Grands groupes et start-up : un mariage autour de l’innovation

L’innovation ouverte se banalise dans les grandes entreprises. L’un des axes de son adoption repose sur une collaboration avec les start-up. Quels sont les facteurs clés de succès ? Un rapport de l’OCDE publié en mai 2017 (*) conclut que le développement  et la mise en œuvre des technologies dans le monde industriel reste à la traîne.

Selon l’étude, « beaucoup d’entreprises tardent à adopter les TIC nécessaires pour effectuer la transformation numérique de la production industrielle, par exemple avec le cloud, la gestion de la chaîne d’approvisionnement ou la planification des ressources de l’entreprise. » Même si on est loin d’une généralisation de l’industrie 4.0, les grandes entreprises industrielles continuent à se transformer.

« On observe les modèles disruptifs et l’on se dit qu’un jour ou l’autre, nous serons concernés, les chinois vont deux fois plus vite que la Silicon Valley et nous considérons le numérique comme un levier pour créer des nouveaux services et améliorer la compétitivité », remarque Dominique Rage, directeur de la business unit Aroma Performance chez Solvay, qui est intervenu lors d’une table ronde organisée, en mars 2017, par The Cosmo Company et Accenture sur le thème de l’innovation ouverte et de la transformation numérique.

La transformation numérique a évidemment fait bouger les lignes. « Les grandes entreprises n’ont d’autre choix que de se réinventer », a souligné Pascal Buffard, vice-président du Cigref, lors d’un colloque sur l’innovation ouverte organisé le 25 septembre 2017. Chez Alstom, Christian Chaumette, directeur R&D et innovation d’Alstom Digital Mobility, explique que, si l’innovation reste l’ADN des entreprises qui fabriquent des systèmes complexes, « la transformation digitale constitue un facteur d’accélération, c’est une recombinaison qui bouscule nos valeurs et nos manières de travailler. »

Le changement dans les processus et les modes de travail est également constaté chez RTE : « Il y a des attentes de services de la part des clients et ce qui, auparavant, était géré par des ingénieurs, en interne, avec une R&D par processus, doit aujourd’hui se baser sur une consolidation d’informations, ce qui change les métiers », explique Yannick Jacquemart, directeur R&D de RTE. Les sources de disruption ne manquent pas : « Pour un groupe comme le nôtre, elle peut surgir des objets connectés, de l’intelligence artificielle, des plateformes collaboratives ou des robots, notre savoir-faire se convertit de plus en plus en silicium », résume Alain Staron, vice-président pour les offres digitales chez Veolia.

Trois approches prometteuses : générer des idées, créer des POC et travailler avec des start-up

Comment faire ? Trois approches se révèlent pertinentes : chercher des idées en dehors des circuits habituels, expérimenter et, pour gagner du temps, travailler avec des start-up.

Le passage entre l’ancien monde, dans lequel les idées étaient issues des départements de R&D, et le nouveau, dans lequel elles peuvent naître de n’importe où, est déjà bien avancé. « Il y a une force puissante d’innovation qui vient des collaborateurs, nous avons par exemple fait réfléchir 500 personnes, au niveau mondial, sur les changements qu’elles perçoivent, de manière à casser les orthodoxies et les bienséances », explique Dominique Rage, de Solvay.

Pour Christian Chaumette, d’Alstom, « on ne sépare pas l’innovation interne et externe, et l’on promeut l’idée d’incubation mixte avec les collaborateurs, pour favoriser des échanges continus avec l’environnement extérieur. » La formalisation des idées donne lieu à des POC (Proofs of Concept), expérimentations qu’il convient de préparer en amont et d’en imaginer les futurs développements. « Il faut anticiper, dès le départ, la roadmap possible du POC et les conditions de réussite, le POC n’est qu’une étape intermédiaire », conseille Christian Chaumette, d’Alstom.

L’un des facteurs clés de réussite réside dans une intégration avec le milieu des start-up : « Nous ne sommes pas une forteresse, mais plutôt un réseau de villages, dans lequel l’innovation est répartie et ouverte. C’est relativement facile d’ouvrir une partie de nos activités aux start-up pour tester des idées ou des solutions », remarque Alain Staron, de Veolia. Pour Bernard Duverneuil, président du Cigref et DSI d’Essilor International, intervenu lors du colloque organisé par le Cigref sur l’Open Innovation, « on ne peut plus faire de la R&D en chambre, nous avons besoin des start-up pour créer de la valeur. »

Avec, toutefois, la difficulté d’aller au-delà de collaborations ponctuelles ou anecdotiques. « Le défi est de faire grandir les start-up avec des contraintes industrielles, on peut toujours organiser cinquante hackathons par an, il reste le problème du passage à l’échelle industrielle, d’autant qu’il faut trier et qualifier les différentes solutions », remarque Yannick Jacquemart, directeur R&D de RTE.

