La gouvernance du SI, un domaine à haut risque

En introduction du colloque organisé par le Cigref, l’Afai et l’Ifaci, le 25 mars 2019 sur la gouvernance du système d’information de l’entreprise numérique, Henri d’Agrain, délégué général du Cigref, a mis en scène, sous forme de témoignage fictif, les principales raisons pour lesquelles un DSI devrait éviter de faire de la gouvernance des systèmes d’information.

« Je me suis fait virer de mon poste de DSI. Eh oui, j’étais DSI ! Personne n’est parfait… Et vous savez ce qu’on m’a reproché ? Je cite ma lettre de licenciement : « De graves manquements dans la prise en compte des demandes des métiers, des carences dans la protection des données, des insuffisances dans la création de valeur, des négligences dans la gestion des risques, des déficiences dans l’architecture du SI, des faiblesses dans le pilotage des fournisseurs, des lacunes dans la maîtrise des budgets. » Rien que ça…

Bref, m’a dit le DRH, qui n’a pas sa langue dans sa poche : « Tu as foiré grave dans la gouvernance du système d’information. On est obligé de se séparer de toi, mais ça n’a rien de personnel. » Rien de personnel ? Si, quand même un peu… Pour une fois que je rate quelque chose, j’ai fait la totale ! Le ratage All Inclusive… J’ai bien senti que mon DG était un peu agacé. Il m’avait fait venir dans son bureau et m’avait dit : « Je n’ai pas l’habitude de mélanger le plaisir et le travail, mais, aujourd’hui, je vais faire une exception : vous êtes viré ! »

J’aurais dû me méfier quand on m’a rapporté que mon DG avait été consulter une voyante. Elle lui a annoncé que j’allais mourir de mort violente ! Mon DG a répondu que, ça, il le savait déjà, mais il a juste demandé s’il allait être acquitté. J’aurais dû également me méfier lorsque le DRH a dit à mon DG qu’il pensait que j’étais à moitié fou. « Il n’est qu’à moitié fou, c’est donc qu’il va déjà beaucoup mieux », a-t-il répliqué.

Voir la vidéo « Comment se faire virer quand on est DSI » : https://www.youtube.com/watch?v=pSVC0in2yyc&t=24s

dagrain
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J’aurais dû me méfier, enfin, quand mon DG m’a suggéré de rencontrer tous les membres du Comex. Il m’a dit : « Vous comprenez, je regrette que les membres du Comex soient toujours prêts à écouter le premier imbécile venu, vous devriez aller leur parler. »

Si on m’avait dit qu’un jour je me ferais virer pour une histoire de gouvernance, je ne l’aurai évidemment pas cru ! Parce que je n’ai jamais cru non plus à la gouvernance.

Responsable de la gouvernance est-il un métier ?

Responsable de la gouvernance, ce n’est pas un métier ! Imaginez si, à l’école, on vous avait dit que, plus tard, vous feriez ce métier ? Parmi ceux qui voulaient devenir pompier, policier, médecin, journaliste, astronaute, pilote d’avion ou ingénieur, vous seriez passé pour un « Boloss ».

Et inutile de leur expliquer que responsable de la gouvernance cumule tous ces métiers : il faut être à la fois pompier pour réparer les conneries des autres, policier pour éviter qu’ils fassent n’importe quoi, médecin pour gérer les virus, journaliste pour inventer des Fake News, astronaute parce que les métiers nous demandent la lune, pilote d’avion pour gérer la migration dans le cloud et ingénieur pour comprendre comment ce fichu système d’information a été pensé…

La gouvernance, c’est la faute des grecs. Précisément chez qui mon DG m’a dit d’aller me faire voir… Le mot gouvernance vient en effet du grec Kubernan, qui signifie piloter un char ou un navire. On n’en a plus entendu parler pendant des siècles, nous étions tranquilles, avant que ça soit remis au goût du jour dans les années 1990. Paraît-il pour favoriser la création de valeur pour l’actionnaire. Et là, c’est la faute des américains.

Vous vous souvenez des célèbres duettistes comiques Sarbanes et Oxley ? Ceux qui ont pourri la vie des DSI ? La gouvernance nous est alors tombée dessus. Parce que certains DG, plus malins que les autres, ont compris que c’était avec le système d’information qu’ils pourraient créer de la valeur pour les actionnaires. Ou peut-être parce qu’ils voulaient se débarrasser du problème en faisant croire aux DSI qu’ils seraient les sauveurs de l’entreprise. C’est sûrement ça…

J’ai de bonnes raisons de fuir la gouvernance. La première est que la gouvernance est un sujet sans fin. A peine avez-vous fini de traiter un sujet que d’autres surviennent et on peut avoir confiance dans l’imagination fertile de ceux qui nous concoctent des lois qu’il faut appliquer.

