La transformation digitale est-elle toujours profitable aux actionnaires ?

Une entreprise qui conduit sa transformation digitale de façon dynamique et en profondeur devrait satisfaire ses actionnaires et en attirer de nouveaux. De quoi faire bondir le cours de bourse ? Hélas, non, c’est plutôt l’inverse qui se produit…

En principe, la transformation digitale n’a que des effets positifs sur les organisations qui la mettent en place : elle est censée augmenter les revenus, accroître les marges, transformer les produits et services avec de nouveaux business models générateurs de valeur, motiver les salariés, fluidifier les processus, rapprocher des clients, etc.

La liste est longue et de très nombreuses études ont mis en exergue ces effets positifs. A priori, les actionnaires des entreprises qui sont les plus en avance dans leur transformation digitale devraient être ravis : car tous ces avantages séduisent, notamment les perspectives optimistes sur le chiffre d’affaires et les marges. Mais qu’en est-il en réalité ? Nous avons mesuré l’effet de la transformation digitale sur le cours des actions.

Pour cela, nous nous sommes basés sur le e-CAC 40 établi chaque année par le quotidien Les Echos. La dernière édition, parue en octobre 2018, a révélé le classement des dix groupes français les plus en avance dans leur transformation numérique. Les trois premiers, avec une note supérieure à 16/20, sont la Société générale, Total et Schneider Electric. En regard de ce classement, nous avons indiqué le niveau du cours de l’action à trois périodes : début 2017, début 2018 et début 2019. Cela permet de mesurer l’évolution sur deux ans.

On observe qu’il n’y a pas de correspondance entre le degré de maturité des entreprises dans leur transformation digitale et le retour sur investissement des actionnaires. Ainsi, un actionnaire qui aurait acquis une action de chacun des dix groupes les mieux placés dans le classement e-CAC 40 aurait investi 511 euros le 2 janvier 2017. Mais n’aurait récupéré que 416 euros deux ans plus tard, soit presque 19 % de moins-value.

Dans le Top 10, seulement deux groupes s’en sortent à peu près : Air Liquide (+ 8,7 % en deux ans) et Engie (+ 2,5 %). Tous les autres sont dans le rouge. C’est en particulier le cas des acteurs de la finance : la Société générale, qui communique beaucoup sur sa transformation et ses innovations et dont le directeur général est très impliqué dans ce domaine, a vu son cours de bourse plonger de 41,5 % en deux ans. De même, BNP Paribas et AXA ont subi de fortes baisses. Saint-Gobain et Atos sont, eux aussi, plutôt mal positionnés. S’il y a recherche de création de valeur, il ne faut apparemment pas l’espérer du côté des valorisations boursières. Certes, depuis le début 2019, les cours sont repartis à la hausse et cela nuance l’évolution sur deux ans.

Il ne faut donc évidemment pas en déduire que, pour ces entreprises, la transformation digitale est un échec, car de nombreux facteurs influencent l’évolution d’un cours de bourse, surtout pour les groupes caractérisés par des volumes d’échanges très importants : conjoncture macro-économique, turbulences internationales, crises géo-politiques, spéculation…

En outre, les effets de la transformation se font surtout sentir à moyen et long terme, la conséquence sur les cours de bourse n’est donc pas nécessairement immédiate, surtout si la communication sur cette problématique laisse à désirer. Enfin, la psychologie des actionnaires étant assez sommaire et très imprégnée de spéculation à court terme, ils s’intéressent davantage au compte d’exploitation trimestriel qu’aux opportunités qui se traduiront en profits dans un avenir plus ou moins lointain.

On peut toutefois suggérer à ceux qui sont chargés de conduire la transformation digitale (par exemple les Chief Digital Officers) de ne pas accepter une trop grande part de leur rémunération en actions de leur entreprise. On ne sait jamais…

Transformation digitale et cours boursiers
Entreprise Note au classement
e-CAC 40
Cours de bourse premier jour de cotation de janvier (en €) Évolution
2017-2019
2017 2018 2019
Société générale 16,79 46,90 43,16 27,44 – 41,5 %
Total 16,36 46,44 43,93 46,25 – 0,4 %
Schneider Electric 16,06 66,1 70,02 57,58 – 12,9 %
Air Liquide 15,79 95,82 104,5 104,15 + 8,7 %
Orange 14,97 14,57 14,52 14,18 – 2,7 %
BNP Paribas 14,67 60,35 62,09 38,85 – 35,6 %
Atos 14,02 100,18 119,88 67,98 – 32,1 %
Engie 13,52 12,23 14,23 12,54 + 2,5 %
AXA 13,09 24,14 24,76 18,65 – 22,7 %
Saint-Gobain 13,03 44,70 45,59 28,53 – 36,2 %
Source : Digitalonomics-Best Practices, Les Echos.