La transparence n’est pas toujours une vertu

L’abondance de choix est-elle toujours profitable aux consommateurs qui bénéficient ainsi de davantage de transparence ? Pas toujours car il perturbe le processus de décision, explique Barry Schwartz (1), qui nous expose ses arguments.

L’abondance de choix favorise la transparence. Est-ce bénéfique pour l’individu ?

Barry Schwartz Lorsque l’être humain est privé de sa liberté de choisir, sa vie est à peine tolérable. Notre société de consommation s’est donc attachée à multiplier les possibilités, une diversité synonyme d’indépendance et de libre arbitre. A priori ! Car plus le nombre de possibilités augmente, plus les aspects négatifs de cette multitude d’options apparaissent. Le choix n’est alors plus libérateur, il est source de dilemmes paralysants. Ce n’est pas parce qu’il est bon d’avoir le choix qu’il est forcément mieux de disposer d’une surabondance de choix. On commet une erreur en assimilant la liberté au choix.

On trouve cette abondance de choix dans tous les domaines. Il suffit de se rendre dans un super­marché, mais ce phénomène se retrouve également dans beaucoup d’autres domaines : la téléphonie mobile, l’éducation, les médias, les caisses de retraite complémentaire, les produits d’épargne, le choix d’un emploi, la chirurgie esthétique et même le choix du conjoint. Tout cela repose sur le raisonnement suivant des professionnels du marketing : si l’on est rationnel, estiment-ils, la multiplication des options ne peut qu’accroître la satisfaction des consommateurs. C’est logique mais faux, parce cela demande un effort supplémentaire de prise de décision.

Dans le mondé réel, les limites sont physiques, mais sur Internet, il n’y a pas de limites au choix. Internet peut donner des informations précises et d’une fraîcheur inégalée. L’inconvénient ? C’est une source d’information démocratique jusqu’au non-sens. N’importe qui y exprime son opinion, qu’il connaisse le sujet ou non. L’avalanche d’informations que l’on reçoit est telle qu’avant de choisir entre deux cents produits alimentaires à base de céréales ou cinq mille mutuelles, on doit d’abord choisir entre dix mille sites Web qui proposent de nous transformer en consommateurs avertis.

Et imaginons que l’on puisse déterminer avec précision les informations dont on a besoin : sait-on pour autant les analyser, les évaluer et les trier ? Pas toujours. Or, la démultiplication des choix rend malheureux. L’accroissement des possibilités engendre trois effets déplorables : la prise de décision exige plus d’efforts, les erreurs sont plus fréquentes et elles ont des conséquences psychologiques plus lourdes. Le choix illimité peut provoquer une véritable souffrance.

La transparence ne veut pas simplement dire une information disponible mais aussi une information accessible. Si l’on a trop d’information, la transparence n’est que théorique. Lorsqu’un moteur de recherche ramène un million de pages, comment s’en sort-on ? Par exemple, un constructeur automobile avait édité un manuel de 800 pages : qui donc peut le lire ? Bien sûr, l’absence total de choix est tout aussi désastreux sur le plan psychologique : il faut donc trouver le dosage idéal.

Dans votre ouvrage Le Paradoxe du choix, vous distinguez deux types de comportements chez l’individu. Comment se caractérisent-ils ?

Barry Schwartz Je distingue les « Monsieur Plus » (maximizers en anglais) et les « Sam’Suffit » (satisfiers en anglais). Un Monsieur Plus a besoin de s’assurer que chaque achat effectué et chaque décision prise sont les meilleurs possibles. Pour cela, il n’a qu’un seul moyen de le savoir : vérifier toutes les autres options. Ainsi, il ne sera pas persuadé d’avoir payé le meilleur prix avant d’avoir comparé tous les tarifs. Sa stratégie de décision exige un travail harassant, proportionnel au nombre de possibilités. Évidemment, aucun n’est capable d’aller au bout de la démarche. Un Monsieur Sam’Suffit, lui, se satisfait de ce qui est « assez bon » et ne se demande pas s’il peut trouver mieux. Je suis persuadé que la maximisation à outrance rend malheureux ceux qui la pratiquent, particulièrement dans une société qui s’ingénie à proposer un nombre écrasant de choix, futiles ou importants.

Comment faire, dans un monde qui valorise cette transparence des choix ?

Barry Schwartz Le choix rationnel s’effectue en plusieurs étapes : la détermination d’un ou plusieurs objectifs, l’importance relative de chaque objectif, l’éventail des options, la probabilité d’atteindre ses objectifs en fonction de chaque option, la sélection de la bonne option. Presque plus personne ne procède de cette manière dès lors que les individus sont confrontés à des centaines ou des milliers de possibilités. En réalité, les individus prennent conseil et demandent à leurs amis.

Pour gérer le problème de l’abondance des choix, il faut commencer par les hiérarchiser. Cet exercice aide à prendre conscience des coûts associés à la décision. Lorsqu’on choisit, on doit déterminer ce qui rend une décision importante, renoncer quand aucune des options disponibles n’est envisageable et savoir en créer d’autres. Ce sont les « décideurs » qui créent de nouvelles options, pour eux et pour les autres. Lorsqu’on est confronté à des choix écrasants, on ne décide plus : on se contente de cueillir passivement ce qui est disponible. Les décideurs ont le temps de modifier leurs objectifs, pas les cueilleurs. Dans un monde saturé d’options, la tranquillité d’esprit devient possible…

(1) Barry Schwartz est professeur de psychologie sociale au Swarthmore College de Pennsyl­vannie. Il est l’auteur de l’ouvrage The Paradox of Choice, Why more is less (Harper Perennial, 2005), paru en français en 2006 sous le titre Le Paradoxe du choix (Éditions Michel Lafon).