La gouvernance, c’est aussi une galère pour recruter les bonnes compétences. En plus, ça coûte très cher. Je ne me vois pas faire ami-ami avec des auditeurs et des collègues en charge de la gouvernance Corporate. Comme on dit, « nous n’avons pas les mêmes valeurs ».

Surtout, je n’ai pas le temps de faire de la gouvernance ! Et c’est dangereux pour la santé. C’est une étude du Center Of New Advanced Research (le CONAR) qui l’affirme. Si un DSI consacre cinq heures par semaine à la gouvernance, son espérance de vie se trouve réduite de 16,76 % en moyenne, du fait du stress que ça génère dans le cortex du cerveau ! Et saviez-vous que la gouvernance produit autant de vent que 5,67 éoliennes ? C’est scientifique…

Echapper au fardeau de la gouvernance : quatre principes que tout DSI devrait appliquer

La gouvernance, on peut vraiment s’en passer. Un ami DSI sicilien qui avait eu quelques problèmes avec des auditeurs et des éditeurs en mal d’audit de licences, m’avait toujours dit, avant qu’il ne décède dans des circonstances mystérieuses : « Si on te demande ce qu’est la gouvernance, t’as qu’à répondre que tu n’en sais rien ! » Il avait raison…

Et c’est vrai que, pendant des années, on m’a fichu une paix royale. Comment faire ? Premier principe : ne jamais réaliser un état des lieux. La gouvernance, c’est comme les examens médicaux : on sait qu’il serait bon d’en faire, mais on redoute toujours les résultats ! Quelquefois, il vaut mieux ne pas savoir plutôt que d’apprendre de mauvaises nouvelles.

Deuxième principe : refuser de mesurer la performance du système d’information. C’est un piège ! Lorsque la performance devient mesurable, elle se retourne inévitablement contre celui qui la mesure… N’oubliez jamais que tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous, devant vous, à côté de vous et derrière vous. Surtout derrière… Selon le principe bien connu de la poussée d’Archi-emmerde : « Tout DSI plongé dans la gouvernance subit une pression désagréable qui s’exerce du haut de la hiérarchie vers le bas, et qui est égale au poids du volume des processus déplacés. » N’oubliez pas que la performance, c’est comme une drogue que l’on injecte dans le cerveau d’un DAF ou d’un DG : ils en exigeront toujours plus !

Troisième principe : gagner du temps. Expliquez partout que la gouvernance est un sujet tellement sérieux qu’il ne peut être traité à la va-vite, mais plutôt à la va-pas-trop-vite, voire à la va-doucement-tu-seras-pas-payé-plus-cher, concept d’un usage très répandu dans nos organisations. Comme disait le philosophe chinois Yâkilàdsoû : « Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, surtout un jour de pluie. »

Quatrième et dernier principe : faire illusion et produire un minimum de résultats qui montrent que la gouvernance est considérée comme un sujet sérieux. L’astuce que j’ai privilégiée consiste à produire un rapport très très très épais, bourré de chiffres. Les consultants savent de quoi je parle… Evidemment, personne ne le lira et il ira avec les autres, dormir dans un tiroir pour l’éternité. Les auditeurs IT savent de quoi je parle…

Produire beaucoup de chiffres pour travailler moins

J’avais intitulé ce pavé indigeste : « Gouvernance du SI : état de l’art, panorama des enjeux, bilan des perspectives, développement digitalo-numérique et performance au service de la stratégie et plus si affinités ». Vous le faites rédiger par un stagiaire et le tour est joué ! Je vous garantis que personne ne se plongera dedans. Vous serez, a priori, tranquille pour longtemps. Il faut quand même penser à virer le stagiaire quand il aura fini, sinon cela va se voir… Comme me le répétait mon regretté ami DSI sicilien : « Evite de laisser des témoins, c’est mauvais pour ta carrière… »

Finalement, échapper à la gouvernance, c’est simple : n’établissez pas d’état de lieux, ne mesurez rien, gagnez du temps et enfumez les plus curieux. Avec ça, vous avez le quarté dans l’ordre.

Avec un peu de chance, tous les ennuis retomberont sur votre successeur. C’est ce qui m’est arrivé ! J’imagine la tête de celui qui va prendre mon poste, il n’a pas fini d’avoir le cortex en ébullition !

J’ai évidemment fait un pot de départ. Mes chers collègues ne se sont pas moqués de moi. Ils m’ont offert le guide de la gouvernance du SI de l’entreprise numérique, publié par le Cigref, l’Afai et l’Ifaci. Et dédicacé, en plus, par le directeur juridique, qui a griffonné « Bon voyage en terre inconnue ».

J’aurais préféré un cadeau plus intellectuel, mais ça partait d’une bonne intention. Je vais quand même le lire. J’ai feuilleté les 90 pages et j’ai déjà trouvé ça très bien. Mais pas pour le suspens, il n’y en a pas. On sait comment cela finit… »


La vidéo de l’intervention d’Henri d’Agrain est disponible : https://vimeo.com/327242892