Le problème est même plus complexe, car il ne s’agit pas seulement d’imaginer des solutions innovantes, mais avant tout d’abandonner les anciennes : « Plutôt que de parler d’industrialisation de l’innovation, il est préférable de parler de désindustrialisation de l’existant, qui doit intégrer le digital pour se transformer, même si l’innovation de rupture a du mal à s’insérer dans les processus en place », pointe Alain Staron, de Veolia.

L’innovation ouverte contribue à lever ce frein. Le Cigref a publié, en septembre 2017, un rapport sur ce sujet, piloté par Emmanuel Gaudin, DSI de Lagardère, dans lequel les auteurs expliquent que l’innovation ouverte, qui désigne « la capacité de l’entreprise à mobiliser efficacement l’intelligence collective, aussi bien en interne qu’en externe, afin d’accélérer sa dynamique d’innovation et de croissance, est maintenant l’affaire de tous les collaborateurs de l’entreprise et s’étend également à des écosystèmes connexes et extérieurs à l’entreprise. Cela bouleverse les modèles organisationnels des entreprises. »

Lors du colloque organisé par le Cigref, plusieurs grands groupes (Gemalto, LVMH, Société générale) sont venus expliquer comment ils collaborent avec les start-up. Gemalto, fabricant de cartes à puces, souhaitait optimiser la performance industrielle en réduisant le coût de la non qualité. « Nous voulions en comprendre les causes et anticiper les bons volumes de production », résume Philippe Faure, vice-président de la stratégie numérique de Gemalto. La solution, développée en trois mois avec la start-up Dataiku, est basée sur un modèle prédictif autour du Machine Learning. Cette start-up a été retenue par Gemalto, précise Philippe Faure, « pour la qualité de ses data scientists, son mode de fonctionnement collaboratif et le fait que la solution n’est pas une boîte noire. »

Chez LVMH, Mylène Jarossay, responsable sécurité (CISO), avait un besoin de sécurisation des actifs, en temps réel. Le groupe de luxe a fait appel à la start-up Cybel Angel, repérée par le bouche à oreille, pour détecter les fuites de données sur la partie cachée du Web. « Le POC, réalisé en un mois, a été très convaincant… avec des résultats inquiétants », se souvient Mylène Jarossay, qui utilise la solution pour sensibiliser les utilisateurs sur la nécessité de protéger les informations stratégiques.

De son côté, la Société générale a travaillé avec Bufferzone, également dans le domaine de la sécurité. « Nous avons de plus en plus de difficultés à détecter les menaces, notamment les APT (Advanced Persistent Threats). Souvent, les solutions de sécurité sont considérées par les utilisateurs comme bloquantes, nous leur donnons désormais l’accès, sécurisé, à des contenus auxquels ils n’auraient pas accès avec des politiques de sécurité restrictives », souligne Wilfried Lauber, directeur du programme sécurité, stratégie et architecture de la Société générale.


(*) The next production revolution, implications for governments and business, OCDE, mai 2017, 442 pages.


Innovation ouverte : les recommandations du Cigref

  • Bien cadrer le projet : un cas d’usage défini, un sponsor engagé, une gouvernance avec des ressources identifiées.
  • Anticiper les enjeux de sécurité.
  • Créer un environnement de développement agile et encourager la prise de risques dans la conduite de projets.
  • Maintenir un climat de confiance entre les acteurs.
  • Anticiper la phase d’implémentation dès le Proof of Concept.
  • Établir des partenariats au travers d’investissements financiers ou de la mise à disposition de ressources.
  • Saisir les opportunités d’association avec des partenaires complémentaires ou même des concurrents.

Source : Open innovation, une réponse aux challenges de l’entreprise, Cigref, 28 pageswww.cigref.fr


Relations avec les start-up : les conseils des grands groupes

  • Ne pas dupliquer les modèles industriels des grands groupes vers les start-up (Alstom).
  • Vérifier la question de la propriété intellectuelle et la solidité des business modèles (RTE).
  • Négocier un contrat d’objectifs (Solvay).
  • Rester humble pour ne pas « écraser » les start-up (Solvay).
  • Vérifier que la start-up a bien travaillé sa proposition de valeur (Veolia).
  • Prendre en compte un rapport au temps différent (Société générale).
  • Privilégier un mode de fonctionnement agile et collaboratif pour minimiser les temps de test (Société générale).
  • Impliquer la direction achats pour agir avec des risques mesurés (Société générale).
  • Bien préparer les données et le business case (Gemalto).
  • Ne pas tout définir à l’avance : 80 % suffisent, les 20 % restants sont traités en mode exploratoire, on apprend en marchant (LVMH).
  • S’assurer de disposer des bonnes compétences de chaque côté (Gemalto).
  • Favoriser les itérations (Gemalto).
  • Créer une structure dédiée pour identifier les start-up porteuses d’innovation (Lagardère).