Et si on mesurait la destruction de valeur du système d’information ?

Les approches de mesure de la valeur du système d’information sont fécondes mais souvent insuffisantes. Une analyse de la destruction de valeur par le système d’information, en étroite collaboration avec les métiers, apporte une vision plus complète de la performance du système d’information.

Il existe deux moyens de mesurer les apports d’un système d’information à l’entreprise. Le premier, classique, s’attache à mesurer la création de valeur. Le second, plus original, consiste à appréhender la destruction de valeur. C’est cette optique qu’ont choisie les auteurs de cet ouvrage, Marie-Noëlle Gibon, qui a été DSI de La Poste et vice-présidente du Cigref, Muriel Fally, en charge du contrôle de gestion de la DSI du Courrier de La Poste, et deux consultants du cabinet Cost House, Olivier Brongniart et Joachim Treyer.

L’ouvrage part d’un constat simple : « Il est plus facile de mesurer ce que l’on enlève que ce que l’on ajoute, et encore plus que tout ce que l’on a ajouté au fil du temps », note Yves Caseau, DGA innovation et architecture de services chez Bouygues Telecom, dans la préface de l’ouvrage. Certes, et les auteurs le reconnaissent, la problématique de la création de valeur du système d’information est nécessaire.

Mais elle s’avère insuffisante. Le pilotage par la destruction de valeur constitue la quatrième phase historique : on a d’abord piloté le système d’information par la technologie, puis par les coûts, et, ensuite par la création de valeur.

« Force est de constater qu’une modélisation de la valeur intrinsèque d’un système d’information demeure une entreprise aléatoire », jugent les auteurs. Alors qu’il semble plus aisé, avec la mesure de la destruction de valeur, de s’appuyer sur des « critères factuels connus et partagés par tous », notamment la DSI et les directions métiers.

La mesure de la valeur du SI regroupe deux approches : d’une part, s’intéresser à l’efficience du SI au regard des ressources utilisées et, d’autre part, s’intéresser à la question de la satisfaction des utilisateurs. « Nul ne conteste que dans toute entreprise, la fonction SI a pour mission de participer comme les autres à la performance d’ensemble des activités.

Mais, dès qu’il s’agit de mesurer cette participation, d’identifier ses mécanismes, les données et les faits viennent à manquer. La valeur représente-t-elle le présent ou le futur, Avec quelle méthode évaluer ? À quel niveau se mesure cette création de valeur. L’entreprise ? Une fonction de l’entreprise ? Un projet spécifique ? »

Pour les auteurs, le DSI qui utilise l’approche par la destruction de valeur « se dote de leviers plus larges que la simple gestion budgétaire et le pilotage de portefeuilles de projets, outils néanmoins indispensables au pilotage de la performance du système d’information ».

Les méthodes d’analyse de la valeur ne manquent pas (Calculated Intangible Value, IC-dVAL, IC-Rating, Meritum, modèle de Lev…). Mais elles présentent plusieurs limites. D’abord, la difficulté à obtenir une valorisation financière, notamment parce que la plupart des méthodes mesurent la valeur du système d’information à l’aide d’indicateurs non financiers.

Ensuite, elles sont difficiles à mettre en œuvre, parce qu’elles mobilisent des ressources importantes sur une période de temps assez longue et parce que les données nécessaires sont souvent difficiles à obtenir. Dès lors, assurent les auteurs, l’approche par la destruction de valeur, « propose une démarche pragmatique pour identifier les leviers de productivité qui, s’ils sont actionnés, feront bénéficier l’entreprise d’un surplus de création de valeur par le système d’information ».

Les auteurs proposent un parallèle entre les facteurs de création de valeur et les facteurs de destruction de valeur. Parmi les premiers : les clients (valeur perçue, valeur d’usage), l’agilité, les coûts, la qualité, le capital humain (de la DSI), la gestion des connaissances, l’innovation (transformer les connaissances en valeur ajoutée), les synergies (fusions-acquisitions) et l’entreprise étendue (avec les acteurs externes).

En parallèle, il existe autant de sources de destruction de valeur : la couverture fonctionnelle des applications (inexistante ou imparfaite), les délais (au premier plan de toute valorisation économique), la gestion du portefeuille de projets (criblage des projets inadaptés, arbitrage des projets insuffisants…), les coûts (non-maîtrise en regard de la prestation délivrée), les incidents, la non-performance (ponctuelle ou récurrente), l’urbanisme (lien avec l’évolution du périmètre de l’entreprise), et le pilotage des fournisseurs.

