Externalisation : la crise comme piqûre de rappel

En ouverture de l’escale parisienne du World Tour de SAP, les 2 et 3 juin 2009, l’économiste Daniel Cohen a proposé une analyse de la crise actuelle et des problématiques d’externalisation.

« La crise actuelle n’a aucun précédent, avec une contraction de 10 % du commerce mondial et le fait que 85 % des pays du globe se trouvent simultanément en récession », assure l’économiste Daniel Cohen. Selon lui, cette crise ne peut se comparer qu’à celle des années 1930, époque où l’on a également observé une baisse de la consommation, une dramatique contraction du marché automobile et une hausse spectaculaire du chômage.

« Mais la signification, aujourd’hui, est tout autre : le système de production a été au-delà de ses frontières naturelles », estime Daniel Cohen. La nature de cette rupture est liée à la troisième révolution industrielle, qui survient deux siècles après « LA » révolution industrielle, celle de la fin du XVIIIe siècle que l’on associe à la machine à vapeur.

Et un siècle après la deuxième, à la fin du XIXe siècle, avec l’utilisation de l’électricité. « Les révolutions industrielles se caractérisent par des grappes d’innovation qui changent la façon de concevoir la production », explique Daniel Cohen. L’électricité a permis la production de masse.

Si, pour la première fois, la troisième révolution industrielle n’est pas une révolution énergétique, comme le furent les deux premières avec l’usage de la vapeur et de l’électricité, Internet rend toutefois possible une nouvelle organisation de la production. « L’informatique provoque la même remise en question », ajoute Daniel Cohen.

A l’inverse de la société industrielle du XXe siècle, dans laquelle les grandes entreprises, sur le modèle de Ford ou de Renault, voulaient être les plus intégrées que possible et formaient de véritables sociétés, au sens premier du terme, « la révolution informatique pousse les entreprises à créer des usines sans travailleurs », diagnostique Daniel Cohen.

Qui explique : « On ne demande pas seulement une spécialisation, mais on s’interroge pour savoir si la chaîne de valeur a besoin d’être couverte par une même entreprise. Ainsi, la logique poussée à l’extrême est de réduire au minimum l’avantage comparatif des entreprises à un seul segment.

L’étape suivante consiste à briser l’équilibre entre marché et organisation. Au début des années 1980, les plus grands économistes se sont posé la question suivante : pourquoi y a-t-il des marchés ? Pourquoi le monde n’est-il pas une gigantesque organisation ? Désormais, la question que Wall Street pose est inverse : pourquoi tout n’est-il pas soumis au marché ?

C’est l’idée des usines sans travailleurs, un monde dans lequel on négocie en permanence et rien n’est internalisé. » Ainsi, l’entreprise externalise toutes les tâches qui peuvent l’être pour se concentrer sur son cœur de métier : davantage la conception que la production. « Par exemple, Renault, dans les années 1960, fabriquait 80 % de la valeur d’une voiture, aujourd’hui, c’est seulement 20 %. »

Quel est le lien avec la crise financière actuelle ? « La crise financière montre les limites de cette focalisation sur l’immatériel, elle a été provoquée par le dérèglement de cette utopie », assure Daniel Cohen. Celui-ci prend l’exemple du secteur financier qui a externalisé la distribution du crédit, s’affranchissant ainsi des réseaux physiques traditionnels et d’un contrôle des banques sur la solvabilité de leurs clients.

« Cette idée n’a pas marché, on l’a vu avec les subprimes, quand on externalise tout, on ne peut pas contrôler la qualité de ce que l’on produit. » Bref, Daniel Cohen affirme : « L’idée de tout externaliser a explosé, la crise est une véritable piqûre de rappel, il y a donc un équilibre à trouver entre le monde que la technologie permet et l’utopie de l’immatériel qui se substitue à l’ensemble des composantes d’une chaîne de valeur. » Même si, reconnaît Daniel Cohen, « le centre de gravité restera un monde d’externalisation, parce que les outils technologiques, et Internet en particulier, le permettent ».