier les bonnes pratiques, que l’on peut résumer en cinq principes fondamentaux.

  1. Ne pas prendre le problème à l’envers : la tentation est grande d’aller vite, face à l’impatience des directions générales et des utilisateurs. Or le risque est de ne pas procéder dans l’ordre, par exemple en choisissant les terminaux avant de se poser la question des usages. Ou encore de généraliser une solution avant d’avoir tiré le bilan d’une solution pilote.
  2. Canaliser les exigences des utilisateurs : la maturité des outils de mobilité, liée en partie à l’ergonomie des terminaux et des applications, « contamine » les utilisateurs qui sont demandeurs de mobilité. Le problème est que cette demande est plus forte que l’offre (autrement dit, les capacités de réponse de la DSI en termes de ressources humaines, budgétaires et de gestion de projet). Comment canaliser les multiples demandes des directions métiers ? En les aidant à établir un ROI du projet. L’arbitrage entre les directions métiers se fait alors sur la base d’argumentaire chiffré et ne relève plus de la DSI.
  3. Y voir clair dans les solutions techniques. Le foisonnement des offres n’arrange pas le discernement entre ce qui constitue une solution pérenne d’une autre qu’il faudra abandonner à plus ou moins court terme. Il faut donc éviter les impasses techniques. Il importe pour cela de privilégier des approches pragmatiques comme le maquettage des solutions de mobilité. Il s’agit d’anticiper les problématiques d’intégration des multiples composants de la mobilité. Ce n’est en principe pas à l’utilisateur de choisir son terminal et il convient d’éviter les choix impliquants à plus de deux ans.
  4. Anticiper les évolutions de périmètres. Les usages de la mobilité étant par définition évolutifs, la gestion de projet doit anticiper les changements de périmètre : soit, pour une application, une montée en charge du nombre d’utilisateurs et de fonctionnalités, soit une extension d’applications déjà déployées à d’autres entités de l’entreprise.
  5. Prendre en compte tous les éléments pour le calcul du ROI. Il faut notamment intégrer, en face des bénéfices en termes de chiffre d’affaires et de productivité, les coûts cachés tels que l’adaptation du help-desk, la formation des utilisateurs, le coût des logiciels et/ou de leur adaptation (sécurisation par exemple), les coûts de communication.

Au DSI de porter attention à quelques effets pervers, par exemple le stress supplémentaire des connexions permanentes qui agit sur la qualité du travail, une certaine déresponsabilisation des utilisateurs (avec la multiplication des validations et contrôles, possibles à distance), ou encore la fréquence plus élevée des pertes et des vols, qu’il faut aussi gérer.


Les dix best practices d’Eric Bonnevay

  1. Considérez les quatre briques essentielles d’un projet mobilité : le terminal, le ou les logiciels, la solution de télécommunications et le support.
  2. Privilégiez les solutions progicielles (mais paramétrables) par rapport aux développements spécifiques. Les outils du marché sont aujourd’hui matures et riches en fonctionnalités.
  3. Commencez systématiquement par un projet pilote, en prenant le temps nécessaire pour le mener.
  4. Veillez à la fiabilité des synchronisations et aux possibilités de travailler hors ligne.
  5. Associez les ressources humaines, voire les organisations syndicales, pour maximiser l’adhésion.
  6. Ne sous-investissez pas en formation et en accompagnement des utilisateurs.
  7. Durant les phases pilotes, remontez toutes les informations permettant d’identifier les difficultés. Et traitez-les.
  8. Utilisez des outils collaboratifs pour maximiser la remontée des informations (conférences Web…).
  9. Maniez avec précaution les fonctionnalités de géolocalisation, sujet délicat pour les utilisateurs.
  10. Si des indicateurs de mesure de la productivité/efficacité sont établis, assurez-vous de leur pertinence par rapport à la situation antérieure.

Les best practices du fournisseur Patrick Hett, PDG de Kimoce

  • Créez un référentiel unique : le référentiel doit gérer tous les parcs de postes clients, ainsi que leur mise à jour. Il doit contenir toutes les caractéristiques et les informations relatives aux équipements, avec un historique des interventions.
  • Unifiez le centre d’appels : le centre d’appels doit traiter les demandes internes et externes de toutes natures depuis l’ensemble des sites, avec une traçabilité des appels et des interventions, des engagements de services et des accès aux historiques de la relation client, à travers un portail client Web (possibilité de visualiser les demandes en cours ou archivées, de saisir des demandes en ligne et d’imprimer des informations spécifiques.
  • Gérez des processus multiples de prise en charge, avec des plans d’actions.
  • Incluez, dans les processus de planification et de logistique, les maintenances préventives et curatives, des plannings de suivi à distance des techniciens, de suivi des projets d’études (réservation des ressources humaines, découpage en tâches…) ainsi que la gestion des priorités (niveau d’escalade, plans d’actions…).