La méthodologie de valorisation consiste à mesurer six éléments. En premier lieu, les pertes de productivité. « Il s’agit du coût des ressources mobilisées par l’entreprise et qui ne peuvent pas produire dans de bonnes conditions, du fait des dysfonctionnements du système d’information », précisent les auteurs.

Ensuite, il faut valoriser les arrêts d’activités (lorsque par exemple un arrêt du système entraîne une perte de chiffre d’affaires). En troisième lieu, il s’agit de mesurer les « coûts induits » par le dysfonctionnement ou le manque de performance du système d’information, sur la base d’enquêtes terrain.

« La valorisation de ce type de problème doit être réalisée « sur mesure », avec un principe à conserver : ne considérer que les coûts directs variables, véritablement accessibles, c’est-à-dire sur des ressources que l’on pourrait libérer (par exemple des prestataires externes), soit affecter à d’autres tâches. »

En quatrième lieu, il convient de valoriser les coûts financiers, entraînés par exemple par des décalages de flux financiers entrant dans le processus de facturation. On s’intéressera également aux pertes potentielles de chiffre d’affaires, en fonction des temps d’indisponibilité du système d’information. Par exemple, on peut calculer l’impact sur le chiffre d’affaires de l’arrêt pendant une heure d’un plateau de télévente. En dernier lieu, il convient de valoriser la diminution de la valeur client (nécessité de reconquérir les clients perdus).

à l’issue de l’analyse de la destruction de valeur, que faire ? Pour les auteurs, plusieurs options sont possibles : des actions sur le Run (améliorer les applications existantes) ou sur le Build (transformer le SI), reprioriser les projets, geler une application, renforcer un dispositif d’exploitation, revoir les processus, ou encore engager une réflexion autour de la maîtrise d’ouvrage et des métiers : « De la même façon que la valeur escomptée des projets ne peut as être évaluée par la seule DSI, la destruction de valeur par le SI ne peut pas non plus être combattue par la seule DSI ».

 


Les Best practices de l’approche par la destruction de valeur

1. Définition du périmètre

  • Ne pas considérer un périmètre trop vaste, l’excès d’ambition peut conduire à l’échec. Privilégier un domaine « pilote ».
  • Informer tous les acteurs de la direction métier et du SI sur la démarche, ses objectifs et le mode de déroulement du projet. « Les idées fausses laissent croire en de mauvaises intentions ».
  • La DSI doit pouvoir accéder à toutes les informations du métier nécessaires à la modélisation. La confiance réciproque entre le métier et la DSI est un facteur clé de succès.

2. Choix des processus

  • Mal borner un processus du métier peut faire empiéter sur un autre domaine applicatif et rendre très complexe la modélisation.
  • Disposer le la cartographie des processus.
  • La DSI doit s’adapter à la sémantique du métier.
  • Définition de la période d’analyse.
  • Ne pas se noyer dans un excès d’informations (choisir une période courte, avec objectivité). Le choix de la période ne doit pas fausser la suite du raisonnement.
  • Toujours se rappeler qu’il ne s’agit pas de faire un procès ni de masquer la réalité.

3. Identification des interlocuteurs

  • Ne pas multiplier les interviews.
  • Avoir un support commun pour tous les interlocuteurs pour bien expliquer la démarche, son avancement et la phase où ils interviennent.
  • Faire valider la liste des interlocuteurs par le métier.
  • Rédiger systématiquement un compte rendu, consultable par toutes les parties prenantes.

4. Structuration des interviews

  • La trame peut être la suivante : présentation du contexte et des objectifs, organisation du métier, processus et activités critiques, lien avec la cartographie applicative, estimation des volumes, accès au support et gestion des incidents, description des dysfonctionnements du SI vu du métier, analyse des dysfonctionnements recensés côté SI, impacts des dysfonctionnements SI vus des métiers, synthèse et compte rendu.

5. Chantiers d’amélioration

  • Ne pas traiter la démarche de mesure de la destruction de valeur à part, elle est complémentaire des autres démarches de valorisation du système d’information.
  • Communiquer les objectifs, les plans d’action et les indicateurs de mesure à la fois aux équipes internes de la DSI et aux équipes métiers et à leurs maîtres d’ouvrage.