Face à la crise, les DSI peuvent-ils encore innover ?

« Après la crise, peut-on encore innover dans les systèmes d’information ? » Cette question a été le thème d’un petit déjeuner organisé par le cabinet Arrowman Executive Search, en association avec Best Practices Systèmes d’Information.

L’innovation est-elle de retour ? Une étude que vient de publier le Boston Consulting Group (1) l’affirme. Une étude de McKinsey (2) le confirme : quatre entreprises sur dix vont accroître leurs budgets de recherche et développement en 2010, une proportion deux fois plus élevée qu’en 2009.

Une étude d’IDC (3) le suggère : la « mise en œuvre des innovations » constitue l’une des six priorités des directions informatiques françaises, même si les réductions de coûts et l’optimisation des infrastructures dominent encore. Pour Richard Valenti, DSI de Generali, l’innovation constitue la troisième pointe du triangle des missions du DSI, dont les deux autres sont le fonctionnement du SI et l’alignement métier. « Le but de l’innovation n’est pas d’être plus intelligent ou avant-gardiste, mais de travailler avec les métiers. »

Generali a adopté une démarche intéressante en matière d’innovation et privilégie une approche similaire à celle des capitaux-risqueurs : « Il faut être prêt à perdre neuf fois sur dix, et il n’est pas toujours aisé de convaincre les directions générales de dégager un budget spécifique pour favoriser l’innovation, sachant que 90 % seront perdus », témoigne Richard Valenti.

« Les budgets innovation sont effectivement difficiles à faire passer dans les entreprises, c’est pour cette raison, entre autres, que la notion de « Proof of concept » prend tout son sens », confirme Marc Picornell, un spécialiste de l’innovation et CTO (Chief Technology Officer) dans un groupe international de services.

Dans son numéro de décembre 2009, la Harvard Business Review liste, dans un article consacré à « l’ADN de l’innovateur » (4) les cinq mots-clés qui favorisent l’innovation : associer (ce qui a priori ne l’est pas), questionner (pourquoi ? pourquoi pas, que se passe-t-il si… ?), observer, expérimenter et « réseauter ». On conçoit ainsi que l’innovation dépasse largement le cadre de la technologie.

« Il ne faut pas tomber dans le piège de l’innovation technologique », confirme Richard Valenti. Même si, dans certains secteurs, comme la banque, c’est une composante essentielle des métiers : « Dans notre secteur, explique Dominique Larue, directeur des infrastructures dans une grande banque française, la crise n’a pas remis en cause l’innovation technologique, nous en avons profité pour être mieux armés pour la sortie de crise. Toutes les banques ont continué à s’équiper. L’innovation est certes largement technologique mais pas seulement, nous avons besoin de processus favorisant d’hyperréactivité car nous travaillons dans un environnement temps réel. En particulier, dans la banque d’investissement, l’avantage compétitif se crée entre autres par l’innovation technologique, pour obtenir un maximum de performances, une très forte sécurité et diminuer le « Time to Market ». »

L’innovation technologique est clairement liée aux usages et à la « consumérisation » de la technologie : « Acheter des machines encore plus puissantes ne sert à rien si on ne sait pas quoi en faire », résume Marc Picornell. On peut y voir l’effet de la stratégie des fournisseurs, qui se focalisent sur les marchés à fort volumes.

« L’innovation chez les fournisseurs est essentiellement tournée vers le grand public, nous avons mis en œuvre des nouveaux business models pour l’innovation, par exemple en aidant les start-up qui conçoivent des technologies qui nous intéressent », assure Frédéric Charles, en charge de la stratégie et de la gouvernance du SI au sein de la DSI de la Lyonnaise des Eaux. « Nous sommes confrontés aux utilisateurs plus avisés que certains de nos collaborateurs, de sorte que l’innovation passe par les usages grand public », estime Jean-Michel André, DSI d’Europe Assistance.

L’innovation tirée par l’écosystème

Pour le DSI, intégré de fait dans le processus d’innovation, cela suppose, et impose, de travailler au plus près des métiers. « L’innovation doit apporter de la valeur et s’intégrer dans les processus de nos clients, ce qui implique de donner la main aux métiers, témoigne Jean-Michel André. Pour les DSI, cela suppose une certaine humilité afin que les métiers s’approprient l’innovation. »

Le spécialiste de l’assistance a créé, en collaboration avec sa direction marketing, un comité innovation. « Nous intervenons principalement dans trois domaines, explique Jean-Michel André, d’abord avec le principe du « Make it Happen », en étudiant une maquette d’un processus opérationnel, par exemple sur la mobilité, que l’on présente aux utilisateurs. Ensuite, nous faisons le tri entre plusieurs innovations, avec les métiers, pour anticiper ce qui peut fonctionner ou pas et, enfin, nous abordons des sujets de prospective. »

Le processus d’innovation correspond, pour Richard Valenti, à « déterminer des territoires et des chasseurs, avec l’interrogation suivante : « quels territoires va-t-on chasser ? », et c’est la direction générale qui les définit ». Une approche que Frédéric Charles résume de la façon suivante : « Le système d’information ne s’arrêtant pas aux frontières de l’entreprise, la DSI joue un rôle essentiel pour « valoriser les icebergs au-delà des firewalls ». » C’est donc l’ensemble de l’écosystème qui crée et s’approprie l’innovation : « Les clients finaux et les fournisseurs de technologies de l’information constituent des moteurs importants de l’innovation », observe Dominique Larue, qui n’a pas constaté de tassement dans les budgets R&D des fournisseurs.

« L’innovation est consubstantielle des fournisseurs », ajoute-t-il. Mais pour que l’innovation s’exprime, il reste à lever un obstacle de nature organisationnelle, ou culturelle : « Le fait que le SI est vu comme un système interne alimenté par des données internes », résume Franck Gryson, fondateur de la société de conseil Décisionnel. Mais que les DSI, au centre des flux d’informations, se rassurent : si l’on en croit une étude de McKinsey publiée le 8 mai 2010 (5), à la question « Quelle sera la conséquence la plus importante pour votre entreprise, à un horizon de cinq ans, de l’accroissement des flux d’informations ? », les 1 416 managers interrogés au niveau mondial ont placé en tête (à 60 %) l’accélération de l’innovation ! •

(1) « Innovation 2010, a return to Prominence and the Emergence of a New World Order », Boston Consulting Group, avril 2010, 29 pages.
(2) « R&D after the crises », McKinsey, avril 2010, 8 pages.
(3) « Observatoire du Cloud », IDC, mai 2010, 16 pages.
(4) « The innovator’s DNA », Harvard Business Review, décembre 2009.
(5) « Five forces reshaping the global economy: McKinsey Global Survey Results », McKinsey, mai 2010.


DSI – CIO : un métier au centre de l’innovation ?

Par Jean-Pierre Scandella, Associé-gérant d’Arrowman Executive Search

Dans une période de fortes évolutions et où l’on parle beaucoup de grandes innovations technologiques, de « l’informatique dans les nuages » ou de « cloudsoursing », comment évolue le rôle de DSI par rapport à l’innovation ? Les systèmes d’information sont pilotés la plupart du temps par des ingénieurs et la technologie a toujours été au centre des sujets du DSI. D’où une réflexion constante de leur part sur l’innovation et l’introduction des nouvelles technologies dans l’entreprise. Dès lors, les DSI sont-ils plus ou moins innovants qu’avant ? Nous éviterons de tomber dans le cliché : « C’était mieux avant !». Mais il nous semble toutefois qu’avant c’était pour le moins très différent ! Il est intéressant d’observer un déplacement et une concentration de la recherche chez les fournisseurs qui poursuivent une course technologique effrénée et l’évolution du rôle du DSI qui a progressivement laissé son rôle de concepteur au profit d’un rôle davantage orienté vers la veille et l’intégration aux processus métiers de solutions nouvelles conçues à l’extérieur de la DSI. De plus en plus, on considère simplement que l’intelligence est plus présente hors de l’entreprise, car les cerveaux y sont plus nombreux.

Cette réflexion va jusqu’à utiliser et observer les évolutions des machines destinées au grand public qui est devenu un utilisateur plus qu’averti !

Les professionnels sont de plus des observateurs, des intégrateurs et des gestionnaires qui apportent les meilleures évolutions à l’intérieur de l’entreprise. Ce phénomène s’exprime particulièrement dans les fonctions marketing, où le CRM, la Business Intelligence, les pilotes de projets et les stratèges, en lien avec la direction générale, sont de plus en plus en dehors de la DSI. Dans ce contexte, comment évolue la relation DG-DSI ?

Il ne s’agit pas de faire un constat négatif, mais de souligner que les enjeux se sont déplacés et que les questions autour de l’innovation le montrent bien. L’entreprise partage ces sujets plus que jamais en interne et en externe allant jusqu’à observer les utilisateurs du grand public qui s’approprient les meilleures évolutions technologiques avant même qu’elles n’arrivent dans l’entreprise !

En fait, les DSI peuvent saisir une opportunité dans ce contexte, à condition de privilégier la veille technologique, la sélection des solutions nouvelles, la mise en place de cellules d’innovation internes pour percevoir (et s’approprier) ces nouvelles tendances et détecter des solutions innovantes et des éléments différenciateurs pour leur entreprise. La veille technologique devient de plus en plus une veille économique. Le DSI d’aujourd’hui est plus que jamais un CIO, et probablement bientôt un CIIO, si l’on place l’innovation au centre.